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Du 19 février au 15 mars 2008

Bacchanale

Texte d'Olivier Kemeid
Mise en scène de Frédéric Dubois
Avec Violette Chauveau, Johanne Haberlin, Marie-Claude Giroux, Michelle Rossignol, Isabelle Roy et
Isabelle Vincent

Bacchanale.
Six femmes serveuses dans un vaste bar montréalais. Un antre de libations.
Six femmes qui représentent chacune une tranche d’âges, une posture, une révolte.
Six cris, puis un seul, celui de la bacchanale.

Les serveuses sont dans un bar, notre monde, et elles s’expriment dans une langue rugueuse, notre langue. Parfois elles s’échappent, et l’on sent poindre de vieilles pulsions héritées des premiers temps. Pulsions qui prennent de plus en plus de place. Hécube qui dort sous Monique ne demande qu’à se réveiller…

Les sénateurs romains condamnaient les rites orgiaques des bacchantes pour une seule raison : les hommes qui y étaient initiés étaient si débauchés qu’ils ne pouvaient plus tenir une arme. Ne plus pouvoir tenir une arme, juste pour cela, il n’y a rien de plus beau qu’une bacchanale.

Cette pièce est le continent noir de la déraison, de l’irrationnel. On y livre ce qui ne peut être dit raisonnablement aujourd’hui. Un théâtre pulsionnel qui mélange attirance et effroi. Un grondement sourd qui ébranle les fondations. C’est de cette peur que traite Bacchanale, une peur qui se mêle, qui se fusionne avec un amour immodéré pour ces femmes.

« Qu’est-ce qui se serait passé si Albertine, au lieu de souffrir la calvaire, avait eu la possibilité de jouir? Je vais vous dire ce que j’en pense : le Plateau Mont-Royal aurait brûlé au grand complet. C’est ce feu que je veux montrer sur scène. » Olivier Kemeid

Dramaturgie Stéphane Lépine
Assistance à la mise en scène Maude Labonté
Scénographie Olivier Landreville
Costumes Linda Brunelle
Éclairages Martin Gagné
Environnement sonore Ludovic Bonnier

Création Théâtre d’Aujourd’hui

Théâtre d'Aujourd'hui, salle principale
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

 

 

par Mélanie Viau

Travailler comme un chien, ça vous dit quelque chose ? Ce sentiment de vide après l’épuisement des forces, cette impression d’agression de toutes parts par les bêtes masquées de la modernité qui ont fusionné le concept de temps avec le monnayable, le consommable dans l’ici et le maintenant, vous rappelle-t-il que vous êtes épuisés, que vous avez besoin de défoulement après vous être battu pour votre os ? Le soir venu, on sort : l’exutoire dans l’alcool, dans l’excitation des sens, devient le remède rapide et efficace, ne serait-ce que pour se sentir vivant en se remplissant la panse de plaisir. Et qui remplit cette panse pour faire perdurer jusqu’au last call l’ivresse de la Bacchanale ?

Olivier Kemeid et le metteur en scène Frédéric Dubois nous fait le cadeau d’ouvrir les portes d’un bar cheap de Montréal après les heures de fermeture, dans lequel six waitress s’offrent, après le rush effrayant d’un party d’étudiants-ingénieurs, la possible libération de leur corps «en fonction» dans l’espoir de se le réapproprier et de le purifier jusqu’à la prochaine souillure, jusqu’au prochain évidement. Après avoir servi la débauche des hommes sur un cabaret d’offrandes, après avoir vendu le dionysiaque pour survivre monétairement, les serveuses s’éclatent dans une orgie de mots visant la destruction de la bassesse, la leur, celle des phallocrates, afin de trouver ne serait-ce qu’un peu de force pour arriver à rester et à défendre ce territoire qui est le leur.


Crédit photo: Valérie Remise 

Bacchanale est un spectacle haut en couleur qui exploite en surdose les clichés de l’univers des serveuses, tout en essayant de les rattacher aux grands mythes fondateurs, ceux d’Euripide, de Michel Tremblay, ceux des femmes qui ont toujours été au service de la puissance de l’homme. Dépassé? L’asservissement des femmes «victimes», surtout de celles travaillant dans les bars, n’a-t-il pas été franchement résolu, à la fois dans le rapport au client et dans la force du caractère féminin insufflé par ce qu’on appelle la dignité ? Présenter de tels personnages – des serveuses pas trop futées, hystériques, cosmétiques, aguicheuses par «nécessité» – demande-t-il une prise en considération du phénomène en tâchant d’aller au-delà du jugement ? Il faut absolument aller puiser dans la profondeur du discours  entourant la création du spectacle afin de ne pas rester coincé dans l’image première de vulnérabilité, de furie et d’explosion féroce et maladroite de la douleur qu’offre la mise en scène.

Outre le maniement un peu décevant du propos et de toute la richesse analogique dans le traitement scénique, il faut dire que nous arrivons quand même à trouver un vrai plaisir au spectacle et ce, grâce à la performance de six actrices flamboyantes qui défendent la complexité du texte de Kemeid avec une rigueur inébranlable et un amusement déchaîné. Passant du plus-joual-que-joual (rions encore du «réfrigérerateur» et du «crêpage de chiffons») à la poésie expressionniste des plus grands fantasmes de liberté sensuelle, elles arrivent à atteindre une dimension sacrée, mythique, façonnant les images de transcendance dans un rythme effréné, ahurissant. Passant du vulgaire attirail sexy à la fourrure de chienne-louve excentrique, les costumes assurent la transformation dans la nuit en décadence, parvenant à dresser une cohérence au cœur de l’éclatement des discours et du montage tissé serré d’éléments hétérogènes constituant l’identité de personnages extrêmes, irrationnels.

Bacchanale se voit davantage comme un évidement dans la folie et une ode à la survie qu’une débauche festive et excitante du corps et des sens. On en garde un certain goût amer et l’impression fatale que la roue infernale du temps et de l’argent fait de l’individu une simple cruche que l’on vide et que l’on emplit, interminablement, sans jamais trouver la purgation ni le repos. Délivrance ou enlisement ? Il ne reste que l’appel aux grands mythes, à l’essence de la chute et du devenir, à l’essence du réel, de la transformation. Un appel à la force de continuer, et à l’amour, aussi… parce qu’il en reste bien quelque part… dans le fantasme.

24-02-2008