Du 16 au 20 octobre 2007 (La Bordée)
Du 29 novembre au 15 décembre 2007 (Théâtre d'Aujourd'hui)
27 janvier (Salle Jean-Grimaldi, Cégep André-Laurendeau, 1111, rue Lapierre, porte 6, LaSalle)
Discours de la méthode
Texte : René Descartes
Adaptation :
Loup bleu
Mise en scène : Antoine Laprise
Avec Antoine Laprise, Jacques Laroche, Dominique Marier et Guy Daniel Tremblay
Loup Bleu, auteur omniscient, nous propose une version revue et corrigée de la plus connue des oeuvres de René Descartes. Bien que père de la science moderne, Descartes n’échappera pas à l’analyse acide du libre-penseur Loup Bleu. Qu’en est-il encore aujourd’hui de ses questionnements des origines : « D’où vient-on ? Où va-t-on ? » ? Et comment peut-on prétendre à la face même d’un loup que « la raison est le propre de l’homme » ? Loup Bleu en attend toujours la preuve. Tout canidé qu’il soit, il entend bien faire la démonstration de toutes les contradictions de notre philosophe sur les questions de la séparation de l’âme et du corps. Loup Bleu sèmera le doute dans le champ de certitude de Descartes l’entraînant dans l’arène théâtrale et jouant le malin génie qui démontera le penseur et fera éclater sa réserve habituelle.
Assistance à la mise en scène : Isabelle Larivière
Scénographie et éclairages : Christian Fontaine
Marionnettes et accessoires : Claudia Gendreau et Julie Morel
Une création du Théâtre du Sous-Marin Jaune
La Bordée
315, Saint-Joseph Est
Billetterie : 418-694-9721
Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900
La 100e représentation du Discours de la méthode
Descartes et Loup Bleu :
Descartes Bonjour tout le monde! Je suis René Descartes, alors je pense donc je suis!
Loup Bleu intervient:
Loup Bleu Excusez-moi Descartes…
Descartes Bonjour Loup Bleu…
Loup Bleu Qu’est-ce que vous faites-là? Parce que je voulais vous dire que le prochain projet du Sous-marin jaune c’est Les Essais de Montaigne, alors c’est pas mal fini votre temps.
Descartes Oh! Je m’excuse! Loup Bleu! Je m’excuse! Je reviens justement d’une tournée mondiale en Belgique et je m’apprête à faire ma 100e représentation du Discours de la méthode que nous reprenons pour trois semaines au Théâtre d’Aujourd’hui.
Loup Bleu La 100ème représentation du Discours de la méthode? C’est un événement à ne pas manquer!
Descartes Hé hé hé… J’espère bien, j’espère bien!
Loup Bleu Excusez-moi, Descartes, mais je dois vous manger.
Descartes Arrêtez, Loup Bleu, vous me chatouillez! Haaa!...
Loup Bleu s’empare de Descartes et l’engloutit.
Loup Bleu Comme chacun sait, il est parfois tout aussi glamour d’assister à une dernière mondiale qu’à une première! Frères humains, rendez-vous au Théâtre d’Aujourd’hui pour la reprise finale du Discours de la méthode! Nous ne reviendrons jamais!
La discussion ENTRE Loup Bleu et Descartes a été croquée sur le vif !
Du 22 mars au 16 avril 2005 (Québec)
Du 21 novembre au 9 décembre 2006 supplémentaires du 12 au 16 décembre 20h
au Théâtre d'Aujourd'hui et le 24 janvier 2007 au Théâtre Outremont
+ tournée au Québec et en Belgique (2007)
Entrevue
par David Lefebvre
C'est dans le petit salon sous la scène de La Bordée
que j'ai attendu Antoine Laprise, acolyte du Loup bleu. Il devait nous parler
de leur dernière création, Le Discours de la méthode.
Voici ce qui en a résulté...
Tout d’abord, quel a été votre cheminement
de carrière?
J’ai fait le Conservatoire de Québec, je suis sorti en 1990.
J’ai joué à Québec, je suis parti un an pour faire
la Course destination monde, puis j’ai fait de la réalisation
3 ou 4 ans et je suis revenu au théâtre. J’ai ensuite fondé
le Théâtre du Sous-marin jaune.
Pourquoi alors manipuler des objets sur scène? D’où
cela vient-il?
C’est un peu flou… Ça vient probablement de l’enfance,
c’est ancré très loin en moi. Cela a été
réactivé par le travail à l’école. Dans
les années 80, c’était très axé sur le théâtre
d’objet, motivé par l’esprit de Jacques Lecoq à
Paris et par Marc Doré et Michel Nadeau. J’ai fait de la marionnette
avec Josée Campanale à la sortie du Conservatoire de 1991 à
1994, ça a été une école, une formation importante.
En quoi octroyez vous le succès du Loup bleu?
Je pense qu’il faudrait demander au gens en sortant… Je crois
que c’est sa position particulière comme animal, comme marionnette.
Il a un pseudo détachement par rapport à l’humanité,
ce qui lui permet d’être snob, baveux et intelligent, drôle,
crétin et idiot… C’est un personnage séduisant en
soit. Ses lignes sont d’une grande simplicité, des traits à
peu près nuls, qui rappellent les personnages de l’enfance, en
référence à Jim Henson et The Muppet Show. C’est
clair que ce sont mes influences : The Muppet Show et Sesame Street! Les numéros
de Ernie et Bert sont les plus drôles que j’aie vu de ma vie.
Autant que Laurel et Hardy ou Chaplin… Sesame Street, pour moi, c’est
ce qu’il y a de plus drôle niveau marionnette.
Avec les trois spectacles (Candide, La Bible et Le Discours de la méthode)
les dialogues semble très importants. Est-ce que vous préconisez
plus l’esprit que l’émotion?
Non, c’est la même chose. L’émotion peut jaillir
d’un lien d’esprit, c’est peut-être même en
lutte contre la notion de l’émotion au théâtre.
Qu’est-ce qui provoque l’émotion au théâtre?
Dans le bunraku, chez les Japonais, l’émotion esthétique
doit toujours être référentiel et doit toujours être
doublé d’une allusion qui a été fait en parallèle.
On considère l’émotion comme un truc un peu «bébé
la la», un peu simpliste, tout d’un bloc; un premier niveau sans
nuance et surtout sans arrière pensée. C’est pourtant
souvent l’arrière pensée qui va déclencher l’émotion,
ce n’est pas parce qu’il y a une musique qui «dit»
que c’est triste que ce l’est… Oui ça peut te faire
pleurer, d’ailleurs on joue dans le présent spectacle avec ce
genre de concept : on reprend la même musique de l’agonie de Descartes
et on lui fait une fausse mort… C’est un commentaire sur l’usage
de la musique au cinéma et au théâtre…
Votre texte pour Le Discours… est dense, chargé intellectuellement.
Quelles ont été vos recherches sur l’homme et la philosophie
en général? Vous en avez fait beaucoup?
On pourrait passer une vie là-dessus… Je répondrais par
une boutade : on aurait pu faire un spectacle sur un commentateur de Descartes,
car en cours de route, on se rendait compte qu’on aurait pu créer
une pièce sur Geneviève Rodis-Lewis écrivant sur Descartes,
sur Jacques Brunschwig ou Ferdinand Alquié, des grands commentateurs…
Le commentateur ou l’exégète a autant de personnalité
que l’auteur qu’il commente, des visions particulières,
des regards particuliers, c’est intéressant! Quand on s’aventure
chez Descartes, on s’aventure aussi chez ses commentateurs, ça
devient un va et vient incroyable et il faut se forger une opinion à
travers ça, «ah moi je suis plus du côté de François
Chapelet, d’un tel ou d’un autre» alors évidemment
c’est de la recherche, de la lecture… Ça fait plus d’un
an que je parle de ce spectacle. Je n’ai pas fait autant de recherches
que j’aurais voulu mais disons qu’il n’y a pas de limite
à la recherche, on peut faire ça durant plusieurs années…
Qu’est-ce qui a motivé la création de ce spectacle?
Le choix des pièces se fait de plus en plus conformément à
la volonté du Loup bleu, tranquillement on se laisse influencer par
ce qu’on croit être sa personnalité, on est guidé
par un personnage qu’on a inventé; c’est un retour d’ascenseur.
On a mis un loup à la tête de notre attelage et on se laisse
guider. Après coup, après avoir fait Descartes, la réponse
est plus simple qu’avant. Je dirais que le mot d’ordre de la compagnie
serait d’utiliser des œuvres dont une phrase ou une expression
est passée dans le langage courant. Avec Candide, il y avait tout est
pour le mieux dans le meilleur des mondes ou quelques arpents de neige ; dans
La Bible il y en a profusion et dans Descartes Je pense donc je suis…
C’est une question de réflexion sur la transmission. Chez le
Loup bleu, il y a un souci de déterrer la vérité, comme
Descartes la cherchait. Le Loup bleu cherche à déterrer un peu
les racines de la pensée; je pense qu’à notre époque,
c’est une chose excitante ou intéressante pour les spectateurs
et pour les créateurs.
Ça devient éducatif…
Oui, d’une certaine façon… Le mot «éducatif»
est dangereux à manier, mais en effet, on apprend des choses, on se
pose la question sur l’héritage de la pensée, d’où
on vient, les origines…
La pièce semble se questionner beaucoup sur l’importance
et le rôle du marionnettiste : il n’est pas Dieu mais l’âme
de la marionnette…
J’avoue que nous aurions pu faire la pièce sur ce paradoxe du
début à la fin, mais nous n’avons pas fait ça,
mais évidemment c’est clair que le paradoxe est exposé.
On a laissé un espace pour que les spectateurs ressentent ce paradoxe
plus que de leur expliquer le triangle acteur-marionnette-spectateur…
Ça aurait pu être très drôle. Ce qu’on aurait
probablement fait si on avait eu plus de temps, mais oui, c’est sûr
que le marionnettiste est l’âme de la marionnette.
Vos collègues et vous-mêmes êtes au départ
des comédiens… Pour le Théâtre du Sous-marin jaune,
lequel, entre comédien ou marionnettiste, est la priorité?
Comme la personne est à vue, il est clair que c’est le comédien
qui est mis de l’avant. Mais c’est un choix d’acteur, comme
tu le dis on est des comédiens avant tout et non des marionnettistes.
C’est ce qui nous différencie je crois des autres marionnettistes
qui font un travail plus «artisanal» dans le sens noble de l’affaire,
comme le Théâtre de sable, Kobol Marionnettes ou l’Avant
pays. Ils font des choses plus artisanales, un travail de longue haleine,
nous sommes plus ponctuel, on se sert de la marionnette pour parvenir à
un but, faire passer un message.
C’est plus un médium…
Oui, du fait, ça nous oblige à nous impliquer dans le travail
de la marionnette et de sa manipulation, on ne le fait pas n’importe
comment, mais on a un côté plus relâché. L’acteur
prend des raccourcis avec la marionnette et spécialement dans ce spectacle.
On retrouve dans la pièce beaucoup de décors et marionnettes
en deux dimensions versus quelques marionnettes en trois dimensions, dont
Descartes, sa femme et sa petite…
Oui c’est concept, pour le côté mathématique de
Descartes.
Pourquoi le carton?
C’est du «low tech», c’est pour démontrer
au public la théorie qu’on peut faire quelque chose d’artistique
avec rien, avec des matériaux très simples… C’est
une révérence à l’imagination. Le théâtre
est un art pauvre et la richesse du théâtre est le corps de l’acteur.
Le théâtre se passe beaucoup dans l’esprit du public; je
trouve que le cinéma, malgré qu’il ait apporté
des choses extraordinaires au niveau du réalisme, semble beaucoup mettre
de côté l’utilisation de l’imaginaire du spectateur,
depuis quelques années du moins. Bien sûr, cela dépend
du réalisateur… Mais j’aime les réalisateurs qui
vont laisser beaucoup de place à l’esprit du spectateur. Au théâtre,
c’est l’endroit par excellence pour cela. C’est un art qui
peut se faire sans électricité, c’est un art dépouillé,
c’est un art pour les temps de guerre… C’est un véritable
laboratoire pour l’imagination!
Est-ce que le texte du Discours… est déjà défini
ou s’il y a une dose d’improvisation?
La dose d’impro va augmenter, c’est sûr il y a des mots
d’esprit qui se rajoutent au fur et à mesure. Il y a une base
à la pièce, on travaille une scène ensemble et souvent
on insère des réflexions comme par exemple, Descartes qui répond
au téléphone et qui dit : «Allo, je doute», c’est
de Jacques Laroche…
En terminant, quel est le public parfait pour le Loup bleu?
C’est un public qui commence vers l’âge de 6 ans et qui
se termine vers 99. Plus c’est métissé, mélangé,
plus c’est le fun. On a besoin de gens qui ont des références
intellectuelles, des gens qui ont des références historiques,
sociales… On a besoin de gens qui n’ont pas ces références
là, on a besoin d’enfants dans la salle qui vont davantage «tripper»
sur les couleurs, les mouvements, les rythmes et tout ça mélangé
ensemble crée un espèce d’agitation dans le public. Tout
le monde est en train de se poser des questions « qu’est-ce qu’il
a dit, je comprends pas? Qu’est ce que ça veut dire? »
Les vieux répondent aux jeunes, les jeunes rient, les vieux rient…
Tout le monde a du plaisir! Nous tentons de faire du théâtre
pour tout le monde, mais pas dans le sens «facile pour tous»…
Un théâtre qui est là pour faire une agitation dans un
public varié.
(pour lire la critique de Magali Paquin, cliquez ici)
par David Lefebvre
Allô, je doute?
Après avoir, comme ma collègue de Québec l’a brillamment écrit, disséqué l’une des œuvres fondamentales de la modernité, soit Le Discours de la méthode, de René Descartes, dans un théâtre de la Vieille Capitale et sur la route, le Loup Bleu et toute sa troupe s’amènent enfin pour le présenter au public montréalais. Après le succès de La Bible en 2002, il n’est pas étonnant d’apprendre que le présent spectacle affiche déjà complet pour la plupart des représentations.
Le Discours de la méthode est une adaptation très libre de la vie et des écrits de Descartes. Publié en 1637, le traité (sous-titré pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences) a été écrit directement en français (une première), puisqu’il le voulait accessible « même aux femmes ». Mais plus encore, c’est un tour d’horizon historico-philosophique et religieux de la pensée humaine de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Le texte, dense, parfois très intellectuel (mais tout de même accessible), peut être difficile à suivre, surtout dans la première moitié du spectacle. Mais la mise en scène délurée et terriblement inventive d’Antoine Laprise vient alléger et donner un souffle de folie à ces lourdes réflexions sur la preuve irréfutable de notre existence («Je pense donc je suis»). Le Loup demande même à l’assistance, à quelques reprises, s’il y a des questions (allez-y, n’ayez pas peur d’en poser! Les réponses pourraient être fort surprenantes). Les idées de génie sont nombreuses, à commencer par le premier élément de décor, un mur de boîtes de carton qui nous présente les différents penseurs de l’école de la scholastique (Socrate, Platon, Aristote, Jésus, Saint-Augustin, Saint-Anselme, Saint-Bonaventure et j’en passe) à la bouche et aux yeux articulés. Chacun y va de son petit commentaire, en s’écorchant au passage pour notre plus grand plaisir. Descartes, another brick in the wall of the philosophy, tente et réussit, par sa nouvelle méthode de pensée basée sur la raison, à abattre ce mur grâce à ses questionnements et à ses doutes. Ces boîtes servent, ensuite, aux différents éléments de décor et comme accessoires. Suivant la forme du texte original, la pièce nous présente les six parties de la méthode, devenant ici tableaux «biographiques» dans lesquels on utilise différents styles : marionnettes, ombres chinoises et manipulations d’objets. On retrouve l’esprit mathématique du philosophe jusque dans la conception des accessoires et des marionnettes : seuls Descartes, sa servante et leur enfant seront en trois dimensions. Tous les autres personnages (à l’exception du Loup Bleu) sont créés à partir de carton, donc en deux dimensions. L’équipe de création se permet plusieurs écarts chronologiques et anachronismes, soit pour démontrer certains points de vue (par exemple, comment Descartes explique l’intégration de Dieu dans sa pensée pour ne pas avoir de problèmes avec Rome et l’Inquisition) ou pour dynamiser la mise en scène (comme la scène de l’entrevue radiophonique avec une animatrice verbeuse appelée Marie Patch, interprétée par l’irrésistible Dominique Marier). Guy-Daniel Tremblay, qui prête sa voir, entre autres, à l’Abbé Mersenne, fait aussi un travail splendide. Jacques Laroche est merveilleux « en » Descartes et Antoine Laprise aide le Loup Bleu du mieux qu’il le peut (donc franchement bien)…
La pièce trace un portrait large mais délicieusement intelligent de l’homme, de son entourage et de sa pensée. Mais l’équipe du Loup Bleu nous emmène plus loin : le spectacle est aussi une réflexion sur l’être humain versus l’animal, mais, surtout, sur le triangle comédien-marionnettiste-marionnette. Est-ce que le manipulateur est l’âme de la marionnette? Descartes s’apercevra, en utilisant sa méthode, qu’il n’est autre chose qu’un pantin manipulé, en découvrant son manipulateur. Cette scène est fascinante et ouvre plusieurs portes. Les comédiens sont alors plus que des marionnettistes : ils interprètent leurs personnages et sortent de leur anonymat en jouant à vue. Ils se permettent certains décrochages et même plusieurs émotions, comme l’amour, la tristesse et la colère (la scène de poursuite entre Laprise et Jacques Laroche, abandonnant leurs marionnettes respectives et les reprenant en otage, est hilarante) nous offrant plusieurs moments délirants.
Ludique, souvent absurde, mais documenté jusqu’au museau, Le discours navigue sur les époques, les courants de pensées et artistiques (tel le cubisme, à voir, dans la conception des différentes marionnettes) avec aisance et lucidité. Avec un profond désir de vulgarisation, l’équipe du Loup Bleu arrive sans peine à intéresser autant les néophytes que les intellos.
Des questions ?
25-11-2006
par Magali Paquin
S’adressant à ses frères et sœurs humains,
le Loup Bleu dissèque à La Bordée l’une des œuvres
fondamentales de la modernité : « Le discours de la méthode
» de René Descartes. Plongeant dans les profondeurs de la pensée
cartésienne, le sympathique animal tente, par l’humour mais sans
jamais tomber dans la facilité, d’amener son public à
comprendre le raisonnement derrière le fameux « Je pense donc
je suis ». Pour Antoine Laprise, metteur en scène et «
main dans le Loup Bleu », le projet peut sans aucun doute être
qualifié de réussite.
Après s’être attaqué à Candide de Voltaire
puis la Bible il y a quelques années, le Loup Bleu entraîne cette
fois son public à l’époque de Descartes (1596-1650), tout
en proposant un dialogue avec plusieurs philosophes ou personnalités
scientifiques, politiques ou spirituelles marquantes : Socrate, Platon et
Aristote bien sûr, mais aussi St-Augustin, St-Thomas, Jésus,
Copernic et cie. La pièce s’ouvre sur un mur construit de boîtes
de carton, où les personnages, naïvement peints sur la cloison,
n’ont que la bouche et les yeux d’articulés. Jouant avec
ces briques improvisées, le Loup Bleu introduit au sujet de son exposé
: l’œuvre cartésienne, qui par le biais du « Discours
de la méthode », vise à faire s’écrouler
le mur de la scolastique pour vanter les mérites de la raison. La pièce
se présente sur la même forme que le Discours, en respectant
ses six parties tout comme la Méthode en tant que tel. S’y entrecroisent
des extraits de la théorie cartésienne et diverses anecdotes
concernant la vie du philosophe dans un fréquent aller-retour entre
les époques, sans guère se soucier des anachronismes. C’est
ainsi qu’au niveau des décors et de certains personnages on surfe
sur différents courants de l’histoire de l’art survenus
bien après Descartes, comme le constructivisme, Mondrian ou le cubisme.
Est-ce un hasard si ceux-ci s’inscrivent également dans le rejet
de la métaphysique au profit d’une rigueur esthétique
et artistique? Mieux vaut penser qu’il s’agit d’un choix
délibéré, faisant montre d’un souci de cohérence
à tous les égards. Le spectacle est d’ailleurs truffé
de petites perles que les intellos prendront plaisir à rire en douce,
sans que ne soient pour autant écartés les néophytes.
Entre la vulgarisation philosophique, l’humour absurde et le documentaire
rigoureux, l’équilibre y est pour que tous quittent la salle
avec une certaine satisfaction intellectuelle et le sourire aux lèvres.
Et en terme d’absurdité, le nouveau corps du Loup Bleu est absolument
délirant…
Une vingtaine de boîtes de carton rectangulaires constituent le principal
élément du décor, bien qu’un mur de céramique
blanche percé de portes et de fenêtres ait été
élevé au fond de la scène. Peintes différemment
sur leurs six faces, ces boîtes permettent de transposer l’action
dans différents lieux par une simple modification de leur disposition,
ou encore de faire apparaître de nouveaux personnages, sur leur flanc
ou par leur contenu. Malgré l’intérêt que présente
le concept, il semble au premier regard que le Théâtre du Sous-marin
jaune ne bénéficie pas du même portefeuille que d’autres
productions au succès assuré : le Loup Bleu n’est pas
encore une tête d’affiche malgré ses quelques groupies
inconditionnels. Mieux vaut donc faire abstraction de la fragilité
du décor pour se concentrer sur l’esthétisme et l’originalité
des marionnettes. Arborant divers styles et nécessitant pour la plupart
une manipulation distincte, elles personnifient Descartes, son entourage et
d’autres personnages fictifs. Les marionnettistes (Jacques Laroche,
Dominique Marier, Guy-Daniel Tremblay) sont indéniablement mis à
contribution. Plutôt que de tenter de se faire invisibles, ils s’immiscent
carrément dans l’action, parfois même de façon importante.
L’on se permet même de briser le mur habituellement érigé
entre la marionnette et son opérateur dans une scène où
Descartes prend conscience de son état de pantin manipulé. Absolument
délicieux.
Le spectacle se veut aussi agréable pour les spectateurs de passage
que pour les amateurs de philosophie, mais il est vrai que ces derniers y
prendront un plaisir particulier. Le texte peut parfois être lourd malgré
le souci de vulgarisation, mais qui apprécie l’humour du Loup
Bleu et de ses acolytes pourra retenir du spectacle son caractère avant
tout ludique et franchement rigolard. Quoi qu’il en soit, cette pièce
conjugue de façon exceptionnelle ludisme et intellectualisme, comme
quoi l’humour peut effectivement être intelligent, tout comme
la connaissance peut être drôle…