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Du 1er au 26 avril 2008
Complet les 10, 11, 12 , 15, 16, 17, 18, 22 et 23 avril

Supplémentaire dimanche 20 avril 15h, 29 avril à 19h et le 30 avril à 20h

Oreille, tigre et bruit

Texte d'Alexis Martin
Mise en scène de Daniel Brière
Avec Christian Bégin, Evelyne de la Chenelière, Éloi Cousineau, Patrick Drolet, Fanny Mallette et François-Étienne Paré

Hubert Alain est animateur de radio. Sur le plateau de son émission, Le cercle de Montréal, il reçoit des romanciers, des chercheurs, des universitaires... des personnages qui tiennent et « retiennent » des discours. Hubert Alain entend donc beaucoup de mots. Des tonnes de mots. Mais il entend aussi un bruit. Un bruit de fond que ni lui, ni son médecin n’arrivent à expliquer. Est-ce que c’est possible qu’il y ait une quantité limitée de mots… de sons qu’on puisse absorber ? Je veux dire, peut-être, que si on dépasse, si on crève un certain plafond, l’oreille bloque. Hubert Alain est saturé. Quand il se lève la nuit pour profiter du silence, il réveille, malgré lui, sa femme Claire et la nécessaire communication recommence. Et dans son oreille, il y a toujours le même bruit. Avec la pièce d’Alexis Martin, on plonge dans le subtil bourdonnement de l’ère de la communication. Les personnages tanguent avec finesse entre une thèse et sa caricature, multipliant les discours jusqu’à l’abîme, la pièce devenant un discours sur le discours, entre autres, par les discours radiophoniques des invités du Cercle de Montréal. L’humour se mêle avec brio à une réflexion complexe sur les mots, leur pouvoir et leur valeur. Quel poids ont les mots qu’on dit à la radio ? À son médecin ? À sa femme ? Lesquels sont les plus vrais ? Lesquels contribuent au bruit de fond ambiant ? (Si, bien sûr, une telle chose existe…) Peut-être qu’à force de dérapage verbeux, le langage et les thèses peuvent s’user et devenir du bruit. Comme celui qu’entend Hubert Alain. La solution, c’est alors de foncer dans la poésie, la fable. De partir avec le Dr Ming, l’acuponcteur, à la recherche de la cause du bruit et de trouver le tigre… Oreille, tigre et bruit déborde de fantaisie, de sens et de non-sens. C’est une pièce qui déroute et amuse. Un texte qui pose avec humanité le problème de l’hypercommunication.

Assistance à la mise en scène et régie : Nadia Bélanger
Scénographie et accessoires : Jonas Verof Bouchard
Éclairages : Nicolas Descôteaux
Vidéo : Yves Labelle

Une création du Théâtre d'Aujourd'hui

les mardis à 19h
du mercredi au samedi à 20h
et dimanche le 13 avril à 15h

Mercredi rencontre à l'issue de la représentation du 9 avril 2008
La représentation du deuxième mercredi de représentation est suivie d'une rencontre avec l'équipe de production du spectacle. Animé par Marie-Thérèse Fortin, ce rendez-vous est l'occasion pour le public de poser ses questions aux auteurs, metteurs en scène, comédiens et autres concepteurs artistiques.

Les Curiosités d'Alexis Martin à l'issue de la représentation du 15 avril 2008
En partenariat avec Le Devoir, le Théâtre d'Aujourd'hui organise le troisième mardi de représentation une discussion autour des thèmes de la pièce avec des gens de divers horizons qui, avec leur regard à eux, leur histoire et leur sensibilité, s’interrogent à voix haute sur le sens des oeuvres.

Théâtre d'Aujourd'hui, salle principale
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

 

par David Lefebvre

Alexis Martin signait et montait, avec le NTE en 1996, la pièce Oreille, tigre et bruit. Avec l’explosion récente des moyens de télécommunications, la pièce expose un questionnement encore plus légitime qu’à l’époque : est-ce que l’hypercommunication abrutit le message ? Est-ce que la quantité et la rapidité des moyens communicationnels empiètent sur le véritable sens des mots, sur leur impact, leur pouvoir ? Quelle est alors la valeur du discours, si celui-ci est noyé dans un flot de babillages et de non-sens, malgré l’érudition des intervenants ?

Un brillant animateur d’une émission de télé sur la littérature, à la verve intarissable, voit tout à coup son oreille droite envahie par un son parasite, un bruit blanc ressemblant à une chute d’eau. Ce qui lui rappelle le tigre qu’il imaginait, enfant, sur le tapis de salon chez ses parents. Son médecin ne trouve aucune explication, et se tourne vers un éminent collègue asiatique, qui capte le rugissement du félin dans l’orifice auditif de l’animateur. Par une fable, il lui explique que le rugissement du tigre est le gardien du silence, un silence dont l’animateur est en quête, jusqu’à se lever la nuit pour en profiter. Sa compagne de vie, inquiète, tente d’entrer en contact avec lui, mais il arrive mal à expliquer son cas, à renouer avec elle, replié sur son propre malaise. Le «silence relatif» qui s’est installé entre eux brouille les deux amoureux et est lourd à porter pour la jeune femme, qui n’a pas dialogué avec lui depuis des semaines, qui n’a pas senti son amour depuis encore plus longtemps. Il est en perte de repères, la réalité se distancie, et la saturation sonore devient insupportable.

Réflexion pleine d’humour sur les impasses d’une communication sursaturée et sur la prolifération de sens et non-sens dans les messages et les discours, Oreille, tigre et bruit est aussi l’écho d’un vide. C’est l’effet, du moins, que nous laisse le spectacle, pourtant habilement écrit. On se rend compte, dès l’entrée en scène des comédiens, de l’intelligence du propos, des nombreuses subtilités, de la qualité de la langue et du texte, mais la démonstration d’un vide, dans la plupart des dialogues, en plus de ce gênant bruit de fond, nous abandonne nulle part ailleurs que dans le désert. On peut alors se rabattre sur les imbroglios et autres situations cocasses qui déclenchent les rires, ou sur les multiples liens et références à l’écrivain français Georges Bataille, que l’on retrouve un peu partout (dans les sujets, comme le mysticisme athée, la sexualité, ou les termes linguistiques, comme les préfixes de négation (a-Dieu, pour l’absence de Dieu, par exemple -  probablement en référence au projet de Bataille intitulé La Somme athéologique), ou les personnages, comme Mme Edwarda).

François-Étienne Paré interprète avec aisance Hubert Alain, cet animateur de télévision de plus en plus parasité, partagé entre son plateau, sa chambre à coucher et le cabinet du médecin. Les invités de l’émission, totalement pittoresques (joués savoureusement par Christian Bégin, Evelyne de la Chenelière, Éloi Cousineau et Patrick Drolet), parlent de l’absence de Dieu, de sexualité, de la mort et des nouvelles technologies avec ardeur, proposant de jolis moments de discussions colorées. Une grande différence se perçoit entre l’environnement frénétique du plateau, aux sièges rouges et aux plantes en plastique, et le calme de la chambre, qui semble être dans un énorme haut-parleur (la scéno est d’ailleurs remarquable). C’est à cet endroit que nous devrions ressentir toute la vulnérabilité d’Hubert, face à son repli, incapable de communiquer avec l’une des seules personnes, simple et vraie, de sa vie. Mais encore ici, Fanny Mallette, l’interprète de la femme d’Hubert tout comme le spectateur ne frappent que l’incompréhension, l’amertume et le souci.

L’adaptation et la mise en scène de Daniel Brière respectent scrupuleusement l’univers de son ami Alexis Martin, tout en actualisant le propos. Telle une signature, il réutilise des techniques de leur compagnie de théâtre (NTE) : jeux d’éclairages étudiés, projections low-tech (même si elles sont en 3D), utilisation d’un caméscope lors de la scène de la fable orientale du tigre et du chasseur - images diffusées sur un écran de télé… L’ajout des ambiances musicales du compositeur John Rea est une excellente initiative, enrichissant l’environnement sonore du spectacle. Le trouble physique qui incommode le personnage principal est perceptible et rendu physique grâce à quelques hallucinations auditives (miaulement d’un chat), par la modification et la réverbération de certains sons ambiants, ou encore par un bruit de friture ou un son strident (communément appelé, dans le milieu télé, « tone »). Même s’il avait été justifié de le faire, on ne décèle aucune exagération de ce procédé.

Sans dire « trop de bruit pour rien », Oreille, tigre et bruit divertit savamment, mais ne suscite pas de grands débats. Serait-on complètement assommé et engourdi par le flot incessant de la communication de masse pour ne pas être davantage touché ?

04-04-2008