Du 23 octobre au 10 novembre 2007 (Théâtre d'Aujourd'hui)
Du 22 janvier au 16 février 2008 (Trident, Grand Théâtre de Québec)
Quat'Sous saison itinérante
Terre océane
Texte de Daniel Danis
Mise en scène de Gill Champagne
Avec Arnaud Aubert, François Clavier, Marie Pascale Côté, Sébastien René
Gabriel a 10 ans et est atteint d’un cancer incurable. Sa mère adoptive, incapable de côtoyer l’intolérable maladie de son fils, le renvoie à son père d’adoption, Antoine, qui ne l’a pas vu depuis une éternité. C’est là que commence la tempête. Tourbillons dans la vie bien établie d’Antoine, déracinement de Gabriel. Mais l’oncle Dave, le chaman du fond des bois, les attend dans un refuge éloigné, à l’abri des eaux troubles. Le père et le fils partent rejoindre le vieux sage, qui les accueille et les accompagne dans la tourmente. S’ensuit un long parcours empreint de tendresse dont la destination est inévitable : le départ de Gabriel vers un océan inconnu.
Scénographie : Jean Hazel
Conception sonore : Jean-Michel Dumas
Direction de production : Marilou Castonguay et Francine Boulay
Régie : Alexandre Brunet
Éclairages : Éric Guilbault
Une création du Théâtre de Quat'Sous (Montréal), Le Théâtre du Trident (Québec), Logomotive Théâtre (Elbeuf sur Seine, France) et Art/Science (Montréal)
Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900
Le Trident
269, boul. René-Lévesque Est
Billetterie : 418-643-8131 - 1-877-643-8131
par Isabelle Girouard (Québec)
Daniel Danis n'échappe pas à lui-même avec Terre Océane. Cette fois-ci, il nous livre sa poésie-torrent à travers trois figures masculines: l'enfant, l'oncle, le père. C'est à travers la tête du dernier que l'histoire nous parvient, à travers le filtre d'une caméra vidéo capturant le temps en images. À l'aube de la quarantaine, Antoine reçoit chez lui la venue inattendue de Gabriel, son fils adoptif, qu'il n'a pas vu depuis très longtemps. L'enfant n'apporte avec lui que des mots tragiques: à dix ans il est atteint d'une forme de cancer incurable et sa mère adoptive, ne pouvant plus supporter la maladie, le lui envoie. Bouleversé, Antoine suspendra sa vie pour s'occuper de son fils et se réfugiera chez son propre « père adoptif », l'oncle Dave. C'est dans une campagne, à l'abri d'une cabane isolée, que les deux hommes accompagneront Gabriel vers sa mort. Dans cet univers fermé, le père remontera tranquillement le chemin jusqu'au cœur de l'enfant déraciné et Dave, l'oncle chaman, sera leur guide vers l'invisible.
Ce magnifique texte de Daniel Danis est à l'origine un récit-théâtre publié en 2003 par Dazibao, centre de photographies actuelles. Le texte a été offert par son auteur à Gill Champagne, qui en signe aujourd'hui la mise en scène. Les deux hommes en sont à leur cinquième collaboration. Notons que ce texte permet aussi la rencontre du Québec et de la France, avec la compagnie Logomotive, de Normandie.
Terre Océane, malgré la lourdeur du sujet qu'elle porte, n'a aucune parenté avec le mélodrame. L'histoire se situe dans une réalité propre à Danis, qui s'approche du rêve et des impressions laissées par celui-ci. C'est dans cet univers si particulier que réside toute la richesse de l'œuvre: les personnages sont à la fois acteurs et observateurs, ils agissent et se racontent eux-mêmes. Terre Océane est un théâtre narratif, qui parvient au spectateur en images, en bribes de souvenirs. Il faut d'ailleurs insister, je crois, sur ce dernier point: le texte est la plus grande puissance et plus encore, la parole est la genèse du personnage.
Si la force de la langue est à ce point remarquable, elle pose en même temps une problématique difficilement inévitable pour le metteur en scène, celle de la transmission de la dimension théâtrale. Que deviennent ces mots dans l'espace dramatique, et surtout comment seront-ils portés par les comédiens? Ce questionnement surgira peut-être du spectateur devant la tranquillité de l'interprétation, tranquillité avec laquelle il vaut mieux se familiariser dès le début. Cette caractéristique a tendance à se traduire par l’absence de particularités physiques des personnages, qui finalement ne nous paraissent pas être totalement investis dans leur corps. En général, toute présence sur scène aura tendance à s'effacer derrière le texte.
Du côté de la scénographie, Terre Océane est d’une sobriété remarquable. À l'intérieur d’une structure de décor offrant deux niveaux, rien ne vient déranger l'œil du spectateur. Rien pour distraire, finalement, de la narration. Si cet univers est habilement exploité, aucun risque n'est tenté. Resterons-nous sur notre appétit?
Il n'y a pas de danger ni d'urgence, et pas plus de révolte dans Terre Océane, mais une force tranquille et poétique. Le sujet s'y prête bien.
26-01-2008
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par Mélanie Viau (Montréal)
Imaginez une mort sans peur, où des mains rassurantes se tendent, aidant à la traverse d’un long chemin en rondelles de merisier, jusqu’à la mer, jusqu’à l’infini. Voir en la mort une extension de la vie, un nouveau et vrai chez-soi, terre et océan à la fois. Plus qu’une mort, c’est l’histoire d’une tendresse inconditionnelle entre un enfant étranger et deux guides, deux pères par dévotion, pour qui le deuil du petit Gabriel soudainement réapparu dans leur vie se doit d’être qu’une souffrance parmi d’autres, une souffrance qu’il faut apprivoiser, un autre passage dans l’inconnu, un voyage. En ce mois des morts qui approche, le Quat’sous nous présente, en itinérance au Théâtre d’Aujourd’hui, Terre Océane, texte d’une élévation sublime signé Daniel Danis, mis en scène et en corps par l’illustre Gill Champagne. Une ode à l’existence, à la présence dans l’immensité, au courage face aux forces de la nature, au don de soi dans la tempête.
La visée « corporalisante » de la trame poétique trouve sa pleine et parfaite réalisation dans l’espace scénographique conçu par Jean Hazel. Un espace ouvert, sur un toit, dans la pleine verticale, suggère une ascension, une connexion entre les racines des origines et le déploiement léger de l’âme. À première vue, la froideur du matériau composant la structure droite et rigide du toit et de la « cabane » qui y est montée (tuiles de revêtement extérieur d’un gris argenté) donne un aspect stérile, froid, dépourvu d’intimité, insécurisant, mais sa neutralité et son caractère multi transformable offre un médium parfait pour y faire vivre la diégèse complète des images réalistes et oniriques constituant le récit. Le décor semble en totale connexion avec l’état du petit Gabriel qui, suivant l’évolution du cancer dévastateur, s’incline avec lui jusqu’à l’horizontal, jusqu’à la mort, dans une luminosité grandiose. Dans ce lieu, entre ciel et terre, se figurent des habitations, une forêt mythique de la campagne québécoise, un linceul. Les personnages, en exil, s’y enferment chaleureusement, s’y retrouvent en territoire souverain, et dans l’air tourbillonnant, dialoguent avec les éléments de la nature, s’offrent en souriant.
Crédit photos : Yanick Macdonald
Antoine (Arnaud Aubert, énergique et alarmant), père adoptif premier de Gabriel, vit une existence de parasites. Producteur de films à la carrière dévorante, ce businessman, cellulaire à la ceinture, devient vite une caricature, un homme faux aux émotions plaquées et étrangères confessées tantôt à sa caméra qu’il ne peut quitter, tantôt au public devant lequel il colle un quatrième mur, un filtre dur à casser. Les mots sortent de sa bouche comme un long fleuve tumultueux, sans poses, se chargeant également de la narration, du paratexte et des didascalies aux images surréalistes. Par moment, cette surenchère de notices pousse un peu trop loin l’étourdissement, surtout aux endroits où la chienne de Dave (incarnée joyeusement par Marie Pascale) surligne texto les actions et les gestes posés sur scène. François Clavier incarne un Oncle Dave dont la force et l’éloquence témoignent de la puissance indéniable dont peut faire preuve un homme de la terre, un grand sage. Les passages entre lui et le petit Gabriel (Sébastien René, jeune acteur qui ira très loin) sont d’une pure magie, à la hauteur de la langue de Danis.
Imaginez une symbiose d’éléments diversifiés visant tous à faire naître l’univers. Un amalgame des cultures, des voix, des moyens que chacun possède pour marquer sa place dans un monde du possible, dans un monde plus grand, élevé au-dessus du monde. Vous arriverez à croire que les poissons peuvent avoir des ailes.
26-10-2007