Du 9 au 20 décembre 2008 (COMPLET les 9, 10, 11, 12, 16, 17 et 18 déc.)
13 janvier 2009, Th. Outremont (514-495-9944)
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Assoiffés

Texte de Wajdi Mouawad en collaboration avec Benoît Vermeulen
Mise en scène de Benoît Vermeulen
Avec Simon Boudreault, Sharon Ibgui et Benoit Landry

Boon, un anthropologue judiciaire, témoigne d’une découverte étrange qui a fait basculer ses convictions et sa vie. À travers l’histoire de Murdoch, adolescent incapable d’arrêter de parler, et celle de Norvège, personnage affligé d’une transparente vulnérabilité, Boon replonge dans sa propre adolescence d’où ressurgit le fantôme d’un rêve abandonné.

Avec Assoiffés, neuvième création du Théâtre Le Clou, Wajdi Mouawad nous donne à entendre une parole singulière, lucide et engagée. Benoît Vermeulen, après Au moment de sa disparition et Romances et karaoké, nous propose à nouveau une forme étonnante où la barrière entre la réalité et la fiction se dissout, les frontières du temps explosent, la force de vivre triomphe de l’inertie.

Assistance à la mise en scène Catherine Vidal
Scénographie et Costumes Raymond Marius Boucher
Eclairages Mathieu Marcil
Environnement sonore Nicolas Basque
Environnement vidéo Martin Lemieux
Assistance à la scénographie et aux costumes Jasa Baka et Isabelle Dugua
Direction de production Joanne Vézina

Une production du Théâtre Le Clou en codiffusion avec Le Théâtre d'Aujourd'hui

Théâtre d'Aujourd'hui - Salle Jean-Claude Germain
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

par Daphné Bathalon

Wajdi Mouawad use d’une plume aiguisée pour peindre et dépeindre les travers humains, les douleurs, les peurs, les joies et les peines. Chacun des personnages qu’il crée nous apparaît intensément vivant. Ainsi, Assoiffés, pièce présentée au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 20 décembre, donne la parole à Murdoch, un adolescent coloré.

Le 21 février 1994 au matin, Murdoch s’est réveillé en réalisant que les choses qui avaient un sens pour lui, soudain, étaient mortes. En effet, pour quelle raison se lever le matin? Pourquoi manger quand on aura de nouveau faim et qu’on devra re-manger et qu’on aura re-faim et qu’on devra re-re-manger et qu’on aura re-re-faim et ainsi de suite? Afin de redonner un sens à son existence, Murdoch ressent alors le besoin de parler sans arrêt. Nous sommes venus pour l’entendre exploser et surtout entendre l’histoire de la dernière journée avant sa mort.

La pièce en elle-même se subdivise en trois couches théâtrales : il y a d’abord Boon, l’anthropologue judiciaire, qu’on vient de charger d’identifier les corps d’un jeune homme et d’une jeune femme, si fort enlacés que leurs chairs ont fusionné. Puis il y a Murdoch dont on raconte l’histoire. Boon l’a connu alors que lui-même était adolescent et rêvait de devenir auteur. Finalement, au cœur d’Assoiffés, on retrouve Norvège. Ce personnage imaginé par Boon se cache dans sa chambre, refusant d’en sortir, malgré les supplications de ses parents. La mise en scène de Benoît Vermeulen permet heureusement de bien distinguer les différentes couches théâtrales, grâce, entre autres, à l’apport des masques et du multimédia. La danse et la musique facilitent également les transitions et lient les scènes fragmentaires : un parfait coup de pouce pour aider le public à recoller les morceaux de ce récit.

Puisque les personnages évoluent sur une scène encombrée par une multitude d’accessoires et de déguisements, il est intéressant que le metteur en scène ait tout de même joué avec les mouvements et le langage corporel. Dans un décor qui ressemble à des coulisses de théâtre, Murdoch s’amuse en plus à créer de la musique électronique à partir de différents sons et mots, un environnement sonore signé Nicolas Basque.

Lors des scènes avec Norvège, les comédiens portent des masques tenant plus de la momie que de l’homme. L’ambiance irréelle qu’ils instaurent ainsi que l’incroyable secret que la jeune fille dissimule concourent à rendre la mise en abyme quelque peu déconcertante. Il est donc plus difficile de s’attacher à Norvège qu’à Murdoch, qui est bien ancré dans la réalité. Ce dernier fait même plusieurs fois référence à des lieux connus et à la société nord-américaine. Par ailleurs, le discours qu’il tient à l’arrêt d’autobus et celui qu’il tient pendant son voyage jusqu’à l’école sont savoureux et particulièrement bien servis par le dynamique Benoit Landry.

De fait, les comédiens s’approprient le texte à la fois dur et poétique de Mouawad : Martin Laroche (Boon) établit une complicité avec le public tandis que Landry crache les paroles de Murdoch comme autant de vérités implacables. Quant à Sharon Ibgui, c’est à travers son corps et ses gestes, plus que sa voix qu’elle incarne une Norvège à la beauté fragile.

Ces assoiffés de vivre auront donné à voir et à entendre, à penser et, peut-être, à comprendre. Si la mort a réduit Murdoch au silence, Assoiffés réveille en nous une quête de sens.

21-12-2008

 

Critique

par David Lefebvre

Boon, un anthropologue judiciaire, est appelé à enquêter sur une découverte mystérieuse : un couple enlacé, dont les chairs se sont soudées, vient d’être repêché du fleuve. L’événement bouleverse l’homme qui doit remonter dans son passé pour comprendre. Surgissent alors des souvenirs lointains… Un matin moche de février de l’année 1991, Murdoch se lève et ne se sent plus lui-même. Dès son réveil, un flot incessant de paroles jaillit de tout son corps et son âme. Chaque mot prend position, chaque phrase remet en question tout ce qui l’entoure, incluant sa propre existence et sa signification. Il veut comprendre, mais surtout ne plus être traité comme un enfant qui gobe tout ce qu’on lui dit. Ailleurs, le jeune Boon écrit le devoir de son frère aîné sur le thème de la beauté. Il invente Norvège, une adolescente qui s’enferme dans sa chambre durant plusieurs jours, et dans un mutisme qui inquiète au plus haut point ses parents.

Le texte imagé, révolté, engagé de Wajdi Mouawad donne une voix juste et ô combien importante aux interrogations des adolescents, chose rare au théâtre. Il est plus qu’aisé d’imaginer à quel point les mots de l’auteur peuvent réellement les toucher, éveiller même des réflexions, utilisant une langue appropriée (incluant sacres à tout vent, mais évitant les expressions de la rue), et une rythmique qui nous atteint, presque perturbatrice. Les idées provoquent, et ouvrent la porte à notre rapport au monde qui nous entoure et à notre place dans ce monde. Les personnages de Murdoch, brillamment interprété par Benoît Landry, et de Boon (excellent Simon Boudreault, qui s’en donne à cœur joie) sont savoureux. Sharon Ibgui complète bien la distribution, jouant, entre autres, le rôle de Norvège et de sa mère. Benoît Vermeulen a su donner la dose parfaite d’énergie et d’imagination au spectacle, usant de concepts aussi modernes que la vidéo, la musique électro en direct, que classiques (quoiqu’altéré) tels le masque (qui défigurent les personnages) et la danse. Assoiffés est un excellent exemple que le théâtre peut s’ouvrir à un public jugé difficile d’approche, que cet art peut surprendre, stimuler, passionner. Construit comme un puzzle, nous avons accès à des pièces pour compléter le portrait au fur et à mesure que le spectacle avance. Le décor juxtapose plusieurs styles : alors qu’au milieu de la scène, une énorme porte à la japonaise permet des projections, d’autres éléments rappellent l’aborigène, utilisant des bouts de branches et des têtes de squelettes.

Pièce sur les rapports humains, familiaux et la beauté que l’on doit à tout pris préserver, elle est aussi contre l’immuabilité, l’inertie. Assoiffés, neuvième création du Théâtre Le Clou, en tournée depuis 2005, est une parole essentielle sur cette soif insatiable de vivre, d’amour et de sens, que chaque être humain ressent, même si l’adulte, parfois, l’oublie et l’enterre au fond d’une sécurité matérielle et d’une inertie futile et absurde qui l’empêche de sombrer dans une inquiétude lancinante. 

04-05-2008

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