Texte de Fanny Britt
Mise en scène de Geoffrey Gaquère
Avec Johanne Haberlin, Alexia Bürger, Christian Bégin, Josée Deschênes, Steve Laplante
Hypocondriaque et anxieuse depuis l’enfance, Bébé a tout laissé en plan pour se cloîtrer chez elle depuis le départ de Paul, son mari, épuisé par trop de crises. Là, dans sa tour étincelante du Vieux-Montréal, Bébé vit parmi les spectres : celui de Paul et de l’amour enfui, et celui de sa mère, une autre anxieuse décédée trop jeune. Parmi les fantômes, et entre les visites de Raymond, son agent dévoué, Bébé espère et attend le retour de Paul - et des beaux jours. C’est là qu’Ileana fait son entrée en scène. Jeune roumaine lumineuse, Ileana livre la nourriture à Bébé, puis devient son « assistante », et enfin, sa confidente. Grâce à elle, Bébé bravera la peur et se libérera des chaînes de son enfermement. Mais face à une trahison qu’elle estime impardonnable, Bébé retombera dans l’oeil de la tempête, et posera un geste impensable. L’enquête, jusque là menée avec l’aplomb caustique et le cynisme jovial des dialogues de Fanny Britt, prendra une tournure tragique.
les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Rencontre avec l’équipe de production
à l’issue de la représentation du mardi 27 avril
Décor : Jonas Bouchard
Costumes : Catherine Gauthier
Éclairages : Erwann Bernard
Conception sonore : Philippe Brault
Direction technique et de production : Jean-Sébastien Gohier
Date Premières : du 20 au 24 avril 2010
Régulier 25$
Carte premières : 12,50$
Une création du Théâtre Debout,
en résidence à la salle Jean-Claude-Germain
Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900
par David Lefebvre
Après Couche avec moi (c'est l'hiver) et Hôtel Pacifique, Fanny Britt explore, avec Enquête sur le pire, les thèmes de l'anxiété, du manque de confiance, de l'angoisse, de l'agoraphobie, de l'hypocondrie, en proposant le récit d’une trentenaire à qui tout souriait : fortune, gloire, émancipation personnelle. L'image de contrôle d'Élisabeth, dit Bébé, s’écroule le jour où Paul, son mari, ne pouvant plus vivre avec les sautes d'humeur et l'instabilité de sa femme, la quitte, assuré qu'il ne l'aime plus. La peine d'amour cloue littéralement Bébé dans son appartement. Sa vie lui échappe, elle ne met plus le nez dehors. Rôde, toujours, autour d'elle, le fantôme de sa mère partie trop tôt, dominante, paranoïaque, hystérique. Une jeune Roumaine, Ileana, qui lui apporte ses repas du café d'en bas de son immeuble, vient tout à coup mettre un peu d’espoir dans son existence, en plus des nombreux efforts de son agent Raymond. Alors qu'elle croit enfin se libérer de sa torpeur, elle découvre ce qu'elle considère comme une trahison impensable.
Le texte de la prolifique auteure joue dans les platebandes de l'intimité amoureuse, dans le créneau de ces drames qui deviennent tragédies ordinaires, par égocentrisme, par manque d'emprise sur sa vie, par une déficience certaine de la manière de vivre et l'incapacité de passer au travers de ces moments intenses de la vie. Britt joue avec les contrastes, toujours ; par exemple, en opposant l'antipathique et arrogante Élisabeth et la lumineuse Ileana, ou alors, l’inconsolable peine d’amour de l’une et l’exil serein de l’autre. Elle nous fait entrer dans la laideur et la détresse d'Élisabeth, qui se retranche si loin, en dialoguant avec les fantômes de sa vie. L'auteure pointe aussi du doigt toute cette pression sociale d’atteindre le bonheur : à travers la peur d'Élisabeth, l'amour naissant d'Ileana, celui, mort-né, de l'agent et le contrat de téléréalité offert à Élisabeth, qui «mesure le taux d'aptitude au bonheur chez les participants».
À la mise en scène, Geoffrey Gaquère sait écouter, analyser et comprendre les mots de cette auteure dont il connaît parfaitement l'univers. Le détail revêt d'une grande importance. Toute la charge contradictoire du texte se retrouve dans les gestes et la retenue des comédiens : alors qu'Élisabeth et Raymond se parlent au téléphone, ils se regardent pourtant directement dans les yeux. Alors qu'on dit que la jeune femme mange, elle jette son repas. La narration didascalique, dictée hors champ par Geoffrey Gaquère, appuie les nombreuses contradictions, et impose une certaine distance, une froideur, à l'entreprise. La pièce nous apparaît ainsi filtrée par une douleur lancinante, sourde, qui paralyse. Sur scène, le réel et le fantastique flirtent ensemble ; parfois difficiles à dissocier, ils forment un seul monde. La conception sonore, de Philippe Brault, se veut répétitive, nerveuse, et plonge, pour quelques couplets, dans les souvenirs, avec First Time I Saw Your Face, de Johnny Cash.
Toute en opposition, Johanne Haberlin incarne avec force le monstre d'égo d'Élizabeth. Grande, belle, bien mise, vivant dans un appartement que l'on devine chic (scénographie vaporeuse de Jonas Bouchard), elle est pourtant déchirée, désespérée. Alexia Bürger, dans la peau d'Ileana, nous charme avec son franc parlé, teinté de ce léger accent d'Europe de l'Est, sa passion pour Turner, ses grands yeux et son désir de vivre. Steve Laplante joue Paul, l'obstétricien, qui guérit doucement grâce à l'amour nouveau. Christian Bégin se glisse dans les habits de Raymond, cet agent comique, malgré ses blagues qui tombent à plat, avisé, touchant, aussi, dans cette amitié indéfectible qu'il éprouve pour Bébé. Josée Deschênes, en mère fantôme, est la parfaite incarnation de la source de cette peur qui tourmente Élisabeth.
Enquête sur le pire est plus sombre et moins cru que les précédents textes de l’auteur. Pourtant, c’est un constat générationnel fort bien écrit qui, sans jeter de pierre, condamne, entre autres, l’angoisse existentielle d’un certain égocentrisme maladif nord-américain.