Conception et mise en scène de Christian Lapointe
Avec Maryse Lapierre et Christian Lapointe
Peu importe | Le nom que j'aurai | Jamais je ne me maquillerai | Mon crâne | Verra le soleil | Chaque jour | Je le raserai de près | Cette image | Dont tu veux me pourvoir | Ne me sied pas | Cette image | Tu ne peux | Et ne pourras jamais | En témoigner | Ce n'est qu'après t'avoir | Tout à fait mis de côté | Que je pourrai me reconnaître | Et ainsi me faire | Comme je dois être.
Le transsexualisme n’est pas quelque chose de neuf. Comme figure symbolique de l’humanité, le transgenre apparaît comme l’icône la plus complète. Paradoxalement, il transcende et brise toute image attendue que l’on a de l’humanité au sens traditionnel. Dans ce texte, posé en symbole de la population mondiale, le shemale se démembre morceau par morceau au centre d’un dépotoir gigantesque tout en offrant un soliloque entre l’arrachement des fragments mâles et femelles qui le composent. C’est ainsi que ce corps étranger à lui-même se met au monde par élimination de ses composantes charnelles. Du passage d’homme vers femme, aux aspirations de la transformation totale, c’est en attente, en arrêt entre les deux genres « qu’évolue » cette figure inclassable qui cherche à faire sa propre rencontre. C’est la mise à mort de l’humanité par elle-même qui est ici, en scène, mise à nu, éprouvée jusqu’à l’écartèlement. Tragédie «futuriste» sous forme de poème incantatoire Trans(e) est écrite à même la violence de notre époque. Loin d’être soumis aux lois de la violence de divertissement, ce théâtre veut nous sensibiliser à la véritable horreur de notre monde duquel nous sommes éminemment distanciés par les médias.
Avertissement :
Toute personne ayant des problèmes cardiaques ne peut assister à ce spectacle. De plus, la pièce comporte de la nudité, de la fumée, l'utilisation de décibels élevés ainsi que des scènes avec stroboscope.
le mardi à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Aussi au Théâtre Premier Acte du 20 avril au 1er mai 2010
Une création du Théâtre Péril,
en résidence à la salle Jean-Claude-Germain
Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900
par Odré Simard
Dix ans déjà que le théâtre Péril secoue et bouleverse tous ceux qui s’y frottent. Dix ans que l’âme de cette compagnie, Christian Lapointe, explore et sonde les voies d’une théâtralité disloquée qui veut nous surprendre et nous éveiller. Différent d’un théâtre que l’on regarde ou que l’on écoute, il va sans dire que le type de représentation que nous offre cette compagnie est davantage une expérience, un théâtre qui se vit. Difficile effectivement de dire si on aime ou pas, mais on ne peut nier que Lapointe touche à quelque chose d’unique.
Trans(e) est une longue tirade à deux voix qui nous hypnotise, qui nous emmène ailleurs. Un homme devenant femme, figé dans une stagnation qui le gruge. Bien plus qu’au sens figuré, l’humain qui se dévoile à nous se départit de tous ses membres dans un carnage des plus imagés et sensoriels. Plongé dans un grand malaise existentiel, cet être, celle-lui, tente d’atteindre une certaine vérité, sa vérité. Trans(e) demeure dans la métaphore et dans le suggéré. Jamais il n’est question d’un transsexuel dans sa vérité du quotidien. Il est plutôt question d’une identité qu’on ne peut cerner et qui nous renvoie à notre propre malaise de devoir toujours se fondre dans un moule. La figure du transsexuel est en effet un symbole d’une puissance incroyable au niveau de l’être social. Devoir être quelqu’un, se sentir autre mais pas non plus cet autre qui est son opposé… seulement autre. Le conflit entre notre intérieur et notre extérieur, entre nous et le monde. Et que suggère le théâtre Péril comme réponse à ce malaise? La plus profonde impuissance, la destruction, la disparition.
Bien qu’il soit louable de voir un artiste aussi enflammé que Christian Lapointe choisir une direction et y plonger tête première, il reste que ce genre de spectacle demeure assez inaccessible. Ne nous laissant pas une seconde pour absorber le flot incessant d’images et de questionnements, la densité du texte finit par nous étouffer et nous projeter dans une espèce de transe où les mots deviennent davantage musique que porteurs de sens. Il y a quelque chose de contrariant dans cette approche si particulière qui ne nous laisse pas le choix et nous emmène en des lieux où nous ne souhaiterions pas toujours aller... mais il est clair que les choix ont été pensés et faits pour nous. Le théâtre Péril souhaite offrir un art qui dérange, et le défi est relevé.
par Sara Fauteux
Du théâtre de Christian Lapointe, la directrice artistique du Théâtre d’Aujourd’hui, Marie-Thérèse Fortin, a dit : « Si on me demande, tu aimes ça, toi ? Je ne sais pas quoi répondre. Non, je n’aime pas ça. Ce n’est pas aimer qu’il faut dire. Aimer n’a rien à voir. (…) Quand je suis prise par du Christian Lapointe, je glisse dans le mystère d’une parole qui ne redoute pas l’obscure pour atteindre à la clarté. Et je ne peux qu’accepter de déambuler dans les corridors d’un rêve, dans des espaces ou la boussole de ce que je pense savoir ne m’est d’aucune utilité. »
Je ne trouve pas de meilleurs mots pour décrire le travail de ce metteur en scène qui a toujours cherché à déranger. Le travail de Christian Lapointe n’a pas pour but de nous divertir, ni de nous amener à relaxer ou de nous faire rêver en nous transportant dans un univers idéaliste. Pourtant, son travail a certainement quelque chose d’idéaliste. Mais pour Lapointe, l’idéal est justement de ne pas simplement divertir, de ne jamais céder à la facilité et de toujours créer des zones d’inconfort où le spectateur se trouve en situation de vulnérabilité, forcé d’être totalement attentif et de se questionner réellement pour apprécier le spectacle.
Trans(e), dont il signe le texte, la mise en scène, la conception et assure une partie de l’interprétation, utilise la figure du transsexuel pour parler de cette zone d’inconfort qui existe parfois entre un esprit et son propre corps. Le shemale, celle-lui, incarné ici très justement à la fois par un homme et une femme, se déconstruit littéralement en se démembrant pour mieux se révéler à lui-même, pour mieux reconstruire son identité. Le texte n’aborde pas la figure du transsexualisme par l’anecdote ou le témoignage et ne s’intéresse pas à la réalité des transsexuels, mais utilise plutôt l’icône comme symbole de la condition humaine.
L’idée est intéressante, riche même, mais il n’est pas dit que la métaphore apparaît d’elle-même avec la représentation. Si cette opacité, comme la sobriété de la mise en scène et la distanciation des acteurs, est un peu la signature de Christian Lapointe, il est assez mal aisé d’en tirer un sens. En effet, même pour un spectateur désireux de se mettre en danger et d’effectuer la réflexion nécessaire à la compréhension de l’œuvre, il semble que les signes déployés sur scène soient insuffisants pour permettre au public de réellement appréhender les questions soulevées. La densité extrême du texte, interprété avec une grande sobriété, nous empêche parfois d’en apprécier la poésie.
Cela dit, justement parce qu’il s’agit d’un théâtre différent et dérangeant, Trans(e) est un spectacle à ne pas manquer. Dans le contexte théâtral actuel au Québec, une démarche comme celle de Lapointe nous permet de toujours nous remettre en question. Et quoi qu’on pense de son travail, il s’agit là d’une qualité essentielle à toute dramaturgie. De plus, les effets visuels et sonores, qui sont également des éléments récurrents du travail de Lapointe, sont ici particulièrement réussis et présentent des images magnifiques, évocatrices, d’une beauté symboliste. Maryse Lapierre, qui était également de la distribution de C.H.S. et Anky ou la fuite/Opéra du désordre, est impeccable et assure à son complice un appui solide.
Si vous n’avez pas l’occasion de voir Trans(e) au Théâtre d’Aujourd’hui cette semaine, gardez l’oeil ouvert, vous pourrez sûrement le voir à Québec, du 20 avril au 1er mai 2010 à Premier Acte, ou en reprise dans un festival.