MonTheatre.qc.ca, votre site de théâtre
Du 5 au 23 avril 2011
Villes mortes
Texte et interprétation Sarah Berthiaume
Mise en scène Bernard Lavoie
Avec Stéphanie Dawson, Joëlle Paré-Beaulieu, Céliane Trudel

Villes mortes, c’est quatre contes sur quatre villes mortes, joués par quatre filles vivantes. Villes mortes, c’est une ville romaine ensevelie par le Vésuve en 79 avant Jésus-Christ; c’est une ville minière de la Côte-Nord désaffectée en 1984; c’est une ville d’Asie centrale occupée par l’OTAN depuis 2003; c’est un quartier de divertissement fondé en 2006 à Brossard. Villes mortes, c’est Pompéi, la foudroyée; Gagnonville, l’agonisante; Kandahar, la kamikaze; Dix30, la zombie. Villes mortes, c’est aussi, et surtout, une réflexion sur l’origine, l’éphémère, la catastrophe, le deuil, le vide, l’espoir. Villes mortes, c’est donc un spectacle d’une heure vingt, où quatre filles racontent leur relation avec une ville morte. Quatre face-à-face entre l’humain et l’immobilier. Quatre chroniques nécrologiques douces-amères-trash. Quatre grandes morts qui surviennent dans quatre petites vies.

Durée: environ 1h20

les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Rencontre avec l’équipe du spectacle
à l’issue de la représentation du mardi 12 avril

Assistance à la mise en scène, régie et éclairages Sylvain Letendre
Décor et costumes Fannie Breton-Yockell, Valérie Deschênes

Carte Premières
Cartes Prem1ères
Date Premières : 5 au 9 avril 2011
Régulier : 25$
Carte premières : 12,50$

Une création d’Abat-Jour Théâtre,
en résidence à la salle Jean-Claude-Germain

Théâtre d'Aujourd'hui, salle Jean-Claude Germain

3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

Delicious
______________________________________
 Critique
Critique
Imprimer la critique

par David Lefebvre

Quatre filles et la mort


Crédit photo : Jean-François Hamelin

Complice et muse de Simon Boulerice, qui lui avait dédié la pièce Martine à la plage, Sarah Berthiaume est une jeune femme aux multiples talents. Touche-à-tout, elle signe en 2006 Le déluge après, son premier texte, lu au Festival du Jamais lu et à Avignon, et Disparitions, présenté au public grâce à Robert Bellefeuille lors de la première édition de Dramaturgie en dialogue. Comme metteure en scène, elle travaille en 2010 sur Simon a toujours aimé danser, de Simon Boulerice. Avec Villes mortes, Sarah Berthiaume propose quatre textes dignes de la génération Y, qui abordent sous plusieurs angles des thèmes forts, de façon tout aussi crue, directe qu’allégorique. Certains, présentés au Fringe, ou alors en extraits au Red Light de la Carte Prem1ères, promettaient déjà beaucoup.

Quatre textes, un lieu rassembleur : un lit à baldaquin. Le metteur en scène d’expérience, Bernard Lavoie, a voulu faire démarrer les récits dans un même endroit, réconfortant, propice à la confidence, évoquant aussi, d’une certaine manière, le conte de fées. L’idée devient réellement intéressante lorsqu’on expérimente avec le seul accessoire en scène, malgré qu’il en impose. Durant les premières histoires, il occupe sa fonction première ; puis, il devient, dans le troisième, un objet d’acrobaties, voyant aussi son matelas et ses draps exploser. Pour le dernier texte, il se renverse sur le côté pour former un rempart. Par contre, ses poutres verticales cachent, à certains spectateurs, le corps et le visage des interprètes quand elles y prennent place, un irritant majeur lors d’une scène ou deux.

La présence des musiciens Navet Confit et Géraldine, nouvelle venue dans l’univers musical de la métropole, rappelle rapidement le concept des Contes urbains de La Licorne. Les extraits offerts font partie de la galette Sold Out Capitalisme, de la chanteuse cagoulée. Il est fort probable que sa musique style garage-post-punk-low-fi et ses paroles parfois provocantes ne plairont pas à un large public, faisant parfois grincer des dents, mais on ne peut que saluer l’audace et la pertinence de ce choix musical de l’auteure et du metteur en scène.

Quatre textes, quatre approches différentes, quatre comédiennes au talent indéniable. C’est cagoulées qu’elles se présentent ; clin d’œil sympathique à la musicienne et chanteuse, tout en étant une matérialisation de la quête identitaire des personnages et du côté morbide de ces « villes mortes ». Céliane Trudel défend le premier texte, qui met en scène une jeune femme qui rejoint son amoureux à Naples, près du Vésuve et de Pompéi, pour y découvrir une nouvelle aussi destructrice que la lave du volcan. D’abord sur un ton de lecture, dans une intime douceur, elle parvient à créer une vibrante émotion, à nous faire comprendre son état de peine et tout son désarroi.  Sarah Berthiaume joue une femme mal-aimée de son père, un ancien mineur d’une ville qui n’existe plus depuis 1985. Avec humour et dérision, elle nous entretient de cette soirée si importante pour le paternel, qui doit prononcer un discours devant ses anciens collègues, alors qu’elle connaît son premier orgasme au fond du réfrigérateur de la salle, grâce à une serveuse qui ressemble étrangement à un personnage de Santa Barbara, un soap que ses parents adorent. Stéphanie Dawson livre le texte le plus surréaliste du lot, qui compare le quartier Dix-30 à une ville sans âme, perdue, et les fêtards, au bronzage orangé, qui se shootent au Red Bull, qui se parfument au Axe, à des zombies affectés par la surconsommation. Critique virulente et hilarante, ce récit est le plus abouti des quatre et est porté par une comédienne époustouflante, au jeu très physique. Le spectacle se termine avec une touche disneyenne, alors que Joëlle Paré-Beaulieu, touchante jeune mère enrôlée depuis quatre mois comme serveuse Tim Horton sur la base militaire canadienne de Kandahar, qui ne désire que revoir sa petite de deux ans, voit sa tasse de café lui parler, rappelant les personnages de La Belle et la Bête, pour rendre visite à une vieille sorcière afghane qui pourrait lui permettre de retourner chez elle.


Crédit photo : Jean-François Hamelin

Les textes de Sarah Berthiaume, tout en étant totalement indépendants les uns des autres, abordent tout de même plusieurs thèmes communs. Si l’amour et la mort, sous plusieurs formes (les relations amoureuses, le suicide, la maladie, la conscience sociale ou la guerre), prennent une grande place, le sexe aussi : découverte d’une puissance insoupçonnée pour l’une, elle est pour l’autre une pulsion de survie, une démonstration sans orgueil d’un soubresaut du vivant dans la dissolution d’un amour qui s’asphyxie. La plus belle et plus grande force des récits de la jeune auteure se situe dans son sens du symbolisme, du pouvoir d’évocation : tout est mis en parallèle, la métaphore est reine. Le sort des habitants de Pompéi et la douleur paralysante d’une rupture ; la recherche du bonheur et de l’amour d’une jeune femme seule juxtaposée à une série télé ; la société de consommation, le culte aux marques et le caractère zombie catastrophe qui en découle ; la dure réalité de l’éloignement, du déracinement, et la magie de Disney pour s’en échapper. Si le caractère fantastique des quatre histoires provoque un certain « réalisme poétique », comme le souligne l’auteure, il permet au public d’adhérer et d’explorer plus rapidement et aisément les univers de ces villes mortes et de leurs narratrices respectives, en perte de repères, sans nom, mais à la voix allumée et incandescente.

Villes mortes offre des moments exaltants, des textes-réflexions aux images puissantes, mais qui n’est pas dénuée de légers malaises et d’inconforts pour certains, qui pourraient être importunés par un côté plus trash de la représentation.

08-04-11

Retour à l'accueil