C’est l’histoire de Sasha, un jeune homme qui tente de retrouver sa mère alors que tout s’effondre autour de lui : ses rêves, ses idéaux, son pays. Vivant seul avec son père, Sasha, né en 1969 en Ukraine, découvre à sept ans que sa mère n’est pas sa mère, qu’il a été kidnappé à l’âge de trois ans par son père, et que celui-ci a reconstruit sa vie avec une autre femme. Il se met alors en tête de devenir célèbre afin que sa mère puisse le voir un jour à la télévision et le reconnaître comme sien. Entre l’explosion de Tchernobyl et celle de la Glasnost entreprise par Gorbatchev, entre son ami acteur Anton qui vit comme un bourgeois en jouant Lénine dans les conventums du Parti communiste et Ludmila son amoureuse dépressive, qui attend avec impatience les bouleversements promis par la Pérestroïka, Sasha tente de se frayer un chemin dans les décombres d’un siècle qui s’achève sous nos yeux. Inspiré de la vie de Sasha Samar, un acteur d’origine ukrainienne vivant au Québec, Moi, dans les ruines rouges du siècle est le récit d’un homme qui tente de se reconstruire dans une Union Soviétique qui commence à se désagréger. La pièce nous parle du monde qui s’est disloqué sous nos yeux il n’y a pas si longtemps, mais également – et surtout – du mensonge que l’on doit mettre en place afin de préserver un idéal. Du mensonge qui sauve les apparences, et qui ce faisant nous tue à petit feu.
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Assistance à la mise en scène Stéphanie Capistran-Lalonde
Conception visuelle Romain Fabre
Éclairages Martin Labrecque
Conception sonore Philippe Brault
Mouvement Estelle Clareton
Direction de production Catherine La Frenière
Direction technique Geoffrey Levine
Assistance aux costumes Fruzsina Lanyi
Assistance au décor et aux accessoires Loïc Lacroix Hoy
Crédit photo : Neil Mota
les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Rencontre avec l’équipe de production
à l’issue de la représentation du 18 janvier
Une création Trois Tristes Tigres
par Olivier Dumas
Avec sa compagnie Les Trois Tristes Tigres, Olivier Kemeid aime explorer diverses contrées mythologiques, symboliques ou géopolitiques qui ont façonné autant l'histoire collective que les quêtes individuelles. Pour Moi, dans les ruines rouges du siècle, pièce qu’il a écrite et mise en scène, il nous propose un parcours touchant et empreint d'une belle humanité.
Depuis ses débuts, le dramaturge philosophe a toujours eu le mérite de tenter de se renouveler et de ne pas se confiner dans des certitudes. Même si certaines de ses réalisations n'atteignent pas toujours leurs cibles, notamment la confuse production Bacchanale inspirée de Françoise Durocher waitress de Michel Tremblay ou encore le sympathique et anecdotique Lettres arabes l'an dernier à l'Espace Libre, il ne s’assoit jamais sur ses lauriers. Par ailleurs, une autre de ses précédentes créations, L’Énéide, était quant à elle remarquable par son harmonie entre la réappropriation de l'épopée virgilienne et une sensibilité théâtrale contemporaine. La présente œuvre, Moi, dans les ruines rouges du siècle, s’inscrit dans cette lignée, même si l'ensemble ne provoque pas des étincelles aussi fulgurantes.
Olivier Kemeid s’est inspiré du parcours véridique de Sacha Samar, l’un des comédiens du spectacle, de sa naissance en 1969 dans son Ukraine natale jusqu'au moment de son exil au pays québécois au milieu des années 1990. Au lever du rideau, l'acteur s’avance sur le plateau avec une gaucherie attachante. Dans un procédé de distanciation qui se rapproche de Brecht, il explique brièvement au public que ce dernier verra sous ses yeux des pans importants de sa vie. Vivant seul avec son père, Sasha découvre à l’âge de sept ans que sa véritable mère n’est pas celle qu’il croyait. Il rêve de devenir célèbre à la télévision nationale pour la retrouver. Entre l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, son ami comédien Anton qui personnifie Lénine dans les conventums du Parti communiste et sa copine Ludmilla, il tente désespérément de donner un sens à son existence, alors que la situation politique s’amenuise sur un continent en pleine redéfinition de ses frontières géographiques et identitaires.
Pendant près de deux heures, l’auteur nous offre un riche panorama de deux décennies fertiles où se chevauchent la petite et la grande histoire d’un individu et de ses proches dans une société bouleversée par ses repères traditionnels. Plusieurs faits se superposent habilement. Il y est question de l’arrivée de la télévision en noir et blanc, de la victoire de la gymnaste roumaine Nadia Comaneci, de l’effondrement de l’idéologie communiste qui prônait le pouvoir du prolétariat, de la défaite de Gorbatchev, de l’implosion de l’URSS, du baladeur Sony des années 1980, de la musique progressive de Pink Floyd et même d’une mélodie disco de Donna Summer. Ainsi, autant les anecdotes que les grandes tragédies nationales se répondent dans ces tableaux qui ne craignent ni la réflexion ni les sentiments. Si certaines des ramifications du récit peuvent demeurer floues, surtout durant la première demi-heure, les différentes actions se succèdent rondement. Olivier Kemeid a heureusement évité de tomber dans une certaine forme de complaisance larmoyante guettant souvent les dramaturges qui prétendent s’approprier l’âme intrinsèque des conflits étrangers aux nôtres. Son écriture sait rendre avec vivacité et finesse les tourments, déchirures et effleurements romantiques du protagoniste.
Une telle fresque historique bénéficie par ailleurs d’une distribution cinq étoiles pour porter ce destin de résilience, à commencer par le discret mais juste Sascha Samar qui porte la pièce sur ses épaules. Figure paternelle démantibulée par des lendemains qui n’ont pas rempli leurs promesses tant espérées pour les ouvriers, Robert Lalonde se révèle brillant de pathétisme. Annick Bergeron incarne avec une intensité bouleversante la mère, particulièrement lors de la scène des retrouvailles peu de temps avant le dénouement. Geoffrey Gaquère en impose dans son personnage d’acteur volontaire qui connaîtra les grandeurs et misères à embrasser une figure politique controversée. Après son éblouissante prestation dans le Ducharme du TNM, Sophie Cadieux compose plusieurs rôles, dont celui de la copine, avec sa distinctive énergie pétillante.
La production Moi, dans les ruines rouges du siècle inaugure agréablement la saison hivernale 2012 du Théâtre d’Aujourd’hui. Au moment de la conclusion baignée dans un magnifique éclairage rouge de Martin Labrecque, les applaudissements des spectateurs étaient nourris. Les nombreux souvenirs vécus sur la scène ne risquent donc pas de s’engouffrer dans les vestiges amnésiques de l’oubli.