Un matin glacial de février, dans l’appartement désordonné où elle vient d’emménager, Madeleine lit dans son journal un entrefilet à propos du journaliste chinois Yu Dongyue, libéré la veille, après 17 ans de prison pour avoir lancé, avec deux camarades, de la peinture sur le portrait de Mao pendant les événements de la Place Tienanmen, en 1989. Fortement touchée par cette petite nouvelle, Madeleine cherche à en savoir plus sur Yu et ses camarades, sur les circonstances qui les ont menés en prison. Négligeant son travail, repoussant les tâches domestiques qui l’attendent, refusant même de recevoir la jeune immigrante à qui elle donne des leçons de français, Madeleine s’enferme chez elle pour se plonger dans ces jours de mai 1989, alors que des centaines de milliers de personnes occupaient la Place Tienanmen. Mais sa retraite est perturbée par l’arrivée d’un homme qu’elle ne connaît pas, débarqué chez elle par hasard, et par la jeune immigrante qui réclame sans relâche les leçons dont elle a crucialement besoin pour amorcer sa nouvelle vie. Tous les trois, étrangers l’un à l’autre, réunis de façon inattendue, se trouvent confrontés à l’histoire de Yu Dongyue, Lu Decheng, Yu Zhijian. Le geste posé par ces hommes réels dans la Chine réelle de 1989 renvoie Madeleine, Lin et Jérémie à leur propre rapport au monde, au changement, au sacrifice, à l’espoir, au désespoir.
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Assistance à la mise en scène Stéphanie Capistran-Lalonde
Scénographie Jean Bard
Costumes Cynthia Saint-Gelais
Éclairages André Rioux
Environnement sonore Philippe Brault
Accessoires David Ouellet
Vidéo David Leclerc
Maquillages Suzanne Trépanier
les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Les Curiosités de Carole Fréchette
à l’issue de la représentation du 10 avril
Rencontre avec l’équipe de production
à l’issue de la représentation du 11 avril
Une production du Théâtre d'Aujourd'hui
par Olivier Dumas
Du collectif féministe le Théâtre des cuisines dans les années 1970 jusqu’à ce premier quart de 21e siècle, l’œuvre de Carole Fréchette tente de cerner les mouvances, fragilités fugaces et préoccupations des individus dans une collectivité en perpétuelle reconstruction. Sa plus récente création, intitulée Je pense à Yu, s’inscrit dans cette quête de soi, mariée indirectement ici avec les événements du printemps chinois de mai 1989. Si cette production qui clôt la saison du Théâtre d’Aujourd’hui peut agacer par ses accents didactiques, elle nous convoque surtout à des beaux instants d’émotions en équilibre entre la tête et le cœur.
Absente depuis l’envoûtante Petite pièce en haut de l’escalier en 2008 qui réactualisait le mythe de Barbe bleue, la douée dramaturge délaisse l’atmosphère intimiste de ses précédentes réalisations pour un récit inspiré d’un fait tiré de l’actualité internationale. Pendant près de deux heures, l’histoire se penche sur l’évolution de Madeleine, une brune employée dans un ministère, traductrice contractuelle et institutrice de français d’une jeune immigrante chinoise. Nouvelle résidente d’un appartement où s’empilent les boîtes encore pleines, elle tombe sur un entrefilet concernant la libération de Yue Dongyue. Le journaliste chinois a été emprisonné pendant 17 ans pour avoir lancé de la peinture rouge sur le portrait de Mao en 1989. Auparavant préoccupée par ses problèmes amoureux et angoisses existentielles, Madeleine se plonge dans le récit de cet homme courageux qui a osé défier les règles établies par le pouvoir autoritaire. Délaissant temporairement son élève, elle fait la rencontre d’un lointain voisin au caractère apaisant qui peu à peu, l’amène à scruter différemment l’engagement, les relations interpersonnelles et l’importance d’assumer ses convictions.
Sous la gouverne de Marie Gignac, l’ensemble manque parfois de dynamisme et tend, surtout au lever du rideau, davantage vers la démonstration que l’approfondissement d’un texte sensible. Certains choix artistiques, comme de diffuser sur bande audio les pensées intérieures du rôle principal durant la première demi-heure du spectacle, créent une forme de distance qui nous empêche d’adhérer immédiatement à la ferveur du propos. D’autant plus que le soir de la première médiatique, les spectateurs ne captaient pas toutes les répliques dites en voix off. Par contre, l’équilibre entre la technologie moderne et l’écriture humaniste de Carole Fréchette se précise, trouve son rythme de croisière au fil de la représentation. On reconnaît l’influence du mentor Robert Lepage, avec lequel la metteure en scène a collaboré à de nombreuses reprises.
Actrice fétiche des spectacles du même ubiquiste Lepage (remarquée notamment dans Les sept branches de la rivière Ota), Marie Brassard étonne par la composition d’un personnage mature très différent de ses rôles antérieurs qui étaient moins portés sur l’introspection. Elle rend avec une grande précision les nuances, tourments et déchirements d’une femme qui a longtemps étouffé sa révolte et bafoué sa nature rebelle. Ses partenaires Jean-François Pichette et Marie-Christine Lê-Huu sont crédibles bien que leur jeu souffre à l’occasion d’une trop grande linéarité.
Par sa plume agile, Carole Fréchette possède une facilité déconcertante à créer des individus touchants et des situations prenantes. Malgré ses indéniables qualités, sa pièce Je pense à Yu ne se situe toutefois pas parmi ses plus grandes réussites comme Le collier d’Hélène ou Les quatre morts de Marie. La dramaturge éprouve quelques difficultés à transcender les événements réels, à marier la petite et grande histoire, pour les entraîner vers une portée plus allégorique, plus métaphorique. Le ton, quelquefois pédagogique, pourrait en irriter certains par sa tentation documentaire, presque journalistique dans son souci des détails factuels. Heureusement, les dernières scènes se révèlent plus puissantes, plus senties et plus incarnées alors que les personnages se dépouillent de leur carapace et de leurs discours idéologiques pour livrer un magnifique plaidoyer sur le courage et la liberté.
Après une saison stimulante grâce aux œuvres accomplies de Larry Tremblay, Geneviève Billette, Olivier Keimed et Réjean Ducharme, le Théâtre d’Aujourd’hui boucle remarquablement la boucle avec ce Je pense à Yu de Carole Fréchette qui témoigne de la pertinence, de l’acuité et de la richesse de la création québécoise.