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Du 12 février au 2 mars 2013, les mardis 19h, mercredi au samedi 20h , suppl. 5 mars 19h
Sorel-TracySorel-Tracy
Texte et interprétation Emmanuel Reichenbach
Mise en scène Charles Dauphinais
Avec Félix Beaulieu-Duchesneau, Yannick Chapdelaine, Guillaume Cyr, Simon Lacroix, Léa Simard

« Derrière chaque grand homme s’en cache un autre… beaucoup plus petit. » Dicton impopulaire

Un jour, j’ai entendu parler d’un maire d’arrondissement qui placardait les murs de sa chambre à coucher avec ses propres pancartes de campagnes électorales, et qui fréquentait une danseuse nue de vingt ans sa cadette, rencontrée dans un club sur le bord de l’autoroute. Par déformation professionnelle, je me suis dit : « Hum… Voilà un personnage intéressant… »

Quelques jours plus tard, je suis tombé par hasard sur un article au sujet d’un débat dans le monde de la psychiatrie. Un désordre appelé trouble de la personnalité narcissique allait être retiré du DSM (le manuel de référence utilisé par les professionnels de la santé mentale pour établir leurs diagnostics). Les détracteurs de ce geste affirmaient qu’en faisant cela, on contribuerait à faire du narcissisme une norme socialement acceptable. D’autres spécialistes répliquaient : « …oui, mais c’est devenu normal, aujourd’hui, d’être narcissique… Ça ne peut plus être une maladie… » Le débat était bien entendu un peu plus complexe, mais cela avait frappé mon imagination.

Mes collègues du Théâtre SDF et moi voulions depuis longtemps créer une comédie sur la politique. J’avais l’impression de tenir une piste. Je me suis mis au clavier et j’ai inventé Donald Fillion, le maire mégalomane d’une petite ville de région, cupide, pervers, attachant quoi… La pièce Sorel-Tracy s’est ensuite dessinée, un peu d’elle-même. Elle cherche à comprendre pourquoi lorsque le pouvoir pointe son nez, la bêtise accourt sans tarder.

- Emmanuel Reichenbach


Section vidéo
deux vidéos disponibles

    

Assistance à la mise en scène et régie Audrey Lamontagne
Conseil à la dramaturgie Pier-Luc Lasalle, Jean-Philippe Lehoux
Décors, costumes et accessoires Loïc Lacroix Hoy
Éclairages Mathieu Marcil
Son Alain Dauphinais
Direction technique Victor Lamontagne

les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Rencontre avec l’équipe
à l’issue de la représentation du 19 février

Carte Prem1ères
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 12 au 16 février
Régulier : 26$
Carte premières : 13$

une création Théâtre Sans Domicile Fixe,
en résidence à la salle Jean-Claude-Germain


Théâtre d'Aujourd'hui, salle Jean-Claude Germain
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas


Crédit photo : Marie-Claude Hamel

L’absurdité de certaines manchettes de l’actualité dépasse parfois la fiction. Pourtant, les soubresauts et grenouillages de la politique québécoise se sont rarement immiscés sur les scènes de théâtre. Parfois imparfaite avec ses ficelles prévisibles, la comédie Sorel-Tracy se démarque surtout grâce à son humour acide, son ton cinglant et son portrait sombre d’un milieu politique municipal corrompu à l’os.

Tout juste avant la première scène, une voix masculine prévient les spectateurs de la petite salle Jean-Claude Germain que toute ressemblance avec la vérité n’est que fortuite. Si l’histoire s’inscrit définitivement dans une trame inventée, les parallèles et similitudes avec des événements médiatiques demeurent toutefois saisissants. L’ombre de la Commission Charbonneau ou encore les déboires de certains maires de la couronne Nord de Montréal planent sur les intrigues de la production. Mais la plume agile d’Emmanuel Reichenbach dépasse la simple reproduction de péripéties comme celles exposées quotidiennement dans les journaux, écrans de télévision ou réseaux sociaux.

Pendant près d’une heure trente, la pièce se confine presque exclusivement dans le bureau de l’actuel maire de la ville, Serge Boivin, un ambitieux magouilleur de la pire espèce qui craint de ne pas être réélu lors de la prochaine élection qui approche à grands pas. Décoré entre autres d’une photo encadrée de la chanteuse Renée Martel sur l’un des murs, le lieu prend les allures d’un bunker aux couleurs ternes. Les collaborateurs de l’élu en poste depuis plusieurs mandats s’activent afin de minimiser la grogne populaire qui s’amplifie de plus en plus. Le dirigeant aux penchants dictatoriaux de la petite ville porcine parviendra-t-il à tirer son épingle du jeu? Ses stratèges poussent le ridicule jusqu’à demander l’aide d’un animateur d’une émission humoristique à la télévision communautaire pour attirer le vote des jeunes adultes.

La teneur des propos exposés dans cette œuvre fortement réaliste, et parfois provocatrice, rappelle beaucoup l’une des influences marquantes du dramaturge et comédien, soit le brillant et corrosif auteur étatsunien David Mamet, qui démantibule les illusions et naïvetés des lieux de pouvoir et d’influence. L’atmosphère, le regard cruel sur la société et le personnage ambigu de la séduisante secrétaire évoquent de belle manière Speed-the-Plow, l’une de ses excellentes œuvres.


Crédit photo : Marie-Claude Hamel

Si l’on décèle quelques faiblesses, celles-ci demeurent mineures par rapport à l’ensemble. Lorsque par exemple, le ton décolle légèrement de la réalité (notamment lors de la simulation du mariage avec un extrait musical de la chanson I Finally Found Someone interprétée par Bryan Adams et Barbra Streisand), le résultat détonne un peu. À ce moment-là, la mise en scène hésite à faire ressentir vivement le pathétisme clownesque et risible de la situation. Certaines ruptures de ton manquent parfois de fluidité, comme si la machine théâtrale n’était pas encore parfaitement huilée (contrairement à Mamet par exemple). Bien que la finale du récit évite de tomber dans la facilité, elle demeure trop expéditive pour conclure en force une démonstration au vitriol des nombreux travers de nos gouvernants.

Par ailleurs, le travail de Charles Dauphinais exprime très bien toute la tension, la dureté et la vivacité du texte qui n’hésite pas à creuser dans le sarcasme et l’ironie. Comme dans sa précédente réalisation, L’Anatomie du chien (malgré une partition plus anecdotique), il sait faire bouger habilement les corps sur le plateau, presque toujours en harmonie avec le tempo rapide du texte. Par contre, les passages où il est question des manifestants campés devant le bureau du maire auraient gagné à une plus grande clarté. Par la bouche du maire et de ses employés, ces indignés deviennent presque une meute affamée qui réclame son dû. Mieux transposés sur scène, la tension sociale entre l’extérieur (la population nommée, mais jamais physiquement présente) et l’intérieur (les personnages) se rapprocherait par exemple d’Antilopes d’Henning Mankell, de l’angoisse face au troupeau sans cesse grossissant de Rhinocéros d’Eugène Ionesco ou encore d’Après moi le déluge de Lluïsa Cunillé.

Dans le rôle du maire cabotin, véreux qui devient peu à peu sympathique, Guillaume Cyr est remarquable. Tout comme dans sa composition frémissante du père désemparé dans la pièce Billy (les jours de hurlement), il conjugue une dimension tragique et profondément humaine à un être bourru souvent très vulgaire. Les autres acteurs se révèlent également à la hauteur en conférant une sensibilité à des personnages à priori très typés, hypocrites et arrivistes.

L’une des grandes forces du spectacle demeure le verbe d’Emmanuel Reichenbach qui ne tombe pas dans le manichéisme. Son écriture se révèle souvent remarquable par sa puissance de frappe, comme les coups de poing d’un boxeur à la figure de ses victimes. Chacun des protagonistes succombe à un moment ou l’autre à la tentation de l’ambition personnelle au détriment du bien collectif. Dans cette satire, personne ne se retrouve parfaitement blanc ou noir ; tous possèdent leur part de secrets, de bêtises et de mystères. Le dramaturge ne tranche jamais sur la responsabilité individuelle versus une conception plus rousseauiste d'une société corrompue qui entraîne ses individus aux nobles intentions à commettre le mal malgré eux. Bien que la représentation du monde politique se situe au premier degré, et sans véritable distance, elle démontre dans l'exécution du propos une finesse de perception assez aiguisée.

À la sortie du Théâtre d’Aujourd’hui, un journaliste aguerri me confiait que pour lui, l’art représente à la fois un miroir de la société et une fable prémonitoire sur des enjeux à venir dans un futur imminent. La pièce Sorel-Tracy réussit à lancer au visage ces faits dérangeants. Mais on espère tout de même que dans la vraie vie, nos élus incarneront mieux leur rôle démocratique, loin des conflits d’intérêts et des égos boursouflés.

18-02-2013