Tout ce qui tombe dresse devant nous un paysage.
Un paysage de possibles, dont presque rien ne reste – que des traces.
Ce qui nous lie, ce qui nous sépare.
il y a une ville, Berlin, affalée au beau milieu des vies de tout le monde.
il y a de grandes amours.
il y a des murs.
il y a la mer Baltique, des violons, un aéroport, une cabine téléphonique à Budapest, un rosier sauvage, de l’acupuncture, des bagages, une voiture abandonnée, un coffre à outils, un banc de parc, la Spree, de la salade, de la vodka, des billets d’opéra, des fugues de Bach, un café sur Oranienstrasse, des lits, des téléphones, des lettres, des baisers.
Plein de gens qui se perdent.
Plein de gens qui se sauvent.
Des mots, que personne n’entend. Et qui tombent, comme une sorte de neige.
- Véronique Côté
Le Théâtre des Fonds de Tiroirs a été fondé en 1997. L’initiative première fut de permettre la rencontre de jeunes artistes alors en formation pour qu’ils puissent trouver leur propre chemin de liberté en dehors des longs hivers à se perfectionner dans les écoles de théâtre du Québec.
Décors Marie-Renée Bourget Harvey
costumes Yasmina Giguère
Éclairages Caroline Ross
Musique originale Pascal Robitaille
Projections Lionel Arnould
Direction de production et régie Adèle Saint-Amand
Rencontre avec l’équipe à l’issue de la représentation du 7 novembre
Création du Théâtre des Fonds de Tiroirs et du Théâtre du Trident,
en codiffusion avec le Théâtre d’Aujourd’hui
par Pascale St-Onge
L'imaginaire berlinois est riche et la comédienne et metteure en scène de Québec, Véronique Côté, nous offre ici un premier texte qui s'en nourrit majoritairement. Coproduit par le Théâtre des Fonds de Tiroir et le Théâtre du Trident, Tout ce qui tombe est une courtepointe d'amours et d'individus divisés entre l'ailleurs, le Québec et Berlin. Trois décennies qui se chevauchent dans un texte poétique où la beauté des langues est à l'honneur, puisque joué en partie en allemand autant qu'en français.
À la façon des films CRASH ou Babel, la plume de Véronique Côté donne vie à sept personnages qui, bien que l'amour soit au centre de l'écriture et de la fable, cherchent davantage leur identité et leur place dans le monde et sont liés les uns aux autres, parfois malgré eux. À Berlin, à différents moments de son histoire, c'est l'occasion pour chacun de chercher ce qu'il manque à sa vie. Si la poésie de cette nouvelle auteure charme, certains procédés sont moins clairs, tel que la chronologie du récit : trois décennies qui s'entrecoupent de manière floue, de telle façon que nous perdons le fil chronologique dès que nous portons moins attention aux projections qui précisent en quelle année ont lieu chaque scène puisque chaque personnage a une existence qui transcende les trois décennies.
La magnifique scénographie rappelle aux premiers moments Café Müller par la multitude de chaises et de tables qui seront utilisées à leur plein potentiel avec diverses dispositions dans cette mise en scène en perpétuel mouvement.Frédéric Dubois maîtrise le manège, nous offre un ensemble scénique des plus cohérents et réussi à nous attendrir malgré la vitesse du déroulement. Chacun des comédiens nous offre des performances au jeu fort différent, bien que toutes de qualité. Si Édith Patenaude nous fait mourir de rire en blonde hystérique et inquiète, Julianna Herzberg, allemande d'origine, nous touche dans un jeu plus sobre et axé sur le regard et le langage du corps afin de compenser pour sa parole strictement allemande. Bien que chaque ligne allemande soit traduite à l'écran, on se surprend à parfois fermer les yeux, simplement pour apprécier la mélodie de la langue, cette partie importante de la poésie du texte de l'auteure.
Bien que par moments, certains thèmes soient trop marqués (par exemple, la grossesse et la maternité sont explorées chez chaque couple de façon un peu trop soulignée), paradoxalement, certains grands absents se font sentir : le mur de Berlin, avant et après sa chute, nous semble bien présent et les enjeux qui en découlent sont clairs. Pendant qu'on traite de l'amour, de façon majoritairement très réconfortante d'ailleurs, ce qui nous reste comme questionnement relève davantage de l'identité et de l'appartenance à une terre, le besoin de partir, l'inconfort constant entre l'ici et l'ailleurs. La plume très poétique de Véronique Côté est charmante, pourtant quelque chose manque pour que la magie se déploie complètement. Un ingrédient secret difficile à nommer, car pourtant tous les éléments sont gagnants. Malgré les difficultés des amours dont la pièce fait état par moment, Tout ce qui tombe est un bouillon pour l'âme, une pièce réconfortante avant d'affronter l'hiver.
par Sophie Vaillancourt-Léonard
Tout ce qui tombe, c’est trois hommes et quatre femmes ; trois couples et une globe-trotteuse. C’est aussi trois époques : 1989, 1999 et 2009, et deux villes, Québec et Berlin. C’est une histoire d’exilés, de gens qui fuient pour entrer, d’autres pour sortir, de gens qui se fuient eux-mêmes ou qui fuient l’autre pour mieux le retrouver. Tout ce qui tombe, c’est le hasard des rencontres, le destin, le choix, la peur, l’amour, le temps qui passe, les blessures qui restent et les bonheurs qui hantent. Tout ce qui tombe n’est pas une histoire triste, c’est la vie dans ce qu’elle a de plus beau et de plus laid à la fois : la recherche de soi et de l’autre.
La pièce d’ouverture de la 42e saison du Trident est l’œuvre de l’auteure Véronique Côté, commandée et mise en scène par Frédéric Dubois, qui repose sur sept comédiens, constamment présents sur scène pendant presque deux heures. Leur présence constante n’est pas innocente : Tout ce qui tombe est l’histoire de chacun et de tous à la fois. D’un couple séparé par un mur et d’un autre qui s’éloigne dans la perte de l’ouïe ; de deux amoureux qu’un océan intérieur sépare et d’une jeune femme perdue et pleine d’espoir. Une mention spéciale d’ailleurs à ces quatre comédiennes et trois comédiens, tous d’une justesse troublante et émouvante ; si Catherine-Amélie Côté sait conquérir les coeurs dès son entrée en scène avec cette Marie errante et tellement confiante de trouver un jour « son miracle », Édith Patenaude remporte clairement la faveur générale avec une Sophie drôle, criante de vérité et émouvante. À eux sept, les comédiens de Tout ce qui tombe incarne toute l’humanité de ce mal, bien de notre époque, soit ce besoin d’errer, d’être toujours convaincu qu’on serait peut-être mieux ailleurs alors que le bonheur nous pend au bout du nez.
Par contre, lors des premiers monologues, même si le texte demeure plutôt facile à suivre, ceux des dialogues en allemand surtitrés de façon très stylée en arrière-scène auraient intérêt à être écrits plus clairement et à défiler plus lentement. Le texte de Véronique Côté est beau, juste, sans artifice, et a cette qualité de toucher sans se lancer dans de grands discours. Pourtant, la finale offre un goût un peu plus amer : pourquoi cette fin à tendance moralisatrice, proposant des phrases mille fois entendues, qui rappelle à l'homme « qu'il serait plus heureux en communiquant mieux » ? Le spectateur devrait pouvoir retourner à sa vie avec ce sentiment bien ancré au fond de lui que nous vivons tous la même chose, que rien n’est perdu et qu’il a compris.
Malgré ces petites lacunes, le texte de Véronique Côté est une grande réussite et nous fait aimer ces sept personnages errants. Le ravissement et le sourire qu’affichent les spectateurs en sortant de Tout ce qui tombe n’ont d’égal que le talent de cette jeune production et l’espoir de rapidement les retrouver… ailleurs.