Mosaïque de dialogues et de monologues, ce spectacle peut par sa forme être comparé à la légendaire Nef des sorcières créée par Luce Guilbault en 1976. Mais le ton a changé, la parole féministe a évolué depuis les années 70. Alors, que disent ces femmes aujourd’hui? On nous donne ici à entendre des voix d’auteures, d’actrices, de poétesses, de sociologues et de militantes aguerries. Des femmes qui nous proposent une vision contemporaine de leurs préoccupations sociales et intimes dans le Québec d’aujourd’hui.
Assistance à la mise en scène Alexandra Sutto
Alliée artistique Alexia Bürger
Scénographie Geneviève Lizotte
Costumes Linda Brunelle
Éclairages Lucie Bazzo
Musique Catherine Gadouas
Direction de production et direction technique Émilie Gendron
du mardi 19 h
du mercredi au samedi à 20 h
Rencontre avec l’équipe
à l’issue de la représentation du 11 novembre
une création du groupe ad hoc Lise Roy et Markita Boies
par Marie-Luce Gervais
Si le mouvement féministe a atteint son paroxysme dans les années 70, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Les femmes ont-elles encore quelque chose à dire, à revendiquer ? Est-ce devenu tabou de parler de féminisme? Il suffit de voir l’ampleur du mouvement #AgressionNonDénoncée, qui ne se revendique peut-être pas féministe en tant que tel, mais dont plusieurs témoignages racontent de nombreuses inégalités homme-femme, de voir le débat sur le port du hijab ou de constater la désinformation du mouvement « Femmes contre le féminisme » pour comprendre qu’il y a une urgence de prise de parole féminine et que le débat doit continuer.
C’est suite à la lecture publique de La nef des sorcières à la Grande Bibliothèque, à laquelle elles ont toutes deux participé, et surtout suite aux réactions et aux discussions que celle-ci a suscitées, que Lise Roy et Markita Boies décident de monter un nouveau spectacle qui, s’il reprend la structure du mythique texte féministe, en actualise toutefois le propos. Elles forment une équipe composée de sept auteures et de six comédiennes qui, ensemble, créera Je ne suis jamais en retard. «L’idée, affirme Markita Boies, la metteure en scène, est de se demander qu’est-ce qu’être une femme en 2014 au Québec. Que peut-on en dire après La nef, après les Monologues du vagin? Suis-je encore la femme des années 1970 qui, d’une certaine manière, était en colère contre les hommes? Certainement moins. Qu’est-ce qui a changé? Nous qui avons 60 ans et qui vivons à Montréal assez confortablement, comment vivons-nous le fait féminin? La violence faite envers les femmes est-elle aussi perturbante qu’avant? Certainement. Mais
il y a peut-être un engagement féminin plus spirituel, plus ancré dans le savoir, dans la
réflexion, plutôt que dans la colère. »
Le résultat est un spectacle qui, loin d’être moralisateur, donne la parole aux femmes et rend hommage à l’amour; amour conjugal, amour de soi, amour maternel, amour entre amies… Il s’agit de six monologues; six magnifiques femmes qui se racontent, tout simplement, sans retenue. Émilie Gilbert incarne une jeune femme déterminée qui raconte son histoire d’amour avec Eldorado, histoire qui ne serait approuvée ni par sa mère ni par sa grand-mère, tantes, sœurs et cousines, dans un texte de Marilyne Perreault. Tania Kontoyanni interprète le texte de Nicole Lacelle, dans lequel une ex-religieuse relève sans détour les paradoxes des symboles religieux au Québec en plus de dénoncer l’influence patriarcale qui recoupe la plupart des religions. Dans son propre texte, Lise Roy se met dans la peau d’une femme engagée qui décide de s’impliquer concrètement pour sauver des bébés-filles en allant elle-même à l’autre bout du monde dans le but de démanteler un réseau d’exploiteurs sexuels. Louise Bombardier raconte avec humour et amertume son expérience de tournage d’une scène d’amour avec un réalisateur désorganisé, alors que Danièle Panneton, complètement déchaînée, nous demande, à travers les mots de Marie-Ève Gagnon, « Qu’est-ce qu’on fait avec une femme qui n’est plus fourrable? ». Enfin, à travers le texte de Dominick Parenteau-Lebeuf, dans une interprétation absolument touchante, Noémie Godin-Vigneau parle de l’amour inconditionnel d’une mère qui doit rompre le contact avec son enfant à naître. De courtes scènes entre Tania Kontoyanni et Louise Bombardier, écrites par Nicole Brossard, viennent lier les monologues.
La simplicité de la mise en scène laisse toute la place au texte et à la puissance des mots. Porté par ceux-ci, le spectateur passe du rire franc au rire jaune, car si l’interprétation est souvent plutôt comique, une pensée ou un fait ramène constamment ce petit goût amer d’injustice qui pousse à la réflexion. Bien que les questionnements propres à la jeune génération y soient bien peu représentés, Je ne suis jamais en retard est une pièce très actuelle, une affirmation de la femme qui fait du bien à entendre et à voir.