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Du 7 au 25 mars 2017
Dehors
Texte Gilles Poulin-Denis
Mise en scène Philippe Ducros
Avec Robin-Joël Cool, Jean Marc Dalpé, Marie-Ève Fontaine, Patrick Hivon, Isabelle Roy, Richard Thériault et Boris Letarte ou Miko Mathieu

Le metteur en scène Philippe Ducros, dont la démarche artistique le mène à voyager souvent en plein cœur de zones troubles de l’actualité internationale, s’allie ici à la langue à la fois précise et poétique de l’auteur Gilles Poulin-Denis.

À l’annonce du décès de son père, Arnaud, correspondant de guerre, revient à la ferme familiale après plus de dix ans d’absence. N’y reste que son frère Armand qui l’attend, carabine à l’épaule. Ce face-à-face brutal réveille les monstres qu’il a ramenés en lui alors que les vieilles blessures remontent à la surface. Chargé de la furie brutale de la guerre, obsédé par les chiens féroces qui le poursuivent, hanté par la rage de son frère, les paroles énigmatiques d’une adolescente sauvage et les oracles d’un ours mystérieux, Arnaud doit retrouver le chemin de son existence vers un endroit qu’il pourrait enfin appeler chez lui.


Assistance à la mise en scène et régie Charlotte Ménard
Dramaturgie Maureen Labonté
Scénographie Geneviève Lizotte
Costumes Maude Audet
Éclairages Thomas Godefroid
Musique originale Ludovic Bonnier
Vidéo Lionel Arnould
Direction technique Caroline Turcot
Crédit photo Ulysse Del Drago

les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h

Durée 1h45

Une création des Productions Hôtel-Motel
en collaboration avec le Théâtre Cercle Molière,
en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui


Centre du Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900 - billetterie.theatredaujourdhui.qc.ca

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Critique

La guerre, tant intérieure qu’extérieure, hante souvent les univers conçus ou orchestrés par Philippe Ducros. Ses nombreux voyages à l’étranger teintent une démarche qui cherche à comprendre les horreurs causées par les êtres humains. Tentant de conjuguer ses préoccupations humanitaires à une trame plus intimiste, l’artiste esquive malheureusement bien des zones d’émotions dans Dehors de Gilles Poulin-Denis.  






Crédit photos : Maxime Côté

Portant souvent les chapeaux de dramaturge et de metteur en scène, Ducros a éprouvé ici une sorte de connivence avec l’univers de Poulin-Denis, qui a signé auparavant le monologue Rearview àLa Petite Licorne. Dehors s’inscrit dans une certaine continuité avec des œuvres de Ducros, comme L’affiche sur l’occupation de la Palestine ou encore La porte du non-retour sur l’implication des minières canadiennes en République Démocratique du Congo, mais sans la même charge politique et sociale.

La pièce commence avant son début «officiel», au moment où le public entre dans la salle du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Sur le plateau, nous voyons alors un garçon, dont nous apprendrons plus tard le prénom, Armand (Robin-Joël Cool), qui lave le dos d’un homme à la chevelure grisonnante (Jean Marc Dalpé). Le même geste se répète de nombreuses fois dans un silence laissant sous-entendre bien des non-dits. Le décor ressemble à l’intérieur d’une serre avec sa structure métallique. Quand les lumières s’éteignent surgit le frère d’Armand, Arnaud (Patrick Hivon) ; ce dernier travaille comme correspondant de guerre. Il revient pour la première fois sur la ferme familiale depuis les quatorze dernières années, en raison du décès récent de leur père. Son frangin le reçoit cavalièrement, avec une carabine pointée vers lui. Ses retrouvailles laissent présager bien des blessures et des souvenirs qui ne demandaient pas à se réveiller aussi abruptement. Arnaud souffre du syndrome post-traumatique et revoit sans cesse des brides de son échec amoureux. Ses tentatives de réconciliation avec son passé exigent des efforts, même si une sympathique jeune fille un peu paumée (Marie-Ève Fontaine) tente d’adoucir sa quête.

Pendant une heure et quinze minutes, la production tente par tous les moyens de nous sortir de notre torpeur et de nous empêcher de demeurer indifférents à la tragédie qui se joue devant nos yeux. Le metteur en scène prend plaisir (peut-être trop) à bombarder l’intrigue de différents effets scéniques, dont, entre autres, un coup de feu, des projections vidéo plutôt violentes, des empoignades viriles entre Armand et Arnaud ou encore des interventions sur écran comme dans un reportage télévisuel. À quelques reprises, des averses abondantes de pluie tombent directement sur le plateau, sans nécessairement que le propos le nécessite. La contribution très importante des concepteurs scéniques (dont la scénographe Geneviève Lizotte) n’aide pas non plus à plonger en plein cœur du drame.

La principale lacune dans l’approche de Philippe Ducros réside justement dans cette surenchère de stimulation du début à la fin, à l’image des topos sensationnalistes du monde médiatique dans lequel gravitait Arnaud. Les conflits qui minent cette lutte fraternelle (dont la lecture du testament par un notaire caricatural ne diminuera que très légèrement la tension) ne dépassent que très rarement les premières impressions. Un sujet comme la dualité entre deux frères (déjà traité dans maintes œuvres théâtrales dont Les Frères Laforêt de François Archambault) fonctionne davantage lorsque le récit se permet quelques moments d’accalmie. Par ailleurs, curieusement, les échanges entre Arnaud et la voisine de son frère demeurent plus naturels et plus fluides sans que le metteur en scène se sente obligé d’ajouter des couches de distraction. Là, la réalisation de Ducros se révèle plus sentie et plus assumée, car elle laisse la partition de Poulin-Denis respirer.

En parallèle de la rencontre entre Arnaud et sa nouvelle «amie» se greffent des séquences de flashback avec son ancienne flamme. Celles-ci semblent plutôt plaquées avec une poésie maniérée qui tranche trop avec la langue de l’auteur, ailleurs très rude. Originaire de la Saskatchewan, Gilles Poulin-Denis parsème son texte de répliques complètes en anglais, laissant présager les risques possibles d’acculturation pour les francophones. De plus, son écriture mélange énormément de pistes à priori intéressantes (comme la difficulté d’assumer son héritage, les liens entre les réalités locales et les enjeux plus internationaux), mais qui reste souvent à la surface des choses.

Or, la distribution constitue l’agréable surprise de la soirée. Dans la peau du reporter qui espère faire la paix avec ses origines, Patrick Hivon démontre une superbe sensibilité, souvent très prenante. Robin-Joël Cool s’avère aussi intense en frère broyé par la violence d’un milieu insondable. Les apparitions saisissantes de Jean Marc Dalpé en père décédé ressemblent à celle d’un fantôme refusant son destin final. Marie-Ève Fontaine insuffle quant à elle une belle ferveur à cette jeune femme en quête d’exil. Par contre, les autres interprètes ne bénéficient pas de rôles avec la même substance.

Car malgré toutes les faiblesses, une création comme Dehors est composée de vivants qui ne craignent pas leur propre noirceur. 

14-03-2017