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Du 11 avril au 6 mai 2017
Toccate et fugue
Texte Étienne Lepage
Mise en scène Florent Siaud
Avec Sophie Cadieux, Larissa Corriveau, Maxime Denommée, Francis Ducharme, Karine Gonthier-Hyndman, Mickaël Gouin

Voix radicale de notre dramaturgie, Étienne Lepage nous revient avec cette comédie tragique livrant le portrait à la fois séduisant et choquant d’une génération au bord de l’implosion.

C’est l’anniversaire de Caro, mais elle l’a oublié. Ses amis débarquent chez elle pour un party qui n’a jamais vraiment lieu : la musique ne fonctionne pas, les amitiés non plus. Arrive alors une prostituée que personne n’a appelée. De fil en aiguille, les petits actes égoïstes et maladroits de chacun font boule de neige et la soirée ratée dérape en une série d’agressions qu’ils n’ont jamais voulues, mais clairement provoquées.


Assistance à la mise en scène Alexandra Sutto
Décor, costumes, accessoires Romain Fabre
Éclairages Nicolas Descoteaux
Musique originale Julien Éclancher
Accessoires Fanny Denault
Vidéo David B. Ricard
Assistance aux costumes Chantal Bachand
Régie générale Olivier Gaudet-Savard
Crédit photo Ulysse Del Drago

les mardis à 19 h
du mercredi au samedi à 20 h

Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et des Songes turbulents


ENTREVUE

Entre fugues et une toccate démantibulée: entrevue avec Florent Siaud pour «Toccate et fugue»

Dans Toccate et fugue, Florent Siaud (dé)construit un party qui s’enlise dans le chaos.

Le nom de la nouvelle création d’Étienne Lepage vient d’une des plus célèbres compositions pour orgue, la Toccata et fugue en ré mineur, BWV 565 de Jean-Sébastien Bach – le commun des mortels entre 35 et 50 ans connaissent cette mélodie grâce à Il était une fois… l’homme, une série documentaire animée d’Albert Barillé. Pourtant, les «êtres éparpillés» qui gravitent dans la partition du dramaturge semblent plus enclins aux «mix» de l’un des leurs, DJ réputé de la scène berlinoise, qu’au courant baroque du début du 18e siècle.
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Centre du Théâtre d'Aujourd'hui
3900, rue Saint-Denis
Billetterie : 514-282-3900 - billetterie.theatredaujourdhui.qc.ca

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Critique

Écrite comme une véritable partition, mais dont chaque ligne serait jouée sans égard aux autres, la nouvelle pièce d’Étienne Lepage sonne particulièrement juste en cette période qu’on aime croire d’hypercommunication, mais où on se révèle plus centré sur soi-même que jamais.






Crédit photos : Nicolas Descoteaux

Toccate et fugue, c’est l’histoire d’un party d’anniversaire qui n’aura jamais vraiment lieu. C’est l’anniversaire de Caro (Karine Gonthier-Hyndman), tentant de finir sa maîtrise au milieu d’une dépression, et qui avait elle-même oublié son anniversaire, où s’invitent son ex, Guillaume (Mikaël Gouin), toujours accroché à leur histoire d’amour, Daniel (Maxime Denommée), ou DJ Hong Kong à la réputation internationale (selon ses dires), et l’amie Élise (Sophie Cadieux), qui en pince pour Félix (Francis Ducharme), uniquement intéressé à boire et à fêter. L’arrivée d’une prostituée (Larissa Corriveau) que personne n’a commandée va cependant bousculer les choses et faire surgir les pulsions de chacun.

On retrouve dans Toccate et fugue les thèmes chers à l’auteur. Entre leurs graves problèmes de communication, les personnages, jeunes trentenaires, sont aussi englués dans des relations dysfonctionnelles où chacun a bien souvent les yeux collés sur ses propres besoins et désirs. Comme dans L’enclos de l’éléphant, l’auteur met la table, à travers l’incapacité des personnages à être simplement ensemble, pour cet instant où, inévitablement, la cruauté en chacun finira par ressurgir. On la sent d’abord courir, sous les paroles hachurées de Daniel, de Guillaume, de Caro et d’Élise, dans leurs dialogues en forme de monologues entrelacés, mais c’est l’arrivée de la prostituée perchée sur ses souliers plateformes et sur ses jambes qui n’en finissent plus qui cristallise leurs pulsions et fait jaillir la violence latente. « La violence refoulée de chacun n’a besoin que d’une victime et d’un ensemble de personnes pour nous exploser au visage », explique le metteur en scène, Florent Siaud, dans une entrevue du magazine 3900. C’est par une succession de petits gestes et de non-décisions (parce que personne n’ose poser un geste franc, pas même face à un oisillon agonisant) que la violence culminera et que le party se terminera brutalement.

Les personnages de Lepage, que le metteur en scène fait tourner dans la pièce centrale de l’appartement de Caro comme des poissons dans un aquarium, se révèlent vite déséquilibrés, incapables de se concentrer sur une conversation plus d’un moment; leur attention constamment attirée ailleurs. Ironiquement, c’est la prostituée, objet de convoitise ou de mépris, qui, juchée sur ses échasses, semble le seul pivot de cette faune continuellement en mouvement. Lepage trace sans jugement (le public, lui, s’en charge tout seul), le portrait d’une société qui peine à bâtir des projets parce qu’incapable d’être collectivement dans l’instant présent.

L’auteur et le metteur en scène mettent en place une mécanique efficace qui régit les interactions des personnages et leur quête de satisfactions immédiates sans souci des conséquences. La production est par ailleurs bien servie par une distribution impeccable ; Maxime Denommée est particulièrement excellent (et inquiétant!) en DJ hyperactif. Les comédiens manient, sans trop de difficulté apparente, une partition difficile, faite de dialogues imbriqués et de phrases inachevées. Le rythme ne ralentit que sur la fin, laissant le public aussi essoufflé que les acteurs. On note tout le travail sur la langue vive et télescopée des personnages, qui répètent en boucle certains mots et idées, comme des disques rayés, jusqu’à ce qu’ils nous fassent passer l’envie d’en rire, sinon jaune.

Malgré certaines longueurs – la mécanique finit par tourner à vide et la finale manque de la force de frappe des pièces précédentes de Lepage –, Toccate et fugue se révèle une comédie grinçante très efficace. La pièce nous tend un miroir déformant d’une génération, avec son individualisme, ses névroses et sa façon de parler sans s’écouter. Impossible de s’attacher aux invités de cette triste fête, mais impossible non plus de résister à la curiosité morbide qui nous pousse à regarder jusqu’au bout ce dérapage annoncé.

17-04-2017