Une femme a été agressée. Elle s’est débattue. Elle a crié et ce cri salvateur, réveillant ses voisins et mettant en fuite son agresseur, fait ressurgir toute la vie qui résiste en elle. Mais depuis, sa mémoire lui joue des tours. Cherchant à reconstruire la chronologie des événements et le visage de son agresseur, elle doit naviguer entre souvenirs fuyants et amnésie momentanée.
Rachel Graton nous fait suivre l’évolution de la jeune femme, du moment de l’agression jusqu’à celui où elle entame ses premiers pas vers la résilience pour retrouver sa liberté. Mis en scène par Claude Poissant et porté par une distribution chorale, La nuit du 4 au 5 est le récit d’une jeune fille qui a choisi de parler plutôt que de se taire, qui se relève au lieu de rester par terre.
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène et direction de production Marie-Christine Martel
Scénographie Max-Otto Fauteux
Éclairages Renaud Pettigrew
Conception sonore Frédéric Auger
Photo Christian Blais, Design Gauthier
Mardi 19h
Mercredi au vendredi 20h
Samedi 16h
Rencontre avec l'équipe 3 octobre
La nuit du 4 au 5 de Rachel Graton est récipiendaire du prix Gratien-Gélinas 2017 attribué par la Fondation du Centre des auteurs dramatiques, un prix rendu possible par le précieux soutien de Québecor.
Une création de Rachel Graton
Remarquée ces dernières années pour ses rôles autant à la télévision (Au secours de Béatrice, Les Simone) qu’au théâtre (Tartuffe de Molière, On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset), Rachel Graton signe ces jours-ci un premier texte pour la scène, La nuit du 4 au 5, à la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Cette première expérience comme dramaturge professionnelle ne sera certainement pas la dernière.
Rachel Graton n’a pas cessé d’écrire depuis son adolescence. Pour sa Nuit du 4 au 5, elle a reçu le Prix Gratien-Gélinas. Mais le plus grand honneur demeure celui de voir sa partition orchestrée par Claude Poissant, l’un des metteurs en scène les plus sensibles avec les œuvres féminines, et ce, depuis les années 1980 (dont avec le texte marquant La Déposition d’Hélène Pedneault).
Durant une heure et quinze minutes, la pièce raconte les dessous d’une agression sexuelle. Un soir d’hiver très froid, une jeune femme est attaquée par un homme à quelques rues de chez elle, dans son quartier. Plutôt qu’un récit linéaire, la dramaturge a choisi la forme chorale où trois femmes et deux hommes tentent, entre autres, de faire la lumière sur le drame. Mais la présence de diverses voix permet aussi de démontrer les visions contradictoires découlant d’un crime sexuel («la victime portait-elle des vêtements trop courts?», «a-t-elle aguiché l’homme en question?»). L’histoire avec son rythme hachuré et saccadé expose ainsi les états d’âme de la jeune femme qui tente de retrouver un sens et de recoller les morceaux de sa vie.
La plus grande surprise devant l’exécution scénique de La nuit du 4 au 5 demeure sans contredit sa délicatesse certaine. Antérieurement, les réalisations artistiques traitant du viol ont surtout focalisé davantage sur la violence brute. Le septième art a illustré cette réalité dérangeante, parfois de manière très saisissante avec Appel à la justice de Jonathan Kaplan avec Jodie Foster, et au Québec dans l’essentiel Mourir à tue-tête d’Anne-Claire Poirier avec Julie Vincent et Germain Houde. Au théâtre, Pol Pelletier avait montré ses mêmes angoisses dans la création collective La Peur surtout. Plus récemment, Brigitte Haentjens avait adapté Une femme à Berlin de Marta Hillers sur les viols de femmes allemandes à la fin la Seconde Guerre mondiale. Le thème n’a jamais cessé d’hanter les consciences et la mémoire.
L’écriture de Graton n’évite pas les dimensions sombres et sensibles du sujet. Elle préfère justement dévoiler par petites touches les sentiments et la douleur. La subtilité de son propos lui évite heureusement le manichéisme. L’humour apparaît parfois, surtout peu de temps avant le dénouement, notamment par des allusions aux vedettes Justin Bieber et Justin Timberlake.
Les cinq interprètes de la partition (Geneviève Boivin-Roussy, Louise Cardinal, Johanne Haberlin, Simon Landry-Désy et Alexis Lefebvre) portent tous et toutes des vêtements noirs (conçus par Sylvain Genois), en parfaite harmonie avec le plateau dépouillé. De plus, leurs voix se complètent souvent, mais parviennent aussi à se démarquer. Boivin-Roussy se glisse à l’occasion dans la peau de la victime, Cardinal démontre à quelques reprises une sorte de distanciation, tout comme Haberlin. Les deux acteurs masculins explorent bien des nuances avec un sens indéniable de l’empathie plutôt que de l’agressivité (celles de l’agresseur ou de témoins incrédules) souvent attendue dans ce type de répertoire.
L’ensemble bénéficie à tout instant de la brillante mise en scène de Claude Poissant. L’homme de théâtre excelle souvent à rendre avec force, mais aussi avec subtilité, toute la charge de la violence qui habite les individus ; songeons au duel entre les deux hommes de Tom à la ferme de Michel-Marc Bouchard. Son travail pour La nuit du 4 au 5 évoque aussi une autre de ses brillantes réalisations, soit l’adaptation théâtrale de Je voudrais me déposer la tête de Jonathan Harnois avec ses éclairages feutrés, une scénographie qui ne s’embarrasse pas du superflu et des interprètes plongés dans le cœur de l’action dramatique.
Poissant s’est également entouré d’une solide équipe. Renaud Pettigrew a conçu des éclairages dans des teintes clair-obscur qui jouent avec la dichotomie de lumières et de ténèbres, soulignant les souvenirs erratiques de l’incident pour la jeune femme. La conception sonore de Frédéric Auger s’avère aussi percutante avec ses airs mélancoliques entendus au loin en sourdine.
Le quintette prouve son aisance à incarner cette parole aussi rude que soignée. L’un des moments les plus saisissants arrive vers la fin lorsque Geneviève Boivin-Roussy se détache de ses partenaires (souvent réunis les uns à côté des autres) et se jette par terre au centre de l’espace scénique. Avec un jeu d’éclairage, le corps de l’actrice semble traverser par un éclair, entre la vie et la mort. Une émotion commune se crée alors entre la scène et la salle.
La pièce La nuit du 4 au 5 de Rachel Graton n’apporte aucune réponse à la réalité de l’agression sexuelle. Pourtant, elle permet davantage, soit d’interroger notre monde dans toute sa beauté, mais aussi dans sa laideur ineffable.