Chercher, encore et toujours : le t-shirt, les boucles d’oreilles, le chien, le lapin, le serpent, le tapis volant... Venues pour magasiner en toute tranquillité, sept femmes sautent dans le tourbillon dévastateur de la consommation outrancière et irréfléchie avec candeur et acharnement. Telles sept prisonnières partageant une même cellule, chacune d’elles se heurte aux barreaux inflexibles de son destin.
Avec Centre d’achats, Emmanuelle Jimenez aborde ces lieux comme autant de symboles de notre aliénation collective mais aussi de notre besoin de communauté. Le besoin de partager, de communiquer, de se sentir entouré, se confronte alors au besoin de consommer toujours plus les mêmes choses, au risque d’y trouver ses rêves déchus et son âme meurtrie.
Par Olivier Dumas
Dans Centre d’achats, Emmanuelle Jimenez s’interroge sur nos comportements et notre fragilité à l’aide de sept femmes dans l’un des antres de la consommation.
La dramaturge Catherine Léger (Filles en liberté) disait à propos d’une œuvre scénique précédente d’Emmanuelle Jimenez, qui avait elle aussi foulé les planches de la grande salle du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui à l’hiver 2007 : « Du vent entre les dents, c’est la permission de laisser sortir le monstre que l’on cache depuis toujours et qui gronde dans notre armoire à casseroles ou sous notre lit. » Une décennie plus tard, une autre forme de « monstre », plus visible cette fois-ci, a interpellé la femme de théâtre : le centre d’achats, « une passion » dit-elle. Allégorie du capitalisme destructeur, notamment dans la chanson des Colocs (« Y’é tombé une bombe sur la rue principale / Depuis qu’y ont construit / le centre d’achat »), ou encore pamphlet politique dans le classique du cinéma gore Dawn of the dead (Zombie en français) de Georges Andrew Romero, ce lieu « où s’entremêlent le sublime et la laideur, la beauté et le kitsch », suscite autant l’envie que le malaise, et ce, depuis plus d’un demi-siècle.
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Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène et régie Étienne MarquisPrix des billets / salle principale sauf Chansons… :
30 ans et moins - 26$
régulier - 36$
60 ans + - 32$
Mardi 19h
Mercredi au vendredi 20h
Samedi 16h
Une création du Théâtre de la Marée-Haute en coproduction avec le Centre du Théâtre d'Aujourd'hui
En cette période de l'année où le vent froid dehors rappelle à tous que le magasinage des fêtes devrait commencer à être une priorité, le nouveau texte d’Emmanuelle Jimenez Centre d'achats semble des plus à propos. Mise en scène par Michel-Maxime Legault, cette pièce paraît être une belle façon d'aborder la tendance réelle de plusieurs à surconsommer sans pour autant en faire la critique. Présentée dans la salle principale du Centre du Théâtre d'Aujourd'hui jusqu’au 1er décembre, cette création du Théâtre de la Marée haute donne à voir un univers d'une impressionnante théâtralité dans lequel sept comédiennes de talent offrent des personnages d'une touchante authenticité.
Prenant place devant un espace de jeu «bifrontal», les spectateurs se retrouvent confrontés à une illusion de miroir planifié avec brio par le scénographe d’expérience qu’est Jean Bard. D’un blanc immaculé, la scène renvoie à un prestige qui suggère inévitablement l’idée d’une passerelle de mode sur laquelle défileront les protagonistes venus s’exposer volontairement aux regards de consommateurs intéressés. Le caractère théâtral de la représentation est pleinement assumé à travers ce choix de dispositif scénique. Cela permet de supposer que le public aura droit à une performance de haut calibre de la part du septuor considérant les défis techniques d'interprétation qu'impose une telle convention. Commençant en force avec un chœur à l’image de toute la pièce, les sept femmes dévoilent une grande maturité d’interprétation et imposent le respect de l’auditoire. Malgré les maquillages très extravagants d’Amélie Bruneau-Longpré et les perruques ridiculement volumineuses conçues par Denis Binet qu’elles abordent, chacune joue avec une telle assurance que leur apparence quelque peu clownesque finit rapidement par faire sens. Au-delà de l’allure fière que leur apporte la collection Denis Gagnon, Anne Casabonne, Marie Charlebois, Marie-Ginette Guay, Johanne Haberlin, Tracy Marselin, Madeleine Péloquin et Danielle Proulx proposent des adeptes de magasinage crédibles empreintes d’une profonde humanité. Mention spéciale à Anne Casabonne et Danielle Proulx dont le jeu particulièrement nuancé a su attirer autant les rires que la sympathie du public.
...les sept femmes dévoilent une grande maturité d’interprète et imposent le respect de l’auditoire.
Quant au travail de Philippe Brault, responsable de la conception sonore, celui-ci présente une contradiction intéressante. La musique paraît être autant une façon de recréer l’ambiance cacophonique réelle d’un centre d’achats qu’un repère a une prochaine chorégraphie, ce qui déconstruit complètement cette tentative de réalisme. Additionnée à des promotions publicitaires qui semblent venir des cieux, l’allusion à une puissance divine qui contrôle les comportements des acheteuses sur scène permet une puissante métaphore très originale. Si cela apporte malheureusement certaines longueurs en complexifiant le sens de certains passages, l’idée d’imaginer des situations aussi banales en leur donnant une dimension mythologique assumée de la sorte ne manque pas d’audace.
Ainsi sont réunis de grandes dames de théâtre et des concepteurs créatifs pour offrir un spectacle qui surprend et en convainc plusieurs que le théâtre réussit encore à éblouir malgré la banalité des sujets qu’ils abordent. Un peu plus d’une heure à s’offrir en cadeau sans gêne d’avoir dépensé pour se l’acheter.