Le Misanthrope de Molière

du 5 au 30 novembre 2002, Les Entretiens le 29 octobre 17h et 9 novembre, rencontre du public avec les artistes

Un amoureux trop honnête pour être heureux

Alceste hait tous les hommes. Avec une franchise brutale, il refuse la société et ses conventions hypocrites. Le hasard ironique fait qu'il est amoureux de la femme la plus coquette et la plus éprise des plaisirs de la société qu'il méprise, la jeune veuve Célimène. Elle ne le hait point mais hésite à tout quitter pour le suivre. L'intransigeance de l'un et la légèreté de l'autre semblent bien incompatibles. Le dénouement sera sans cesse retardé par un défilé de personnages de la cour dont la banalité mondaine et les discours prétentieux ne peuvent que confirmer Alceste dans sa hargne intransigeante et excessive.

Considérée comme le chef-d'oeuvre de Molière, la pièce, très soigneusement écrite, est créée en 1666. Jamais Molière n'a poussé aussi loin l'analyse d'un caractère où on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a mis un peu de lui-même.

mise en scène
Françoise Faucher

avec
Carl Béchard, François Caffiaux, Pierre Chagnon, Sébastien Delorme, Sophie Faucher, Catherine Florent, René Gagnon, Marianne Moisan, Cédric Noël, Frédéric Paquet

assistance à la mise en scène et régie
Claudine Paradis

scénographie et accessoires
Marcel Dauphinais

costumes
Mérédith Caron

éclairages
Michel Beaulieu

musique
Catherine Gadouas

maquillages
Jacques-Lee Pelletier

 

 

 

 

de David Lefebvre

À chaque année, sinon aux deux ans, les théâtres de Montréal montent une pièce du patron, comme on l'appelle dans le milieu. Jean-Baptiste Poquelin, connu sous le nom de Molière, a été sûrement le déclencheur du théâtre moderne francophone. Par sa qualité de jeu, sa façon très pointilleuse de mettre en scène, ses textes magnifiques et sa popularité, il est donc aisé de vouloir monter une de ses pièces. Malgré le temps, elles attirent encore les foules, et restent actuelles.

Le défi reste au niveau de la mise en scène, de montrer la pièce sous un autre jour ; la faire redécouvrir au public. On a demandé à Françoise Faucher de monter le Misanthrope, sûrement la pièce la plus grave du répertoire de Molière, et selon certains, sa meilleure. Mme Faucher n'avait jamais monté de Molière, ni jamais joué dans une de ses pièces. Pour une dame de théâtre d'expérience, c'est quelque peu surprenant. N'empêche, elle y apportera une vision très intéressante.

Misanthrope : adj. et nom (de miseîn haîr et anthrôpos, homme) Qui aime la solitude, qui fuit ses semblables ; qui est d'humeur constamment maussade (Source : Petit Larousse 1992). L'ennemi le plus cher pour ce genre d'homme est sûrement la passion. Voilà le thème principal de la pièce, un homme maussade, trop honnête, qui brûle pour une jeune et belle veuve qui aime la vie mondaine, s'amuser, qui découvre sa liberté (et qui veut la garder le plus longtemps possible) et qui n'a pas la langue dans son corset.

Comme la pièce détient ce thème intemporel, elle fut joué sous plusieurs époques (même aujourd'hui, dans un grand bal avec tenue de soirée) mais la brillante idée de la placer au 19e siècle est tout à fait appropriée et géniale. Par ce romantisme, cette passion débordante, cette liberté, ces qualités du 19e siècle ajoute du mordant au spectacle et une autre vérité.

Au tout début de la pièce, nous avons droit à un des plus beaux duos de la saison : Pierre Chagnon (l'excellent et passionné Alceste) et René Gagnon (l'épicurien Philinte). Le naturel est là, les postures, les gestes magnifiques, les costumes époustouflants (les redingotes ont une légèreté, les tissus sont choisis, les couleurs étudiés, laissant le misanthrope en noir et les autres en couleur). Par contre, il nous faudra un certain temps avant de saisir parfaitement les vers de douze pieds de Molière, surtout venant de la bouche d'Alceste (qui est victime de sa voix grave, qui sonne en écho dans le théâtre). C'est Carl Béchard (Oronte) qui amènera l'effet comique à la pièce, avec son sonnet et ses intonations ridicules (les spectateurs ont même applaudi à sa première sortie, c'est tout dire), et la grâce, la beauté, vient de Catherine Florent (Célimène), un ange. Tout le monde comprend la passion d'Alceste pour cette femme, que Florent incarne avec brio et intelligence. Sophie Faucher joue avec sobriété Arsinoé, une veuve se faisant moins jeune, qui voudrait bien d'un amant, jalouse de la popularité de la jeune Célimène. Éliante, jouée par Marianne Moisan, cousine de Célimène, joue son rôle avec une certaine naïveté. Acaste (Sébastien Delorme) et Clitandre (Cédric Noël) forment un duo de prétendants inséparables. Le texte complet sonne comme de la musique (ce qui peut devenir dangeureux, emmenant les comédiens à "chanter" leurs répliques, ce qui heureusement n'arrive pas), la mise en scène est simple et classique et d'un esthétisme certain.

Les colères sont rendues avec justesse, même si parfois on exagère les faits, et le débit est rapide, nerveux, et nous incite davantage à tendre l'oreille pour ne rater aucune parole. On aura même fait un clin d'oeil à ce cher Molière (qui interprétait lui-même le rôle du misanthrope, Alceste) dans le costume noir de Pierre Chagnon, par un ruban vert (le vert était à l'époque la couleur des bouffons, et des costumes de Molière). Un classique bien joué, bien monté, et bien apprécié.