C’est en 1937 que Gratien Gélinas crée le célèbre personnage de Fridolin pour la série radiophonique Le carrousel de la gaieté. Cet adolescent faussement naïf commente avec humour les mœurs de son temps. Il obtient un succès indéniable : Fridolin plaît immédiatement au public. Il passe ensuite à la scène et devient le personnage central dans neuf revues très populaires présentées de 1938 à 1946. Ces revues deviendront les Fridolinades. Une suite de sketches, chansons, parodies et monologues pétillants.

À cette époque, intense et riche en événements politiques aussi bien à l’échelle locale, nationale et internationale, le personnage de Fridolin était le porte-parole des Montréalais de toutes les classes sociales.

Considéré comme le père de la dramaturgie québécoise, Gratien Gélinas, qui créera plus tard Tit-Coq et Bousille et les justes, est aussi un pionnier de la satire sociale et politique. Jean-Guy Legault reprend en l’actualisant le succès phénoménal de cette épopée canadienne-française.

Texte
Gratien Gélinas

Mise en scène
Jean-Guy Legault

Avec
Nico Gagnon, Geneviève Bélisle, Myriam Poirier, Marie-Ève Pelletier, Sébastien Gauthier, Luc Bourgeois, Éric Bernier, Dominique Leduc

Collaborateurs
Nathalie Godbout, Pierre-Guy Lapointe, Étienne Ricard, Yves Morin, Florence Cornet, Joël Melançon, Michèle Magnan

Du 2 au 25 novembre 2005
Billetterie : 253-8974

Crédit photo : Josée Lambert

 

par David Lefebvre

Gratien Gélinas est l'un des pères du théâtre québécois. Il serait long de vous énumérer tout l'apport de ce grand homme au monde du théâtre d'ici. Je vous suggère fortement de lire le Cahier no. 60 du Théâtre Denise-Pelletier, qui est toujours une grande mine d'informations. Mais jetons un coup d'oeil sur ce qui nous intéresse : l'une de ses créations les plus connues est Fridolin, cet éternel adolescent au chandail du Canadiens de Montréal, armé de son slingshot, qui rigole de l'actualité du moment tout en faisant réfléchir sur celle-ci. Durant la Deuxième Guerre, M. Gélinas créa un spectacle style boulevard/cabaret, diffusé au Monument-National, qui était en fait une revue de l'année, appelé Fridolinons. En résumé, le spectacle contenait des sketches, des numéros musicaux et dansants. Ces revues étaient d'une très grande popularité, courues par les foules. Rapidement, Fridolin, qui avait commencé sa carrière à la radio, devint célèbre.

Pourquoi reprendre Les Fridolinades aujourd'hui? Parce que plus ça change, plus c'est pareil. L'époque 39-45 en fut une explosive au niveau de l'actualité nationale et internationale, avec la guerre et le nationalisme. La conscription, le rationnement, les gens croyaient être mal dirigés. Ça vous dit quelque chose? La légitimité du pouvoir et l'amnésie collective (ou le fait que lon oublie souvent, ou trop rapidement) est au sein de la nouvelle production.

Un homme entre dans un théâtre en décrépitude avec sa comptable. Un peu comme les églises que l'on récupère, il veut changer ce bâtiment en condos. Mais Fridolin et sa bande entre en jeu, et feront tout pour garder ce théâtre comme il est. Pas question de quitter! Pour aller où de toute façon?

Le lever de rideau se fait sur des explosions et quelques effets de lumière ; la guerre est commencée. C'est dans un décor imposant, une ruelle de Montréal en démolition, que les différents comédien(ne)s évoluent. Il faut voir ce balcon au deuxième étage, la corde à linge, un coin de mur démoli, cet autre mur en «tôle» qui s'abaisse comme un pont-levis pour nous révéler un intérieur X et ces grandes portes battantes au motif de vieille radio. Cette représentation de la radio est très importante pour le spectacle, servant à plusieurs niveaux, puisque c'est par la radio, dans les années 30-40, qu'arrivaient toutes les nouvelles et les divertissements. C'était le seul moyen de communication, à cette époque, qui rejoignait rapidement la population. Tout au long de la pièce, on se promène de sketch en sketch, on parle beaucoup de guerre (en faisant le parallèle entre la Deuxième Guerre et ce que nous vivons aujourd'hui), de la politique, de l'économie, de la famille, du travail, des valeurs, de la liberté, du patrimoine... Bref, beaucoup de sujets sont amenés sur le tapis. Tout se termine avec la fin de la guerre, par une scène très touchante entre Ti-Coq (qui fut créé lors des Fridolinades originales) et sa copine qui s'est mariée avec quelqu'un d'autre lors de son service.

La relecture et la réactualisation de Jean-Guy Legault démontrent tout le talent de celui-ci ; bien dosé, les textes originaux et les ajouts sur notre actualité se marient naturellement. On rit autant des blagues sur Bush et les commandites qu'on réfléchit sur les premiers discours de la libération des femmes, qui peuvent enfin sortir de chez elles pour travailler dans les usines de munitions. Virulent, on n'y va pas avec le dos de la cuiller pour faire passer le message et c'est tant mieux! M. Gélinas s’amusait ainsi à l'époque, alors pourquoi se priver? Plus la pièce avance, plus les blagues et les sketches sont intéressants et drôles, un crescendo bien orchestré. Les différents changements se font sous les bombardements et les tirs de fusils. Mais ce qui fait réellement le spectacle, ce sont les comédiens et comédiennes. L'énergie et la vitalité du jeu sont remarquables. Tous foncent tête première dans ce spectacle où l'on chante, danse et rigole beaucoup, et ce avec le plus beau sourire. Nico Gagnon est à la hauteur dans son rôle de Fridolin. Tous les autres (Geneviève Bélisle, Éric Bernier, Luc Bourgeois, Sébastien Gauthier, Dominique Leduc, Marie-Ève Pelletier et Myriam Poirier) jouent plusieurs personnages et sur plusieurs registres, sans fausse note. Malheureusement, l'acoustique de l'endroit nous fait perdre quelques mots et bouts de phrases. Durant la pièce, on a même droit à une relecture d'Aurore par quatre metteurs en scène d'aujourd'hui (très drôle!) et du premier film de M. Gélinas, La Dame aux camélias, la vraie, projeté sur un grand voile accroché à la corde à linge, petite satire des films muets. Malgré une première partie un peu longue, on ne s’ennuie pas en compagnie de cette troupe historique.

Je vous invite fortement à voir ce spectacle, pour ses grandes qualités mais surtout parce qu'il ne sera pas longtemps à l'affiche. À cause du boycott des activités culturelles dans les écoles, le théâtre a dû couper dans le nombre des représentations (n'en mettant que 21 à l'affiche au lieu d'une trentaine). Malgré que l'on soutienne la cause des professeurs, dixit Pierre Rousseau, c'est un dur coup pour le théâtre, en général et en particulier. Mais il est injuste que ce soit ce dernier qui en paie le prix. C'est une raison de plus pour encourager les artistes et les créateurs de la scène, en assistant à leurs créations.

06/11/2005