Du 8 au 26 janvier 2008
Blanc
Texte d'Emmanuelle Marie
Mise en scène de Geneviève L. Blais
Avec : Simone Chevalot, Isabelle Roy et la participation de 12 femmes
Quelques mots reçus comme un coup de poing sur le plexus : maman
est à l'agonie. Plus que deux jours, peut-être trois … Vies qui basculent, temps suspendu. Prendre soin
d'elle, lui tenir la main. Attendre. Confronter le silence. Ne pas pleurer devant elle. Comment affronter
la mort de celle qui nous a donné la vie ?
Douze femmes qui ont perdu leur mère nous invitent à partager avec elles une histoire. Écrite dans la
lumière de l'hiver, cette histoire s'intitule BLANC. C'est celle de deux soeurs qui se retrouvent alors que
leur mère vit ses derniers instants dans la chambre d'à côté. Elles ne savent pas quoi dire, quoi faire.
Derrière la porte, la mère à l'agonie ne dit rien. Le père tarde à venir. Le médecin a simplement
renouvelé la morphine. Et il est hors de question pour les deux soeurs d'appeler un prêtre. Elles sont
seules, sans réponses. Elles attendent maladroitement, roulant des cigarettes et mangeant des tartines
au chocolat. Impuissantes, elles font les cent pas, puis cuisinent un boeuf aux carottes, parce que les
carottes, c'est plein de vitamines, c'est bon pour elle… Les minutes, les heures, les jours et les nuits
passent. De leurs conversations anodines surgissent peu à peu leurs blessures profondes, les questions
et les désirs trop longtemps tus. De la souffrance à la douceur paisible, en passant par le rire, leurs mots
hésitants et leurs corps ébranlés s'unissent dans un poème scénique empreint de vie et d'indicible.
Fondé en 2003, le Théâtre à corps perdus a pris forme autour du désir de Geneviève L. Blais
d'évoquer ce dont on n'ose parler et ce qui nous laisse sans voix. Ses projets de création explorent
les zones d'ombre de la réalité humaine contemporaine. Cherchant à fissurer la perception rationnelle
du réel, ses spectacles s'adressent avant tout à l'inconscient, aux sens et à la mémoire. La compagnie
orchestre des expériences théâtrales impressionnistes qui s'articulent autour de la musicalité des mots
et de l'architecture des corps dans l'espace. Questionnant la place que le théâtre peut et doit occuper ici
et aujourd'hui, l'exploration de la relation avec le public, du rituel de la représentation et la friction entre
le réel et la fiction sont au coeur de sa démarche. Blanc est la quatrième création du Théâtre à corps
perdus, après Les Châteaux de la colère (Salle Fred-Barry, 2006), Combats (Bain St-Michel, 2005) et
Quelques éclats de verre (Bar le 980, 2004).
Née en 1965 à Boulogne-sur-Mer, Emmanuelle Marie, après des études de Lettres Modernes et de
Filmologie, s'oriente vers la scène et co-fonde avec Jacques Descorde la Compagnie des Docks.
Comédienne, elle écrit également pour le théâtre Ecce homo (éditions du Cosmogone en 1996), Avant
la chute et Cut (créée en 2003 au Théâtre du Rond-Point à Paris et lue à Montréal à l'Espace Libre en
2005). Blanc naît en 2004 à Montréal, dans le cadre d'une résidence d'écriture du Centre des auteurs
dramatiques (CEAD). Publiée aux éditions L'Avant-scène Théâtre, la pièce a été créée l'automne
dernier au Théâtre de la Madeleine à Paris. Emmanuelle Marie est décédée en mai 2007 des suites
d’une longue maladie.
Espace, objets et costumes : Fruzsina Lanyi
Éclairages : Stéphanie Raymond
Composition
musicale : Jimmie Leblanc
Direction de production, assistance à la mise en scène et régie : Élyse Vézina
Directrice technique, Kathleen Gagnon.
Avec la participation de Carmen Meilleur, Diane Aboul-Dahab,
Françoise Bouglé, Françoise Tremblay, Johanne Ductan-Petit, Lorraine Alarie, Lydie Olga NTAP,
Maria-Gisela Ana, Monique Jutras, Nicole Sauvageau, Suzanne Poirier et Alexandra Mercier-Ménard.
Une création de Théâtre À corps perdu
Salle Fred-Barry
4533, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974
par Mélanie Viau
Personne n’apprend comment recevoir la mort, comment l’accueillir sans se briser soi-même, sans faire trop de dégâts sur l’âme. Il ne semble y avoir que l’attente dans un temps suspendu, seulement, et le courage de survivre dans cette attente, dans la perte, le vide. Accepter, changer les draps et tâcher de combler les espaces blancs dans la tête par un peu de chaleur, un peu de réconfort. La mort de sa propre mère est cette histoire et ces six milliards d’autres histoires qui trouvent dans la création Blanc leur écho, leur écoute, comme un partage de soi dans l’universel, le temps d’arriver à y voir plus clair. Afin de faire entendre ces voix, ces pertes, la metteure en scène Geneviève L. Blais passe au-delà des mots si purs et si simples de l’auteur Emmanuelle Marie en invitant généreusement douze femmes d’âge et de culture diverses à partager une partie de leur deuil vécu. Une humanité sensible et sensée émane de la rencontre, où le côté « spectacle » du théâtre s’estompe dans l’intimité et la proximité des corps et des souffles. Une soirée de recueillement qui demande au spectateur de s’ouvrir non pas seulement à l’art, mais à l’Autre qui lui ressemble et avec qui il partage une part de destin.
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Crédit photos: Maxime Côté
Sur les photos: Isabelle Roy et Simone Chevalot.
Les comédiennes Simone Chevalot et Isabelle Roy incarnent avec doigté et retenue deux sœurs à nouveau réunies devant la porte de la chambre de la mère agonisante. Craintive maladresse, inconfort, impuissance, solitude angoissante à l’idée que l’une d’elles pourrait partir en laissant l’autre affronter seule l’immense perte. On tâche de se rattacher le plus fort possible aux gestes du quotidien, dans l’attente d’un secours, d’un réconfort, car le vide demande à être comblé. À table, on discute de désirs en mangeant du chocolat, on cherche à remplacer la peine par l’espoir. Il en ressort des phrases entrecoupées, chacune se perdant dans ses pensées confuses, revenant à l’autre, au souvenir d’une famille, aux blessures. Sans lourdeur, sans cris, sans larmoiements, dans le plus grand respect qu’il soit, le ton des actrices s’empreint d’un réalisme palpable, soutenu, où la perte des repères s’exprime sans agressivité, sans violence, amèrement. Le corps est impressionniste, d’une transparence qui laisse émaner l’inconfort de la stabilité et du calme dans ce dur instant qui doit se vivre dans la dignité. Ici, la mise en scène s’expose comme un tableau où, sortis de leur propre réalité active dans un monde atomisé où tout va trop vitre, les corps se perdent et se déploient dans leurs torsions, leur déséquilibre, leur fragilité au travers des fissures du réel.
Le décor conçu par Fruzsina Lanyì allie la rondeur du verre, la délicatesse de la fleur et la froideur de la ligne des maisons modernes, faisant du tout un espace des plus intime qui abolit la séparation entre la scène et la salle. Le public, installé sur trois côtés, se serre, se fait face, se laisse envahir (ou est-ce lui qui envahit ?). Enfin, certains peuvent se sentir coincé, d’autres y verront un cocon parfait pour recevoir, se laisser bercer par l’atmosphère maternelle et enveloppante. Les éclairages de Stéphanie Raymond suppléent à faire de la « bulle » un espace de la mémoire, en tâchant de rendre la chaleur d’une lumière qui jaillira tôt ou tard, pendant ou après la douleur.
Crédit photos: Maxime Côté
Sur les photos: Isabelle Roy et Simone Chevalot.
La démarche du Théâtre À corps perdus s’inscrit de manière très personnelle, très recherchée, dans un propos qui ne cesse et ne cessera de se présenter dans les théâtres montréalais. La mort d’une mère, la survie à cette mort, l’apprentissage et l’incompréhension. Mais y a-t-il vraiment un chant poétique universel à tout ça ? Un retour au sacré, sans doute, mais le clivage est si grand…
11-01-2008