Du 8 au 26 avril 2008
Du mardi au samedi à 19 h 30
Rencontre avec les artistes le jeudi 17 avril
Dragon bleu, dragon jaune
Une création théâtrale inspirée d’un conte coréen
Texte et mise en scène Patrick Quintal
Au pays du matin calme, l’empereur, pour le vingtième anniversaire de son couronnement, décide d’orner la salle du trône du plus beau paravent qu’on ait jamais vu. Il convoque le peintre le plus célèbre de l’empire qui habite dans une caverne aux confins du royaume. Sur le paravent doivent figurer deux dragons, un bleu et un jaune, symboles de la royauté. Le peintre accepte d’accomplir cette tâche. Dragon bleu dragon jaune : une histoire fabuleuse et poétique qui traite des rapports entre l’artiste et le pouvoir, une réflexion sur l’acte créateur et la place de l’art dans la société.
Une création du Théâtre du Double signe
Salle Fred-Barry
4533, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974
par Mélanie Viau
Dragon bleu, Dragon jaune c’est une rencontre avec des mains d’artisans, des mains fines, habiles, des mains qui ont le pouvoir de nous faire apparaître tout un monde sous leurs doigts. Animation d’ombres, mouvements de pinceaux, tissage soigné, jeux de percussions, manipulation de marionnette et de drapés… aucune artificialité et pourtant, quelle fantaisie ! À l’ère de l’hologramme et du virtuel au théâtre, il fait bon retourner aux sources d’une création brute, où la magie s’opère à même les matériaux de l’artiste. Dans ce spectacle féerique, la démarche du Théâtre du Double Signe rend grâce à leur inspiration poétique sur la métaphore du pouvoir de l’art.
La légende du noble empereur du Pays du Matin calme et du peintre Rushtayan marqua le vingtième anniversaire de cette compagnie théâtrale de Sherbrooke (2006) et Patrick Quintal, entouré de neuf précieux collaborateurs, en fit une œuvre digne, non pas de sa grande puissance, comme le demande l’empereur au peintre, mais de sa lignée artistique par les questionnements qu’elle pose quant à la quête de tout créateur. Un conte inspirant à souhait !
Terrassé depuis de longues nuits par un songe incompréhensible, l’empereur fait appel, aux bons dires de son conseiller, au fameux peintre Rushtayan, ermite d’un pays lointain portant avec lui ses 192 ans, afin que celui-ci rende, du pouvoir de ses pinceaux, les terribles créatures qui le hantent pour en faire une bannière magistrale soulignant les vingt ans du couronnement du souverain. À cette offre alléchante (et grassement payée), le vieux accepta sous plusieurs conditions, toutes plus farfelues les unes que les autres, et qui ne seront pas sans soulever l’indignation des artisans du royaume : la toile du paravent doit être tissée avec une soie plus noire que noire, plus fine que fine et ni les éleveurs de vers à soie, ni les tisserands locaux ne sauront s’acquitter de cette tâche. Bon nombre d’années passèrent avant que le paravent ne soit prêt et au moment ultime, le peintre semble vouloir poursuivre le supplice de son souverain encore plus longtemps… jusqu’à la rage, jusqu’à la plus noire folie. C’est que les deux dragons sans forme prennent vie dans l’âme du roi, ils se meuvent en couleur, ne sont que mouvement, ne sont qu’expression. Le monarque pourra-t-il s’en libérer ?
L’immense potentiel théâtral de l’oeuvre réside entre les mains des quatre acteurs. Jean-François Blanchard (vu dans Catch Me If You Can, ainsi que dans la grande campagne publicitaire Fido …!) rend sur scène un empereur tout en nuance, au plus loin du stéréotype de la royauté tyrannique ou ignare, et joue la carte de l’homme de foi de qui on abuse avec une justesse déconcertante. Son délire est palpable, ses pertes de repère le sont autant. Alexis Roy, clown et conteur, endosse tout le comique de la représentation, campant un vieil illuminé en haillons que nul ne peut égaler. Mais la plus belle découverte du spectacle tient au duo de Sylvie Marchand et Vladana Milicevic : faiseuses d’ombres, chanteuses, narratrices, elles tiennent plusieurs rôles de composition qui sauront vous charmer à coup sûr (pensons aux furieux cueilleurs de feuilles de mûrier réclamant des armures pour leur besogne… délirant !). De leurs quatre mains elles donnent également vie au Conseiller de l’empereur, une tête de marionnette à deux voix dont les voyages ne manqueront pas de vous émerveiller… René Béchard signe la création musicale (un succès véritable) et nous en livre l’interprétation directement sur scène, avec sa fille Julie, une percussionniste dotée d’un immense talent.
Malgré une scénographie désolante (la structure en treillis fait constamment des bavures sur le rideau de projection dû à la position du système d’éclairage) et des chansons terriblement agaçantes, le spectacle en soi s’affiche comme un conte fantastique destiné à un public adulte qui n’est pas sans interpeller les plus petits. En fait, sa poésie, son pouvoir d’évocation, son rythme, son humour, son ludisme dans la gestuelle des acteurs et son doigté artistique (jamais vu un théâtre d’ombres aussi réussi) ont tout pour plaire aux rêveurs des pays imaginaires.
11-04-2008