Du 28 mars au 12 avril 2008 (dates grand public)
Rencontre avec les artistes le samedi 29 mars
Dr Jekyll et M. Hyde
Texte de Robert Lewis Stevenson
Mise en scène et adaptation de Jean-Guy Legault
Avec Luc Bourgeois (photo), Jacques Baril, Jean-François Casabonne, Sophie Clément, Sylvie Drapeau, Albert Millaire, Marcel Pomerlo et Gilles Pelletier
«(…) je devins hanté par une seule et unique pensée : l’horreur que m’inspirait mon être jumeau.»
Le Dr Jekyll, scientifique et personnalité en vue de la bonne société de Londres à l’époque victorienne, émet l’hypothèse que « l’homme n’est pas un, mais double en vérité ». Vivrait en chacun de nous une partie plus sombre et primitive, attirée par les plaisirs primaires, qui porte ombrage à notre part civilisée. Au fil de ses expériences en laboratoire, le Dr Jekyll élabore un sérum qui permet de séparer ces deux parts. Il décide d’en faire lui-même l’essai. Mais contrairement aux neurodépresseurs et autres neuroleptiques de notre époque qui « apaisent » nos démons intérieurs, ce fameux sérum relâchera M. Hyde, le monstre des ténèbres, tapi au plus profond du Dr Jekyll…
Robert Lewis Stevenson, célèbre et prolifique auteur écossais du 19è siècle, bien connu pour son roman d’aventures L’Île au trésor et ses nombreux récits de voyage, imagina l’histoire du Dr Jekyll et de M. Hyde en 1885. Ce récit deviendra rapidement l’un des grands classiques de la littérature fantastique et connaîtra maintes adaptations théâtrales et cinématographiques. Robert Lewis Stevenson a aussi écrit de multiples contes regroupés sous le titre Nouvelles Mille et Une Nuits.
Collaborateurs : Raymond Marius Boucher, Florence Cornet, Julie Deslauriers, Nathalie Godbout, Fruzsina Lanyi, Larsen Lupin. Luc Prairie
Une production du
Théâtre Denise-Pelletier
Théâtre Denise-Pelletier
4533, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974
(crédit photo : Isabel Zimmer)
par David Lefebvre
La première version de L’étrange
cas du Dr Jekyll et Mr. Hyde fut écrite
en à peine trois jours, suite à un cauchemar
de son auteur, Robert Louis Stevenson. Sa femme, terrifiée,
l’empressa de réécrire son récit.
Il détruisit donc ses notes pour coucher sur
le papier une version moins fiévreuse, presque
distante, au sens moral beaucoup plus développé.
On pourrait ressentir une certaine amertume, à savoir
ce premier jet disparu, qui a dû être exaltant,
mais la sobriété et la retenue qui émane
du texte de Stevenson, son sens critique aigu de son époque
et de ses semblables sont d’une concision puissante
et étrange à la fois. Publiée
en 1886, la nouvelle fut un succès immédiat
et n’a cessé d’être rééditée
depuis. Récit policier, fantastique ou conte
philosophique, L’étrange cas du Dr
Jekyll et Mr. Hyde est devenu le point central,
dans la littérature fantastique, des thèmes
de la polarité humaine, du conflit éternel
au coeur de l’homme entre le bien et le mal,
du subconscient, des instincts et passions refoulés
et de la part d'ombre et destructrice en chacun de
nous (dont parle Carl Gustav Jung dans sa psychologie
analytique). Stevenson va plus loin que ses contemporains,
qui parlent, eux aussi, du double (pensons à Nerval,
Maupassant, Gauthier, même Poe) ; eux, ne font
qu’effleurer le sujet. Stevenson, par une narration
qu’il manipule avec justesse, multipliant les
narrateurs et les points de vue, provoquant des scènes
d’une grande puissance visuelle, fait assumer à ses
personnages le désir de devenir le démon
qu’ils créent, qu’ils sont, dans
toute leur insouciance, leur vigueur, leur imperfection.
Le diable fascine.
Depuis sa publication, on s'est inspiré de cette histoire fantastique à maintes reprises : au cinéma (Victor Fleming, Jean Renoir, Timothy Daly, Stephen Frears), en littérature et bande dessinée (Alan Moore, Mattotti, et le plus connu, Hulk, de Jack Kirby et Stan Lee), même en chanson (Gainsbourg, Jean Leloup, Renaud, The Who). Jean-Guy Legault nous propose, sur la scène du Théâtre Denise-Pelletier, une vision libre et humaine du roman de Stevenson. Jekyll est dépeint comme un chercheur idéaliste, qui rêve de pouvoir séparer la part de mal et de bien qui est en chacun de nous, purifier l’homme de ses démons intérieurs. En ingérant ses mixtures, il élimine toute inhibition et devient un autre lui, brutal, moins logique, laissant exploser au grand jour ses plus bas instincts. Il dérape et devient dépendant de son produit, mais plus encore de son double, qu’il ne contrôle plus. À trop vouloir faire le bien, on se retrouve malheureusement à faire le mal.
L’adaptation de Legault va au-delà du récit initial, ajoutant des personnages, des situations et des événements pour des raisons dramaturgiques et pour nourrir l’imagination du spectateur. Alors que certains ajouts apportent de la chair au spectacle, comme le personnage de l’illusionniste Enfield (joué avec brio par Jean-François Casabonne), ou un tueur en série à la Jack l'Éventreur, on remet en question la pertinence de la présence d’autres personnages. Rappelons qu’il n’y a aucune femme dans le récit de Stevenson, probablement dû au fait qu’on ne leur laissait que très peu de place dans la société et la littérature victoriennes; apparaissent pourtant une tenancière de cabaret (Sophie Clément) et une prostituée (Sylvie Drapeau) dans la version théâtrale de Legault. Il est compréhensible qu’on ait voulu démontrer l’ambiguïté du personnage principal, ou les zones infinies entre le bien et le mal, par la présence
de cette femme de petite vertu, dont il s’entiche. Introduite par l’entremise d’une chanson (essai plutôt manqué, qui ne colle en rien avec le récit), ce personnage restera malencontreusement caricatural, superflu, même barbant, avec ses airs de jeune fille débauchée et exagérée. Notons aussi la présence d’un policier de Scotland Yard, enquêtant sur les meurtres qui sévissent dans les rues de la ville, et par défaut, sur l’étrange Hyde. Sans être inutile, il est par contre quelques fois ridicule, courant à droite et à gauche, pistolet en main.
La première partie se concentre sur l’idéologie
qui se dégage du récit, soit les impulsions
de l’homme, son côté fondamentalement
violent et, surtout, son désir d’évolution.
Legault y aborde le créationnisme, le darwinisme
; l’homme se limite à ce qu’il connaît,
se sécurise, ou alors, comme Jekyll, tente de
repousser les limites de la science, de les dépasser,
quitte à ouvrir des portes qui devraient rester
fermées. On aborde aussi la dépendance,
les effets dévastateurs des drogues (le mot reviendra à plusieurs
reprises lors de la représentation, de la part
du policier de Scotland Yard) et, d’une certaine
façon, la schizophrénie. Lors de cette
partie, quelques longueurs alourdissent inutilement le
déroulement de l’histoire, et certaines
ellipses de temps sont souvent hasardeuses.
Mais le spectateur est totalement récompensé en deuxième partie. Elle débute avec une leçon d’anatomie, une dissection, menée par Jekyll, d’un homme tué par son double, Hyde. Le docteur aura quelques hallucinations, entendant les réflexions du cadavre et le voyant bouger, seul, sur la table d’opération. Hilarante, elle donnera le ton au reste du spectacle, au rythme plus serré, soutenu. Le récit prend alors une tournure passionnante, au suspense intrigant, au style policier plus marqué, et propose une finale surprenante.
Crédit photos : Robert Etchevery
Montée dans le style
de l’époque victorienne, les costumes rappellent
un peu Dickens, avec redingotes et chapeaux haute forme.
Une attention méticuleuse a été apportée
aux éclairages, qui ont le rôle d’instaurer
les ambiances : glauques, froides ou tragiques. Le décor
est, par contre, plus décevant : au lieu de représenter
la ville avec des pavés humides, macabres, au
brouillard épais, on se contente de quelques lampadaires
victoriens et de panneaux amovibles, que l’on place
différemment selon les lieux visités.
Parfaits pour les jeux d’ombre (qui auraient pu, à certains
moments, être mieux produits), ils limitent néanmoins
et même handicapent l’impact lugubre de
l’histoire.
Peu d’accessoires
encombrent la scène, mais l’utilisation
d’un miroir sans tain sur pied, que Jekyll traverse à quelques
reprises, comme s’il passait de l’autre
côté, comme Alice, représente avec
originalité une dualité au spectre indéfini.
Luc Bourgeois incarne avec étonnamment de souplesse et de justesse Jekyll et son double. Le travail corporel est remarquable ; le comédien n’utilise aucun artifice sauf les capacités de son propre corps qui se tord, se plie et déplie. La douleur est intense : la transformation ne semble pas se faire sans conséquence.
Critique sociale de la bourgeoisie anglaise bien pensante
du 19e siècle, Stevenson s’est servi de
la dualité d’un idéaliste pour démontrer
les vies de mensonges, de débauche, de luxure
d’une classe de gens qui se voyaient supérieurs.
La part maléfique de Hyde concourt à affranchir
le bon docteur Jekyll de toutes les contraintes morales
de cette époque si stricte. La résonance
avec notre époque est indéniable : Hyde
est le monstre affreux qui sommeille en nous, qui se
réveille parfois, pour échapper aux coercitions
de notre société oppressante, ici, stimulé
par les drogues d'un apprenti sorcier. Ludique, touchant
autant au fantastique qu'au style policier/film noir,
Dr Jekyll et Mr Hyde est au final un spectacle
intéressant, mais qui aurait pu tirer davantage parti
du côté horrifique de l’histoire et
de ses nombreux symbolismes.