D'après la vie et l'oeuvre d'Edgar Allan Poe
Texte et mise en scène de Jean Guy Legault
Avec (à venir)
À Central Park en 2006, Vickie Lafurcade, guide de musée et spécialiste des crimes non résolus, se fait aborder par un homme prétendant la connaître. L’inconnu lui remet une lettre datée de 1841 qui lui est adressée. Cette étrange rencontre projette la jeune femme dans un tourbillon surnaturel qui la mènera tout droit vers sa fatale destinée : être emmurée vivante.
Tout commence par une femme qui parle. Elle est là, devant nous. Elle est emmurée vivante. Elle nous livre quelques détails de son horrible survie. Elle a oublié son identité et ne se souvient de rien de ce qui fut sa vie. Noir. A Central Park, une série de rencontres inattendues trouble une femme d’aujourd’hui à qui l’on remet une lettre datant du XIXe siècle sur laquelle est inscrit son nom. Parmi les multiples personnages qui se présentent à elle et qui s’avèrent être morts, un homme, non identifié mais vivant, semble vouloir la conduire vers la reconnaissance d’un fait qu’elle ignore, ou plutôt que son inconscient s’obstine à ignorer. Mais qui est cet homme et qu’elle est cette mystérieuse vérité qu’il veut lui faire admettre?...
Une production du Théâtre des Ventrebleus
Fred-Barry - Caserne Létourneux
411, avenue Létourneux (angle Notre-Dame Est)
Métro Pie-IX, autobus 139 sud jusqu’à Notre-Dame
Billetterie : (514) 253-8974 ou réseau Admission (514) 790-1245
par Daphné Bathalon
En ce dernier soir de septembre, la nuit est fraîche, c’est le temps idéal pour assister à une représentation de Poe à la Caserne Létourneux, refuge temporaire de la salle Fred-Barry. Ambiance surprenante, personnages décalés par rapport à la réalité, voilà en peu de mots ce qu’est cette création originale du Théâtre des Ventrebleus.
Après avoir présenté près de 200 fois Le Capitaine Horribifabulo un peu partout dans la province, les Ventrebleus offrent en reprise leur savoureuse et dynamique pièce mettant en vedette une guide de musée et plusieurs morts plutôt loquaces. Tous sont issus de l’étrange univers d’Edgar Allan Poe, prolifique auteur américain, et véritable référence dans le domaine des nouvelles et contes fantastiques.
Central Park, New York, 2006, Vickie Lafurcade, guide du musée de Poe et spécialiste en crimes non résolus, se retrouve emmurée vivante dans les murs de son lieu de travail. Elle ne sait ni pourquoi, ni comment, ni qui en est responsable, et l’air lui manque. Son esprit part alors en quête de la vérité, mais où se situe la limite entre le monde réel et le début du délire? La construction de la pièce, tout en mystères, permet au spectateur de mener sa propre enquête aux côtés de Vickie, mais tout comme elle, il s’égare rapidement et ne distingue plus le vrai du faux. Même le loufoque enquêteur du nom de William Wilson avoue qu’une enquête consiste à confondre les deux.
À la fois pièce biographique et proposition originale, le spectacle prend des allures de fantasmagorie sous la direction du metteur en scène Jean-Guy Legault. Si le personnage principal s’accroche comme il peut à une réalité qui lui paraît rassurante, ceux qui orbitent autour de lui deviennent, au fil des scènes, de plus en plus inquiétants et leurs réactions, de plus en plus incongrues. D’ailleurs, la grande force de cette pièce réside dans le métissage entre l’humour absurde des situations (le mort désespéré de ne pas avoir été découvert dans son buisson, les multiples morts de l’aristocrate…) et l’atmosphère morbide des nouvelles de Poe.
Le décor de Jasmine Catudal se présente comme un tableau invitant les spectateurs à plonger dans le cauchemar de Vickie. Des arbres étendent branches et racines en fond de scène tandis que dans l’espace à découvert, entre la scène et la salle, de grands arbres ne montrent que leur tronc. Nul besoin d’effets spéciaux ni d’ambiance sonore pour que les personnages s’animent et viennent habiter notre imaginaire.
Legault s’est inspiré des textes de Poe pour construire son intrigue et ses personnages. Pourtant, la peur panique de Vickie ne parvient jamais tout à fait à nous faire frémir. En revanche, les apparitions multiples du personnage de William Wilson (éclatant Eloi Cousineau) dérident à tout coup le public, autrement très attentif à chacun des indices semés par les protagonistes.
Poe n’est pas spectacle à hanter nos nuits, mais en sortant de la salle, il nous en reste d’étranges images, d’obsédantes paroles et les râles de Vickie, toujours prisonnière de son mur et de sa destinée de victime.
par David Lefebvre (2006)
À force de mourir, on finit par bien le faire...
Edgar Allan Poe est reconnu comme l'un des précurseurs de la littérature dite de science-fiction et du policier/fantastique et l'un des plus grands écrivains américains du 19e siècle. On le disait pourvu d'une grande intelligence ; on le voyait aussi idéaliste, ambitieux, courtois mais féroce. Son travail était concis, il ne biffait des phrases que très rarement. Ses capacités analytiques et logiques ne sont plus à démontrer. Tellement que certains de ses écrits (dont le conte La Vérité sur le cas de M. Valdemar) furent publiés comme s'ils étaient des rapports scientifiques. La poétesse anglaise Elizabeth Barrett Browning fit une excellente remarque, louant ses qualités : « la puissance de l'écrivain est cette faculté qu'il a de transformer d'improbables horreurs en choses qui paraissent si proches et si familières ». Il laissa aussi une importante oeuvre théorique, dont celle sur l'effet unique : «l'unité doit l'emporter sur toute autre considération». Sa narration utilise souvent tous les sens que les mots peuvent apporter, permettant au lecteur de saisir l'autre réalité qui se cache dans le récit. Son influence se retrouve aujourd'hui un peu partout, dans la littérature (Ray Bradbury par exemple, ou encore JK Rowling - Harry Potter - qui s'inspira de l'«atmosphère délabrée» de certains contes pour le quatrième tome du jeune sorcier) et dans la musique (Pink Floyd, Alan Parson, Iron Maiden, même Jean Leloup (À boire à boire pour maître Edgar, À boire à boire pour le génie...).
Poe, troisième production des Ventrebleus (Capitaine Horribifabulo et Scrooge), s'inspire de la vie et de l'oeuvre de l'auteur américain, qui a fait du style «macabre méthodique» sa signature. Jean-Guy Legault signe un spectacle «grotesque logique», singulier, qui tient de la fable clair-obscur. À part quelques touches glauques, le tout est étonnamment lumineux. Le réalisme est mis de côté pour provoquer l'inattendu et la déstabilisation du spectateur.
Sur l'air de How about you de Frank Sinatra, qui se transforme en sons urbains puis en respiration dramatique, nous faisons la connaissance de Vicky Lafurcade, guide de musée à New York et spécialiste de Poe et de crimes non résolus. Une chose cloche : elle est emmurée vivante. À travers sa panique, elle se sert de son imagination pour enquêter sur ce qui lui est arrivé, et retrouver le visage de son assassin. Dans sa tête, libre de ses mouvements, elle fait la rencontre de plusieurs personnages lugubres de Poe qui l'aideront à mener son enquête, dont William Wilson, James Fisher et Lady Madeline. S'inventer une histoire, éliminer le faux et y trouver la vérité... Comme l'a dit Poe : tout ce que nous voyons ou ce qui paraît n'est qu'un rêve dans un rêve (de son poème A Dream Within A Dream). Même si le ton est parfois grotesque, voire absurde, mais plein d'humour. le texte est une enquête énigmatique et surnaturelle. Eloi Cousineau joue un Wilson multiple, rigolo, tout aussi brillant que naïf ; Evelyne de la Chenelière incarne une Lady Madeline et une aristocrate morte d'une étrange manière d'une façon tout aussi caricaturale, aux répliques mordantes et au «cri de mort» saisissant. Stéphane Breton, prenant l'apparence de Fisher et d'un touriste que la guide a rencontré (en rêve ou en vrai?), tire très bien son épingle du jeu. Geneviève Bélisle joue une Vicky tout aussi perdue que le public, qui tente de recoller les morceaux qu'elle détient pour comprendre ce qui lui est arrivé. La scéno de Jasmine Catudal n'emprunte au gothique que la forme des arbres et les ombres que les branches peuvent porter. Le reste est stylisé, aux murs en verre laissant passer la lumière. L'espace scénique respire et contient plusieurs niveaux (un trottoir, des fosses pour simuler un lac, un étang, un bosquet...). Les costumes de Fruzsina Lanyi sont plutôt modernes (puisque la grande partie du récit se déroule en 2006) mais les robes que porte Evelyne de la Chenelière sont magnifiques. Patrice D'Aragon s'occupe de la conception sonore en remaniant habilement, entre autres, une chanson du grand Frank, qui devient de plus en plus sinistre.
Le spectacle est divisé en deux parties par un entracte, dont la présence a un effet beaucoup plus théâtral et dramatique que réellement nécessaire.
Sans être aussi pervers et sombre que Poe, on y retrouve toute la force de l'étrange et du mystérieux et de la raison au service de la vérité par-delà la peur panique, cette peur qui semble nous maintenir en vie. Mais surtout, on y perçoit une folie propre à ce concepteur inventif qu'est Jean-Guy Legault, et un plaisir non dissimulé. Il n'est pas nécessaire d'avoir lu Poe attentivement pour que le spectacle nous divertisse - nous comprenons facilement les liens et les passés des différents personnages, mais il est fort à parier que Le puits et le pendule, La Chute de la Maison Usher, La lettre volée, Le Chat noir et Double assassinat dans la rue Morgue seront vos prochaines lectures...