D’après l’œuvre de Jules Verne
Adaptation et mise en scène de Jean-Guy Legault
Avec Geneviève Bélisle, Luc Bourgeois, Éloi Cousineau, Édouard Fontaine, Bruno Marcil, Louis-Olivier Mauffette, Thomas Perreault, Frank Schorpion
Le scientifique français Aronnax, son valet Conseil et le harponneur canadien Ned Land, s’embarquent sur une frégate américaine qui traque une horrible créature marine. Suite à une attaque du monstre qui coule la frégate, ils se retrouvent prisonniers de l’énigmatique Capitaine Nemo à bord de son sous-marin Nautilus, le fameux «monstre» des mers. Ainsi commence l’aventure qui leur fera sonder les abysses des océans et celles de la nature humaine.
Reconnu pour ses mises en scène audacieuses et ludiques (Scrooge, Les Fridolinades, Dr Jekyll et M. Hyde), Jean-Guy Legault nous revient avec une adaptation de l’un des romans les plus connus de Jules Verne. Préparez-vous à un voyage aux fonds des mers dont vous vous souviendrez longtemps!
Samedi 14 novembre à 15h, salle Fred-Barry: Les Rendez-vous de Pierre
Samedi 28 novembre : Rencontre avec les artistes après la représentation
Concepteurs et collaborateurs artistiques : Nathalie Godbout, Julie Deslauriers, Luc Prairie, Larsen-Lupin, Michel-Antoine Castonguay, Fanny Volcsansky, Gilles-François Therrien, Lisange Boulais, Alain Jenkins, Florence Cornet, Cybèle Perruques
Une production du Théâtre Denise-Pelletier
en association avec le Théâtre des Ventrebleus
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par David Lefebvre
Après une saison en itinérance, le Théâtre Denise-Pelletier, presque totalement rénové, ouvre ses portes pour nous proposer rien de moins qu'une excursion dans le domaine de l'extraordinaire. Et quel voyage!
Vingt mille lieues sous les mers est possiblement, avec Le tour du monde en 80 jours, le roman le plus connu et le plus lu de l'impressionnante collection de Jules Verne, du moins de ses Voyages extraordinaires. Précurseur de la science-fiction, Verne est un écrivain hors pair, mais aussi un visionnaire. Le professeur Aronnax et son fidèle serviteur Conseil s'embarquent sur un vaisseau de la marine américaine pour trouver un «monstre marin» qui coule depuis quelque temps beaucoup trop de navires. Mais leur bateau est lourdement attaqué : le scientifique, son ami, et le harponneur canadien Ned Land sont repêchés par un sous-marin, gouverné par le capitaine Nemo. Prisonniers de ce bâtiment, ils découvrent les véritables ambitions de Nemo. Persécuté, réfugié sous les flots pour échapper aux humains qu'il exècre, le capitaine est prêt à tout pour défendre son nouveau territoire et faire payer à l'Homme ses erreurs, ses stupidités et son désir instinctif de destruction. Dent contre dent.
Il va sans dire, le projet d'adapter ce roman aux thèmes scientifiques apportait son lot de complications. Comment représenter le sous-marin, la mer, les poissons (le livre en dénombre plus de 1500 espèces), comment accrocher le spectateur et l'amener à s’asseoir sur le bout de son siège, médusé par l'ampleur de l'aventure? Jean-Guy Legault semble avoir trouvé la meilleure réponse possible à ces questions : la puissance de la suggestion. Le metteur en scène, qui témoigne encore une fois d’une étonnante créativité, utilise des techniques tout aussi simples que complexes, souvent saisissantes, pour matérialiser l'Abraham Lincoln et le Nautilus. En contrôlant bien la largeur de la scène et en ne surchargeant pas l'espace, il arrive à faire ressentir autant la grandeur de l'océan que le confinement de l'engin. Au centre, une pastille ovale en plexiglas et en acier, empruntant la forme d'un oeil, est soutenue par des câbles et représente autant le pont des navires (les comédiens y prennent place) que le hublot du Nautilus. La plate-forme suspendue permet énormément d'effets techniques : on y grimpe, on fait tanguer, on y voit le monde autrement. Le bruit que produisent les effets spéciaux n’est pas un handicap, bien au contraire : il vient accentuer ce désir de réalisme, de tangibilité, de possibilité. La qualité technique du spectacle est admirable, pratiquement parfaite et contrôlée, rappelant parfois L'Odyssée de Dominique Champagne. L’arrière-scène est fermée par un immense écran sur lequel on projette des vidéos : un ciel au soleil couchant ou orageux, des fonds marins, des décors surréels. La qualité des images est fantastique. Quelques éléments de décor s’ajoutent pour meubler le sous-marin ou créer les paysages océaniques.
Legault a réussi à adapter la force narrative du récit de façon surprenante, même si elle s'encombre encore de certaines longueurs. À l'instar du roman, le spectacle explore les méandres de l'âme humaine : des sentiments aussi éloignés que le désir de liberté, de vengeance et de découverte s'entremêlent et s'affrontent. On sent le besoin viscéral d'évasion de Ned Land ou la mégalomanie mystérieuse de Nemo. Par contre, l'insatiable curiosité scientifique de Pierre Aronnax est peu exploitée, qui se ressent beaucoup plus chez son acolyte, Conseil. Au profit de l'action et du rythme de la pièce, on a préféré éliminer presque entièrement la faune marine, on a retiré le besoin de conquête de Nemo (le chapitre du pôle Sud a été coupé) et on a remplacé l'île des cannibales par un affrontement avec des pirates, emprunté à un autre livre de Verne. Cet ajout est un choix judicieux de Legault ; même si elle occasionne un dialogue longuet, dans lequel on perd parfois quelques phrases, la scène comporte son lot d’action. Le combat mériterait un resserrement et des coups un peu plus percutants, mais le tout s'avère amusant. Et puis, depuis quelques années, les pirates ont la cote (pensons à Johnny Depp ou au plus récent roman de Stéphane Dompierre). Du côté des éclairages, aux couleurs riches, ils débordent de leur cadre scénique pour permettre l'immersion totale du spectateur dans le récit. Par un cercle bleu vert courant dans l'assistance, on assiste à la course du sous-marin attaquant le bateau américain. Par une lumière ambiante, nous nous retrouvons au beau milieu de l'Atlantide.
Les comédiens méritent tous nos applaudissements : le jeu est juste et chacun d'eux se met en danger chaque fois qu'il pose le pied sur la pastille suspendue. Luc Bourgeois et Éloi Cousineau font de respectables Aronnax et Conseil, mais davantage de curiosité et un tempérament plus solide de la part du scientifique seraient bienvenus. Bruno Marcil joue Nemo avec un certain aplomb ; une aura de mystère et de froideur plane autour du personnage. Par contre, le texte posait encore problème au comédien lors de la première, cafouillant ici et là. Louis-Olivier Mauffette campe le harponneur canadien-français avec force; il est à maintes reprises la source des rires du public, grâce à ses expressions et son accent québécois savoureux qui détonnent du langage plus posé du récit.
Bref, défi technique de taille, Vingt mille lieues sous les mers relève pourtant celui-ci haut la main, grâce au brillant esprit de créateur Jean-Guy Legault et au talent de son équipe. La pièce, métaphore écologique, récit idéaliste, constat aussi noir qu'illuminé sur la nature humaine, représente davantage l'univers fantastique de Jules Verne que celui, «hard science», du roman. Une belle réussite et un début de saison grandiose pour le nouveau Théâtre Denise-Pelletier.