MonTheatre.qc.ca, votre site de théâtre
Du 11 au 26 mars 2011 (représentations scolaires du 11 mars au 7 avril)
Médée
Texte d’Euripide
Traduction de Florence Dupont
Mise en scène Caroline Binet
Avec Violette Chauveau, Alexandre Frenette, Stéphane Gagnon, Alexandre Landry, Hélène Mercier, Gaétan Nadeau, Pier Paquette, Johanne Haberlin & Sarah Desjeunes, Chantal Dumoulin, Diane Langlois, Meggie Proulx Lapierre, Anne Sabourin, Cynthia Wu-Maheux

La figure d’une Médée infanticide a été créée par Euripide en 431 av. J.-C. dans la volonté du poète d’obéir à une logique dramatique et nécessaire : pour que la crise soit vraiment tragique, il fallait que Médée, répudiée, aille au bout du sacrifice de ses propres enfants. C’est le prix à payer pour affronter les problèmes moraux soulevés par l’intrigue. Ce geste ultime fait éclater au grand jour le vernis des faux discours qui cachent l’opportunisme de son mari Jason et celui du roi Créon. Ni Jason, ni Créon, hommes qui se targuent de défendre les valeurs de justice et de loyauté, ne tiennent compte de la vie et du choix des femmes dans la société qu’ils veulent gouverner à tout prix.

En répudiant Médée, Jason blesse l’amante, bafoue l’épouse et délégitime la mère, la privant de   son identité. Médée, qui sacrifiera ses deux enfants mâles, assume jusqu’au bout ses actes et son destin. Portée par le souffle de la tragédie, cette héroïne tonique et émouvante pousse le spectateur dans ses derniers retranchements et le confronte à ses propres dilemmes.

La metteure en scène Caroline Binet, confrontée au « beau problème » de monter une Médée qui résonne aujourd’hui, a cheminé jusqu’à ce personnage plus grand que nature par le biais de sa grande fascination pour les chœurs qu’elle a explorés à plusieurs reprises au cours de sa carrière. Pour Caroline, « le chœur multiplie le sens, multiplie l’émotion ».  Elle cite volontiers Michel Tremblay qui, en parlant de la force du chœur, dit : « Une personne au théâtre parle d’abord pour elle-même, mais quand plusieurs personnes disent la même chose en même temps, elles ne s’additionnent pas, elles se multiplient. Elles forment une collectivité. » Dans Médée, la metteure en scène a choisi de travailler le chœur comme des voix à capella, de créer une mosaïque de voix  qui incarne la collectivité des femmes.

Samedi 12 mars: Rendez-Vous de Pierre
Samedi 26 mars: Rencontre avec les artistes

Éclairages Bruno Rafie
Dramaturgie Anne-Marie Cousineau
Scénographie Geneviève Lizotte
Autres concepteurs : Emmanuelle Kerouac-Sanche, Martin Messier, Elen Ewing, Jacques Lee Pelletier, Johanne Viens, Anick Généreux, Martin Ferland, Jérémi Guilbault Thériault, Julie Sauriol, Mathieu Audy, Nathalie Talbot, Mélanie Turcotte

Une production du Théâtre Denise-Pelletier

Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

Delicious
______________________________________
 Critique
Critique
Imprimer la critique

par David Lefebvre

Journée funeste


Crédit photo : Robert Etcheverry

Médée est au coeur des théâtres montréalais en cette saison, prenant l'affiche en anglais au Centaur l'automne dernier, à l'Espace Go en avril dans une relecture de Dea Loher, et en occupant les planches du Théâtre Denise-Pelletier tout le mois de mars 2011.

Sur fond d'infanticide, de fratricide et de meurtres royaux, ce texte d'Euripide raconte la fin du couple de Jason et Médée, exilés à Corinthe. Le récit met en scène une femme fière, orgueilleuse, petite-fille du Soleil, qui semble trouver encore plus intolérable d'être la risée de son amour que de tuer ses enfants pour inculquer une leçon.

La mise en scène de Caroline Binet propose plusieurs images esthétiquement sans reproches, rappelant plusieurs tableaux de maîtres. Les corps se placent, prennent la pose. Une touche égyptienne, dans certains costumes et les éclairages lumineux de Bruno Rafie, rappelle constamment les origines divines de Médée. L'utilisation du choeur est au centre de l'expérimentation de Caroline Binet. Elle tente de recréer une certaine polyphonie, un groupuscule qui représente une majorité, dans sa présence réelle et symbolique, dans la personnification des différents sentiments d'horreur, de tristesse et d'angoisse de cette puissante dame et de toutes les femmes de Corinthe. Johanne Haberlin est une digne représentante de Coryphée : de sa voix grave et posée, elle guide le choeur, s'adresse au public et à Médée, en tant que narratrice et porte-parole.


Crédit photo : Robert Etcheverry

Malgré ses qualités visuelles, cette version fastidieuse et statique de Médée ne soulève aucune passion. La rage, au centre de cette pièce, n’arrive jamais à atteindre les spectateurs. Le jeu est souvent froid, figé, récité, ambivalent : dans la même phrase, on passe du déchirement à l’arrogance, comme si tout n’était qu’hypocrisie. De courtes pauses semblent inappropriées lors de certaines tirades, dérangeant l’oreille. C’est un véritable cours 101 de la tragédie classique, avec ce qui doit être fait et ce qu’on ne doit pas faire. Si Violette Chauveau incarne avec beaucoup de féminité cette Médée trahie et déshonorée, jouant avec l’ambigüité et les nombreux doutes qui la tiraillent tout en étant d’une épouvantable fermeté, quelques répliques prennent un ton capricieux, perfide, qui ne sied pas à une femme de son rang. De plus, les cris poussés n’ont parfois pas du tout la portée souhaitée. Gaétan Nadeau n’arrive malheureusement pas à donner la prestance d’un Créon à son personnage, presque caricatural. Stéphane Gagnon s’en tire beaucoup mieux en Jason : bel homme, se défendant habilement, il réussit à insuffler toute la force d’un héros et l’accablement d’un être que l’on brise à jamais. Pier Paquette, en Égée, ne passe que trop rapidement, ajoutant une touche péplum à l’entreprise.

La traduction de Florence Dupont, datant de quelques années seulement, se veut peut-être le miroir du texte original, mais se teinte d’un langage vieillot ; sans adaptation, certains moments paraissent simplement dérisoires. Les thèmes principaux s’en voient ainsi brouillés : veut-on dire, par l’infanticide, que l’enfant est un fardeau au sein d’un couple heureux? Est-ce que la femme n’est que nuisance? N’a-t-elle réellement que si peu d’imagination pour faire le bien, alors que sa créativité pour faire le mal est inépuisable?

Visuellement pictural à l’esthétique austère et sobre, ce Médée livré parfois comme une allemande (et encore, presque une italienne), manque sa cible, en ne touchant que peu de cordes sensibles, ou en ne rendant aucunement palpitante ou bouleversante cette tragédie grecque, ici trop classique, à une génération de jeunes spectateurs que l’on doit bouleverser, remuer.

19-03-2011

Retour à l'accueil