En 1888, à la veille de la Saint-Jean, alors que son père, le Comte, est parti célébrer à l’extérieur de la ville, Julie décide de prendre part aux festivités des employés de sa maison. Sa présence, incongrue et provocante parmi ces gens, ne laisse personne indifférent. Poussant plus loin l’audace, elle tente de séduire Jean, le valet. Elle est loin de se douter qu’elle s’expose ainsi à la passion et au doute, à l’ambition et à la déchéance, à la volonté de survivre et à la mort.
Mademoiselle Julie est l’une des pièces les plus célèbres de August Strindberg. Écrite à l’aube du 20ème siècle, à l’heure de l’industrialisation, elle annonce l’éclatement d’une société. Les classes sociales, la famille et le mariage sont menacés et remis en question. Cette tension, palpable dans toute l’oeuvre, pousse les personnages à vouloir se libérer de leur carcan.
Pourquoi « Mademoiselle Julie » aujourd’hui ? Pour la brûlure. Celle– toujours aussi vive –provoquée par la violence des inégalités sociales, ce hasard de la naissance qui désigne leur place aux êtres humains, les enfermant dans une histoire déjà écrite…
Section vidéo
Trois vidéos disponibles
Décor et costumes : René Gareau
Conception musicale : Robin Grenon
Éclairages : Annie-Claude Beaudry
Une production du Théâtre Le Solstice en codiffusion avec le TDP
Salle Fred-Barry
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Olivier Dumas
Pour une actrice, Mademoiselle Julie du dramaturge suédois August Strindberg constitue l’un des plus vertigineux défis. La complexité du rôle-titre s’apparente à des montagnes russes dans la psychologie d’une héroïne qui oscille entre l’ambigüité de ses sentiments et une charge sexuelle inapaisée. À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier où est présenté ce classique du théâtre naturaliste, c’est la Julie en question qui demeure le maillon faible d’une production autrement très sympathique.
Écrite à la fin du 19e siècle, la pièce fit scandale à sa création pour avoir osé rompre un tabou, celui des amours ancillaires. Elle dépeint une société dont les fondements de classes sociales et de familles se retrouvent au bord du précipice, appréhendant les transformations majeures du siècle suivant. L’histoire s’amorce la veille de la Saint-Jean ; alors que son père, le Comte, est parti célébrer à l’extérieur de la ville, Julie veut s’amuser avec les employés de la maison. Elle séduit le valet Jean avec qui elle fera l’amour. Après la rupture des règles implicites entre les dirigeants de la maison et ses serviteurs, Julie commet l’irréparable sans avoir oublié de rêver à une vie plus libre loin de sa Suède étouffante.
Au fil du temps, certains metteurs en scène ont pris plaisir à dénaturer le contexte sociohistorique d’une œuvre qui séduit toujours par son aspect sulfureux. Heureusement, le travail de Diane Ouimet rend avec sensibilité l’atmosphère de cette tragédie qualifiée de «naturaliste des nefs». Sans temps mort et avec quelques coupures pour éviter des redondances, la production de 90 minutes bénéficie également d’une scénographie intéressante à la fois simple, évocatrice et efficace. Dans cette traduction française de Boris Vian, le texte ressort avec éclat où les mots se retrouvent à l’avant-plan. Dans le cahier pédagogique conçu par le Théâtre Denise-Pelletier, les propos de la metteure en scène démontraient une compréhension pertinente de l’œuvre emblématique de la modernité théâtrale. Par exemple, la finale du spectacle dévoile une sensibilité remarquable par son pouvoir à évoquer la portée du geste lourd de sens posé par la protagoniste.
Avec un personnage aussi complexe que cette Julie, qui démontre à la fois une folie et une rage inavouée qui remonte à la surface comme volcan prêt à tout détruire sur son passage, une actrice risque de s’y casser les dents. Car cette figure d’aristocrate meurtrie cherche désespérément dans une relation interdite un salut moral et une échappatoire à un milieu gangrené par le conformisme et les apparences. Une actrice expérimentée peut porter sur ses épaules les nuances et ruptures nécessaires pour rendre crédible une telle charge dramatique digne des meilleures équilibristes. Or, l’interprétation de Marie-Ève Larivière peine à imposer une vision marquante du rôle. Elle reste souvent à la surface des enjeux dramatiques et des événements, par des expressions maniérées ou des gestes grandiloquents. Le public ne ressent que très rarement la puissance et la douleur des déchirements intérieurs qui devraient l’habiter. À trop rendre descriptifs les mots du texte, l’actrice suscite même des éclats de rire gênants pour un propos aussi grave.
Par contre, ses deux partenaires de jeu se révèlent d’une grande justesse et d’une belle assurance. Bryan Morneau insuffle toute la déchirure et l’ambivalence d’un valet pris entre une passion dévorante et l’ambition de s’élever vers un milieu social plus élevé. Avec sensibilité, Christelle Juteau campe une servante qui se démarque par sa touchante humanité.
Comme première production, le Théâtre Le Solstice permet aux spectateurs de renouer avec une pièce intemporelle qui n’a pas perdu son aura de soufre. Pour une metteure en scène aussi minutieuse que Diane Ouimet, il lui manque une Mademoiselle Julie plus incarnée et en parfaite symbiose avec la folie de sa passion charnelle destructrice.