Pour leur 15e anniversaire, Les Zurbains apportent une nouvelle mouture de contes créés à la fois par un auteur de métier et quatre adolescents. Les auteurs des contes zurbains nous parlent de leur réalité, de leurs rêves et de leurs aspirations sur fond de ville et de région. Une parole jeune et nécessaire !
Concepteurs et collaborateurs : Marie-Josée Petel, Josée Bergeron Proulx, Mathieu Marcil, Sandrine Bisson, Benoît Landry, Maxime Clermont Michaud, Jean-Philippe Lehoux, Michel Ouellette, David Paquet
Une production du Théâtre Le Clou
présentée en collaboration avec
le Théâtre Denise-Pelletier,
le Théâtre jeunesse Les Gros Becs à Québec,
et le Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa.
Salle Fred-Barry
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Daphné Bathalon
Quinze ans de contes (z)urbains. Quinze ans de récits déjantés, féeriques, follement drôles ou tristement tragiques. Les Zurbains en ont fait entendre des paroles éclatantes, et en ont vu défiler des auteurs (majoritairement adolescents) et des comédiens. La nervosité du codirecteur artistique du Théâtre Le Clou, Sylvain Scott, lors de son court message de remerciements en début de spectacle, était donc parfaitement compréhensible. Nervosité aussi chez les quatre jeunes auteurs du secondaire, dont on présentait les textes en première le mercredi 2 mai 2012.
Comme chaque année, le Théâtre Le Clou réussit à faire sur scène rien de moins que de l’alchimie avec Les Zurbains. Fascinante alchimie, puissante et délicieuse. Dès l’entrée en salle, le ton est donné : sur scène, les carreaux sales de ce qu’on suppose une usine ou une école (difficile parfois de les distinguer), derrière, les comédiens parlent, s’amusent ou se bousculent. Au micro, ils récitent des extraits de textes des années précédentes. Côté jardin, une petite forêt de parapluies-lampes torchères illumine à peine les lieux. L’éclairage se tamise encore plus lorsque le spectacle commence pour de bon.
Du naïf et volubile professeur de géographie (Alexandre Leroux) au révolutionnaire obsédé par la propreté (Kevin Houle) en passant par la victime de la société de consommation (Charles-Alexandre Dubé), le fils en quête de voyages et de ses origines (Mickaël Gouin), et la jeune fille poursuivie par un être sans âge (Gabrielle Néron), tous les personnages captent notre attention complète et immédiate en quelques mots. Les cinq contes nous plongent dans le récit de ce moment bien précis où leur existence a basculé, une sorte de printemps arabe à échelle personnelle. Le printemps arabe n’est d’ailleurs pas bien loin, certains textes y font directement référence, d’autres l’évoquent par les thèmes abordés : la révolution, la revendication, l’identité, la société de consommation…
Dans Complicité, un jeune professeur vient à peine de terminer sa première semaine d’enseignement dans une école où se passent des histoires louches. Chorale gospel, bobsleigh en or, trafic d’organes… le récit se déguste comme un bonbon.
Dans Clean,un jeune révolutionnaire confronté à un choix devra décider du genre de personne qu’il veut devenir. Appuyé par une trame sonore impeccable, ce conte nous transporte dans un Québec dominé par la croix gammée et l’aigle prussien. Le langage du révolutionnaire, teinté de mots inventés à consonance allemande, remue d’essentielles questions identitaires.
À l’arrêt de bus où attendent une adolescente et une vieille femme, il commence à pleuvoir. La vieille femme déploie son parapluie, l’adolescente plonge ses yeux dans les siens… Ainsi commence un voyage magique à travers le temps et l’espace au cours duquel un parapluie peut très bien se transformer en terrible dragon. Plus abstrait que les autres contes, Le parapluie tire son épingle du jeu grâce à son lyrisme et au jeu de la comédienne Gabrielle Néron.
Pour Mon printemps arabe, l’auteur invité, Martin Faucher, a imaginé un jeune homme attachant, grand adepte du u-turn mental. Julien est prêt à débroussailler un nouveau chemin. Déterminé à apprendre l’arabe pour séduire Mounia, une jeune musulmane de sa classe, il est cependant arrêté dans son élan par un coup de fil de son père, plutôt absent de sa vie.
Le monstre, c’est celui qui, prisonnier du cercle vicieux de la surconsommation, ne parvient plus à garder la tête hors de l’eau. Il se fait déborder par le règne du clac-clac (de la carte de crédit) et du clic-clic (du magasinage en ligne) jusqu’au jour où, dans un Wal-Mart, il décide de semer le chaos. S’ensuit une scène absolument jouissive où les comédiens s’en donnent à cœur joie.
Malgré la diversité de parole et les univers singuliers de ces contes, la cuvée 2012 des Zurbains forme un spectacle entier, sans temps morts. Monique Gosselin, Sylvain Scott et Benoît Vermeulen, qui cumulent plusieurs années de mise en scène des Zurbains, ont habilement agencé les contes, commençant et bouclant le spectacle avec les textes plus absurdes. L’enchaînement se fait tout naturellement tandis que les comédiens vont et viennent sur scène pour déplacer les quelques éléments de décor ou allumer les lampes-parapluies. L’environnement sonore créé par Benoit Landry est également un excellent liant entre les contes. Suivant les rythmes militaires ou les notes planantes, on navigue aussi entre des pièces connues et hétéroclites : du Peter Gabriel, du Sigur Ros, mais aussi du John Williams, du Radiohead ou du Patrick Watson.
Porteurs de paroles, ces contes font naître bien des discussions à la sortie du théâtre. Les sujets abordés par les auteurs ne manquent pas de points de comparaison avec l’actualité bouillonnante du Québec. On ne peut que souhaiter que Les Zurbains fassent encore vibrer la ville pendant plusieurs années avec ces nouveaux auteurs; la dramaturgie québécoise en sera l’heureuse dépositaire!