« Est-ce qu’un livre peut changer une vie ? »
Nathan, un adolescent qui vit seul avec sa mère dans une banlieue sans histoire, voit un jour sa vie basculer lorsqu’il intercepte par hasard un message laissé sur le répondeur. Ce message, dont le contenu nous est livré par bribes au fil de la pièce, bouleverse profondément Nathan et le pousse à forcer les portes et les secrets. Il sera guidé dans sa quête par Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, livre qui lui parvient lui aussi par hasard. Dès lors, l’ombre du poète du début du XXe siècle se met à planer dans la tête de l’adolescent.
À l’ère de Facebook, Twitter et les textos, la littérature a-t-elle encore sa place ? Inspiré de Lettre à un jeune poète de Rilke, ce spectacle raconte avec sensibilité l’expérience inoubliable de la découverte d’une œuvre à l’adolescence.
Équipe de création : Geneviève Lizotte, Stéphanie Cloutier, Erwann Bernard, Jean-François Pednò, Kathleen Gagnon
Crédit photo : Marlène Gélineau Payette
Samedi 21 janvier à 15h: Rendez-Vous de Pierre
Samedi 4 février après le spectacle: Rencontre avec les artistes
Une production du Théâtre Bluff
en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-897
par Olivier Dumas
Sébastien Harrisson, directeur artistique du Théâtre Bluff, compagnie spécialisée dans le répertoire pour adolescents, écrit des œuvres poétiquement chargées. Quant à Martin Faucher, toutes les occasions lui semblent bonnes pour réussir de brillantes mises en scène. Pour interpréter les différents rôles de la pièce Musique pour Rainer Maria Rilke, les deux hommes de théâtre ont voulu s’entourer d’une brochette d’acteurs de premier plan: le comédien chevronné au profil classique (Albert Milaire), la vedette télévisuelle (Macha Limonchik), l’acteur qui aime les rôles ambitieux (Éric Paulhus) et deux artistes prometteurs de la relève (Sophie Desmarais et Maxime Carbonneau). Malheureusement ces ingrédients réunis donnent une mayonnaise décevante, particulièrement pour les dix-huit ans et plus.
Par le passé, l’ambitieux dramaturge avait mieux circonscrit dans ses créations pour la jeunesse des univers où se côtoient autant les préoccupations intimes sur l’identité sexuelle que les thématiques sociales plus universelles. L’homosexualité était par exemple dépeinte avec une grande acuité et justesse dans le puissant D’Alaska alors que les affres de la guerre trouvaient un écho sensible dans Stanislas Walter Legrand. C’est en puisant dans la matière d’un ouvrage incontournable de la littérature, soit Lettres à un jeune poète de l’écrivain de langue allemande Rainer Maria Rilke (d’où le titre de la pièce) que Sébastien Harrison a cherché son inspiration. Celui-ci avait ressenti un coup de foudre immédiat pour ce texte aux grandes qualités littéraires lors de ses études collégiales. En effet, le livre de Rilke se révèle être un plaidoyer pour la richesse de mots et un éveil initiatique à l’importance incommensurable de l’art dans nos vies.
L’intention de juxtaposer le recueil de Rilke, composée de dix lettres écrites entre 1903 et 1908 au jeune Franz Xaver Kappus, au vécu contemporain de Nathan, un adolescent révolté, paraissait très intéressante. D’autant plus que l’œuvre de Rilke témoigne de la nécessité de la solitude pour trouver sa voix créatrice, de la difficulté de se forger une personnalité singulière, de la confrontation salutaire avec les épreuves douloureuses de la vie pour se dépasser comme être humain. Ces idées demeurent des matériaux riches et fertiles pour s’adresser au public adolescent. Quant aux passages qui portent sur Nathan, ceux-ci correspondent à des réalités bien actuelles (mère monoparentale, éclosion d’une passion amoureuse, rage contre un milieu scolaire sclérosé). Pourtant, le mariage entre les deux univers qu’un siècle de distance sépare souffre de la comparaison entre la poésie émouvante de Rilke et les répliques de Harrison parfois d’une écriture plutôt légère, surtout dans les passages sur les relations parents-enfants du 21e siècle.
Après de brillantes relectures entre autres de Claude Gauvreau (L’asile de la pureté, présenté au Trident à Québec), d’Elfriede Jelinek (Blanche Neige et La belle au bois dormant), Martin Faucher avait mieux réussi précédemment à donner une forme scénique intéressante à un texte peu marquant (Du vent entre les dents d’Emmanuelle Jimenez). Dans Musique pour Rainer Maria Rilke, les transitions entre le passé et le présent, entre les personnages fictifs et réels manquent de clarté. Certaines idées ingénieuses, comme celles du miroir ou la représentation d’astres en toile de fond, auraient mérité une utilisation plus judicieuse, plus affirmative. Le trop court extrait de la magnifique Nuit transfigurée d’Arnold Schoenberg donne l’impression que la participation de la musique aurait pu enrichir davantage la conception sonore du spectacle.
Malgré le manque d’unité, les comédiens livrent des prestations honnêtes et senties. Dans les différents rôles de la mère et belle-mère de Nathan, Macha Limonchik démontre une étonnante polyvalence. Dans la peau des deux adolescents contemporains, Maxime Carbonneau et Sophie Desmarais parviennent à faire ressentir les contractions propres à l’âge ingrat. En Kappus, Éric Paulhus se révèle touchant. Seule l’interprétation emphatique d’Albert Milaire détonne du reste de la distribution.
Cette production destinée à un jeune public a trouvé un accueil très enthousiaste auprès de l’auditoire estudiantin présent dans la salle du Théâtre Denise-Pelletier. Et pour le théâtre jeune public et les artistes de Musique pour Rainer Maria Rilke, les applaudissements chaleureux demeurent l’élément primordial, plus important que tout le reste.