Les Zurbains 2013 apportent une nouvelle mouture de contes créés à la fois par un auteur de métier et quatre adolescents. Sur fonds de ville et de région, parfois les deux pieds dans le macadam, les zurbains nous parlent de leurs réalités, de leurs rêves et de leurs passions. Une parole jeune et nécessaire !
Environnement sonore Benoît Landry
Les jeunes auteurs sont :
- Juliette Pelletier de la Polyvalente de l'Ancienne Lorette
- Simon Thibault du Collège de Montréal
- William Albu et Amin Guidara de l’École secondaire Félix Leclerc
Durée : 1h30 (sans entracte)
Une production du Théâtre Le Clou présentée en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier, le Théâtre jeunesse Les Gros Becs à Québec et le Théâtre français du Centre national des Arts à Ottawa.
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par David Lefebvre
Seize ans déjà. Seize années de prise de parole, de folie, d’introspection, de revendications, de moments absurdes, drôles et touchants. Seize ans et pourtant : les Zurbains sont, aujourd’hui, d’une actualité encore plus percutante et d’une nécessité irrévocable. Bienvenue dans l’univers de quatre jeunes auteurs en herbe qui vous ébahiront.
L’ambiance est cordiale et décontractée lors de notre entrée dans la salle Fred-Barry. Les comédiens papotent, on s’amuse même à demander au public de projeter des boulettes de papier dans une corbeille. Puis, chacun prend sa place, dans une scénographie non pas unique – quoiqu’au premier coup d’œil, elle donne l’impression d’une expo d’art visuel -, mais disparate, révélant les univers distincts des cinq contes de la soirée : un plongeoir surplombant une petite piscine de canettes, une peau tannée au-dessus de quelques bûches, une caisse de bois révélant de fausses oranges, un petit plateau rempli de cents, placé devant une installation de papier de toilette, et un échafaudage rappelant les tours d’Hydro Québec.
La metteure en scène Monique Gosselin démontre encore une fois son talent pour diriger d’une main de maître les acteurs - le jeu de ceux-ci s'avère l'une des grandes forces du spectacle - et pour agencer agréablement et efficacement les histoires, en tirant ainsi le meilleur de celles-ci. Cette année, on semble vouloir revenir à la source des Zurbains, soit présenter des contes dans la plus pure tradition orale, laissant ainsi toute la place aux mots, au lieu de les théâtraliser à outrance.
C’est le texte Ève Houle Stratos, de l’auteure professionnelle Sara Berthiaume, inspiré de sa propre jeunesse, qui ouvre les festivités. Une jeune femme, se disant « plate » après une énumération de choses qu’elle n’a jamais faites, décide de réaliser une folie, une vraie : caler trois Red Bull et plonger d’un tremplin de dix mètres, après la fermeture de la piscine, s’inspirant du saut stratosphérique du parachutiste autrichien Felix Baumgartner. Sarah Laurendeau épate par son jeu très physique, démontrant les effets de la boisson énergisante avec adresse sur son corps soudainement intoxiqué à la caféine. L’humour dont elle fait preuve est simplement savoureux.
Si les deux textes suivants ne se démarquent pas par leur côté effervescent, ils possèdent tout de même de belles qualités narratives. Sous la plume de Simon Thibault, un monteur de ligne qui n’a pas le vertige, probablement dû à son incapacité de percevoir les profondeurs, nous raconte sa vie avec ses collègues, loin de sa petite famille. Alors qu’il perd son gros Ram au poker, il découvre qu’il existe d’autres sortes de vertiges. Avec un accent à couper au couteau, Vincent Fafard donne vie à cet homme de l'est du pays bien installé dans son pylône, qui comprend mieux après les incidents du chantier à quel point les êtres chers à notre cœur sont beaucoup plus importants que nos biens matériels. William Albu nous ramène vers les légendes nord-américaines, où un groupe d’amis filent vers un chalet, près d’un lac où un massacre d’Amérindiens aurait eu lieu, perpétré par des bûcherons cupides et ambitieux. Chaque année depuis, sous la lune de sang de septembre, les fantômes des morts viennent prendre une vie jusqu’à ce que chaque arbre abattu soit vengé. Un texte bien défendu par Marc-André Lapointe, avec douceur et naturel.
L’humour de la jeune Juliette Pelletier vient ravir le public dans Le syndrome de Stockholm, où une adolescente, voulant sauver le monde, du moins en commençant par un voyage humanitaire au Guatemala, se fait kidnapper par deux personnes âgées à la sortie de son travail, persuadés que tous les jeunes ont de l’argent – excellent clin d’œil aux remarques clichées qui ont pollué les médias lors du Printemps érable. En voyant le petit appartement minable et les conditions de vie dans lesquelles ils vivent, elle leur propose plutôt de les aider, en arrangeant une demande de rançon, qui tourne finalement au vinaigre. Grâce à ses réflexions sur l’aide que nous pouvons apporter aux gens autour de soi, particulièrement aux personnes du troisième âge, et à son caractère humoristique collé sur l’actualité – mention spéciale pour avoir réussi à glisser le nom de Vito Rizzuto sans que cela soit étrange –, ce texte se démarque des précédents. De plus, Mellissa Larivière explose dans le rôle de la jeune femme, au jeu exacerbé et divertissant, se couchant dans une bassine, faisant tinter la monnaie par terre ou maniant à bout de bras un pot de chambre.
Mais c’est le texte d’Amin Guidara, intitulé Allah maak, qui retient particulièrement notre attention. Par ce récit, les Zurbains sortent des frontières canadiennes, et pour l’une des rares fois, se veulent implicitement politiques. Un homme, vendeur de clémentines sans licence, nous raconte sa vie, lui qui a abandonné l’idée d’aller trouver du travail à Sfax – deuxième plus grandes villes de la Tunisie – pour continuer d’aider quotidiennement sa mère et ses frères et sœurs. Il comprend mal les raisons qui poussent les femmes à se voiler, cachant leur beauté, ou encore, la barbe des hommes de sa mosquée. Il s’insurge du manque de travail, des magouilles qu’il ne peut se payer pour travailler légalement. Après avoir parlé avec l’Imam, il visite son père au cimetière, mort quand il avait trois ans, une branche de jasmin en main. Et lors d’une de ces journées où il faut gagner sa pitance, il se fait gifler par une policière, en pleine rue : c'est la dégringolade, c'en est assez. Bidon d’essence, allumette, naissance par accident de la révolution tunisienne. Mikhaïl Ahhoja porte ce texte d’une admirable façon : on goûte le fruit qui le fait vivre, on sent la fleur éphémère qu’il adore, on regrette de voir partir ce premier amour, aux yeux verts et aux cheveux d’ébène, qui n’a jamais éclos, on se soulève avec lui, les sanglots écrasés dans la gorge, alors qu’il hurle à l’injustice, et l’on s’écroule, avec lui, à l’annonce de son destin qu’il scelle d’une étincelle. Ce dernier conte est simplement remarquable, et ce, en tout point de vue.
Vertigineux, ces fameux Zurbains? Assurément. Malgré un départ plutôt lent, cette édition s’avère tout aussi débordante d’imagination et de créativité que les précédentes.