Silvia, fille d’Orgon, attend Dorante, un prétendant choisi par son père. Comme elle n’est pas disposée à épouser un jeune homme qu’elle ne connaît pas et que son père lui impose, elle échange sa place avec Lisette, sa femme de chambre. Elle espère ainsi pouvoir étudier à loisir son prétendant sans se compromettre. Mais il se trouve que Dorante a eu la même idée : il a changé de rôle avec son domestique Arlequin. Seuls informés du travestissement des jeunes, Orgon et son fils Mario décident de laisser la chance au « jeu de l’amour et du hasard » …
Concepteurs et collaborateurs artistiques : Pierre-Marc Beaudoin, Karine Cusson, Maude Desrosiers , Henri Huet, Claire L’Heureux, Anne-Marie Matteau, daniel paquette, Jacques-Lee Pelletier, Michael Slack
Samedi 19 janvier à 15h: Rendez-vous de Pierre
Samedi 2 février après le spectacle: Rencontre avec les artistes
Une production de la Société Richard III en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Olivier Dumas
Avec Le Jeu de l'amour et du hasard, la compagnie théâtrale la Société Richard III expose brillamment toute la matière drolatique de ce chef d’œuvre du 18e siècle français.
À l’avant-première de la pièce écrite par Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, le directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier, Pierre Rousseau, instruisait les jeunes spectateurs et spectatrices sur le sens du mot marivaudage. Souvent employée à toutes les sauces, l’expression caractérise un style qualifié par certains de précieux. Elle exprime le dévoilement des sentiments amoureux dont le dramaturge a su transcrire les mouvances, inquiétudes et fébrilités avec éclat.
Comédien virtuose et polyvalent, Carl Poliquin s’illustre également depuis quelques années par ses mises en scène ingénieuses et rythmées. Parmi ses réalisations antérieures, sa relecture au 21e siècle pour Le Tour du monde en 4 jours, adaptation libre et contemporaine du célèbre roman de Jules Verne avait récolté des critiques élogieuses. Plus fidèle ici à l’époque de création du classique de Marivaux, son incursion dans les intrigues remuantes concoctées par le métaphysicien des passions du cœur permet de captiver un public souvent plus réfractaire aux spectacles imprégnés de romantisme et de sentiments. Présenté pour la première fois en 1730, le texte conserve encore aujourd’hui la finesse de sa psychologie des travers humains grâce à une langue raffinée et analytique.
Œuvre la plus connue de l’écrivain qui a rédigé quelques autres perles (La Surprise de l’amour, Le Prince travesti) montées à l’occasion au Québec, Le Jeu de l'amour et du hasard s’amuse à tordre le cou des conventions sociales malgré l’élégance de sa poésie. Les grandes lignes du récit reprennent un canevas maintes fois exploité par les illustres figures du théâtre, Molière au premier rang. Sylvia, une jeune femme, attend un prétendant, Dorante, choisi par son père, le très fier Monsieur Orgon. Elle n’a jamais rencontré ou parlé à son futur époux. Pour étudier sa personnalité sans se compromettre, l’héroïne astucieuse change de vêtements avec sa femme de chambre Lisette. Or, elle ne soupçonne aucunement que son fiancé a eu la même brillante idée, celle de porter les tenues de son valet, Arlequin en l’occurrence. Dorante se présente au domicile familial sous le pseudonyme de Monsieur Bourguignon. Son complice se fait passer pour lui. Informés de ces travestissements, Monsieur Orgon et son fils laissent les choses aller au gré de l’amour et du destin. Ils prennent plaisir à voir et surtout à entendre tous les quiproquos possibles et inimaginables autour de ces idylles.
Pendant les deux heures de la représentation entrecoupée d’un entracte, les histoires de chassés-croisés captivent l’auditoire réceptif. Les rires fusent à de nombreuses occasions. Les situations cocasses où les rusés se trouvent pris à leur propre jeu sont habilement exploitées. Malgré les siècles de distance entre l’écriture de la pièce et sa présente exécution scénique, le propos demeure toujours mordant, alors que les mots coulent harmonieusement comme la source d’une rivière. Le regard caustique sur les apparences, les désirs charnels et le triomphe du désir sur la raison expliquent en grande partie la pertinence de remonter ce texte toujours aussi délectable.
L’une des grandes réussites de la mise en scène se situe dans la rencontre fructueuse entre l’élégance classique du répertoire, ses nombreuses références à la commedia dell’arte et la succession effrénée de scènes aussi foudroyantes qu’un feu d’artifice. Les enjeux de la pièce sont toujours montrés donc d’une manière vibrante. La direction de Carl Poliquin bénéficie de ses expériences concluantes dans l’univers de comédies musicales et de son aisance naturelle à camper des personnages au jeu physique très développé. Sous sa houlette, elle ne craint pas de s’aventurer dans les poursuites burlesques entre les soupirants, ou encore dans l’exagération des traits de caractère risibles des protagonistes. Ainsi interpellé, le public n’a certainement jamais l’impression d’assister à une proposition artistique muséale ou poussiéreuse.
Composée principalement de panneaux pivotants, la scénographie parvient ingénieusement à suggérer les différents lieux de l’action sans changer de décor. Elle se distingue également par sa démonstration des indiscrétions des personnages qui descendent et montent les rideaux qui ornent l’arrière-plan des tableaux décoratifs. Les perruques et les costumes aux couleurs vives sont un délice pour les yeux, principalement les toilettes des valets Lisette et Arlequin lorsqu’ils sont déguisés en faux aristocrates. Par ailleurs, les extraits de musique classique confèrent une dimension d’élégance à la production.
Tous les interprètes de la distribution s’en donnent à cœur joie dans cette effervescence de réparties pétillantes. Il manquait toutefois une certaine audibilité quant à la prononciation et projection des répliques pour Agathe Lanctôt et Julie Gagné dans la première partie, possiblement due à la nervosité de l’avant-première. Les deux comédiennes livrent sans aucun doute des performances allumées et sensibles, tout comme leurs penchants masculins Guillaume Champoux et Daniel Desparois, impeccable en valet futé. L’orgueilleux père et le vaniteux fils sont rendus avec panache par Daniel Paquet et Jean-François Blanchard.
Les aventures affectives de ce Jeu de l’amour et du hasard se regardent avec bonheur. Inviter un ami, un membre de votre famille, une collègue de travail, ou pointer vous seul au Théâtre Denise-Pelletier, mais ne rater sous aucun prétexte ce magnifique rendez-vous avec la parole exubérante de Marivaux et de ses complices.