En 1654, le Prince de Conti est depuis plusieurs années le protecteur de la troupe dirigée par le célèbre Élomire. Insatisfait, depuis peu, de la saveur trop élitiste des pièces d’Élomire et sa troupe, le Prince de Conti fait appel à un artiste populaire, Valère, qu’il entr’aperçu lors d’une foire publique. Il l’invite à joindre la troupe d’Élomire afin d’y ajouter sa touche fantaisiste. Il en résulte une lutte à finir entre Élomire et Valère. Cette comédie contemporaine, aux airs de Molière, est un délire verbomoteur de haute voltige au rythme effréné, chorégraphié au quart de tour, qui met en scène tous les artifices théâtraux et même plus. Un rendez-vous à ne pas manquer avec les illustres membres de la troupe d’Élomire… ou disons plutôt, en replaçant les lettres, de Molière!
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Concepteurs et collaborateurs : Delphine Bienvenu, Martin Fontaine, Mariflore Véronneau
Durée : 2h30
Une production du Nouveau Théâtre Urbain en collaboration avec le Théâtre du Vaisseau d'or et en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Daphné Bathalon
Plus de sept ans après sa première production, créée à la salle Fred-Barry, le Nouveau Théâtre Urbain y remet la table, cette fois pour présenter en grande première francophone nord-américaine La bête, de l’Américain David Hirson.
1654, l’auteur et comédien Élomire est furieux : son mécène, le Prince de Conti, l’oblige à accepter de collaborer avec Valère, un artiste de rue pour lequel il n’a que mépris tant il le trouve grossier et imbécile. Valère s’arroge le droit de jouer avec les mots, d’en changer le sens et les règles selon son bon vouloir, à la grande exaspération d’Élomire, d’approche beaucoup plus académique. S’il bénéficie tout d’abord du soutien de son ami Béjart et du reste de la troupe, Élomire se retrouve peu à peu isolé, retranché dans son intransigeance...
À sa création en 1991 sur Broadway, La bête d’Hirson a reçu un bel accueil et remporté quelques prix; le texte a depuis été adapté dans de nombreux pays. Malheureusement, la présente proposition ne convainc pas. De fait,cette Bête semble hésiter entre plusieurs genres, tantôt elle relève davantage du théâtre classique de Molière et de ses joutes verbales, tantôt elle porte le masque plus physique de la commedia dell’arte, tantôt encore la pièce verse dans le burlesque, entre autres avec le personnage de Dorine, qui, en plus de percer les tympans, ralentit l’action chaque fois qu’elle ouvre la bouche. Les personnages cessent toute activité pour jouer aux devinettes en tentant de comprendre ses explications monosyllabiques (littéralement!). Heureusement, quand Dorine garde bouche close, le jeu de son interprète, Olivia Palacci, gagne en substance. Ainsi, lorsqu’elle demeure seule auprès de son maître à la fin pour le soutenir, elle devient beaucoup plus attachante.
La scénographie de Martin Fontaine, qui signe aussi les éclairages, correspond à l’image que l’on se fait du théâtre de Molière : des tréteaux de bois pas tout à fait solides, qu’on imagine avoir connu des jours meilleurs, un cadre de scène suggéré par quelques poutres, des piles de livres aux belles reliures, des crânes, des perruques et autres accessoires de théâtre. Une scénographie franchement réussie. Les costumes, choisis par les comédiens eux-mêmes, participent également bien à créer une ambiance de vieux théâtre.
Jean-Guy Legault, qui, pour cette production, porte le double chapeau de metteur en scène et de traducteur, s’est permis quelques écarts de langage avec le texte original, glissant des mots et des expressions anglaises populaires au Québec (Come on! No way! Let’s go! Dream team), qui tranchent avec les répliques en vers des personnages. Le procédé paraît souvent maladroit. Les adolescents dans la salle rient un peu, mais les rires francs ne sont pas légion. Legault aurait eu avantage à faire confiance au caractère comique du texte d’Hirson et à la qualité de sa traduction en alexandrins qui, mis à part ces petits écarts, fonctionne bien.
Pour tout dire, l’interprétation de Valère par Vincent Côté sauve cette production de l’ennui : et comment! Excentrique à souhait, parfois grotesque ou vulgaire, parfois extatique ou involontairement brillant, mais jamais à bout de souffle, le Valère de Côté brûle les tréteaux. À peine y apparaît-il qu’intarissable, il coupe le sifflet à Béjart et à Élomire, incapables de placer un seul mot en sa présence. Sa première réplique se transforme en véritable logorrhée verbale de près de 30 minutes (une performance en soi) pendant lesquelles Valère fait à la fois les questions et les réponses, même un bâillon ne le réduit pas au silence. Constamment mouchés par Valère, Béjart et Élomire ne peuvent que s’effacer. L’équilibre entre commedia et théâtre classique français est parfaitement atteint dans cette scène.
Par contraste avec la délirante introduction de Valère, la suite du spectacle paraît fade. On a malheureusement l’impression que les comédiens comblent la lenteur de certaines scènes en appuyant chacune de leurs paroles avec des gestes ou des grimaces. C’est le cas des nombreuses scènes où Élomire fait entendre ou voir son dédain à Valère, un petit jeu vite répétitif. En définitive, le spectacle de plus de deux heures aurait gagné à être resserré, il compte une bonne heure en trop et l’entracte qui le coupe en deux n’arrange en rien le rythme.
La bête du Nouveau Théâtre Urbain a les défauts de ses qualités : son délire verbal qui éclate magnifiquement dans la bouche de Valère brille peu sur le reste de la production, laquelle s’essouffle rapidement après cette pétarade initiale. On passe hélas à côté de la joute verbale qu’on aurait voulu entendre entre les tenants du théâtre populaire et ceux d’un théâtre plus réfléchi et porteur.