À quelques heures de son exécution, un condamné entreprend de rédiger ses mémoires. À partir des visites qu’il reçoit et des images qu’il hallucine, le condamné nous relate son procès, ses conditions de détention et ses réflexions angoissées. Véritable plaidoyer contre la peine de mort, Victor Hugo nous livre, avec tout le génie prosaïque qu’on lui connait, un récit poignant et brûlant d’actualité qui plonge le spectateur au cœur d’un questionnement éthique et existentiel : des hommes ont-ils le droit de juger et de décider du sort de la vie d’un des leurs ? Avec cette adaptation théâtrale, la compagnie Bruit Public explore l’insertion de la vidéo dans son récit scénique afin de mettre en images cette œuvre marquante du romantisme français.
Concepteurs et collaborateurs artistiques : Christian Jutras, Jean-François Morasse
Durée : 1h20
Une production de Bruit Public en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Daphné Bathalon
Pour sa nouvelle production, le théâtre Bruit Public s’attaque au grand humaniste Victor Hugo et à son roman Le dernier jour d’un condamné. Le texte, considéré comme un plaidoyer contre la peine de mort, remet en question le droit des hommes à décider du moment de la mort d’un des leurs, aussi coupable soit-il. Éric J. St-Jean revisite ce classique en en faisant un monologue théâtral qui s'interroge sur la moralité de la peine de mort, au moment où deux condamnations très contestées font la manchette aux États-Unis.
Si Jeux de massacre, précédente production de la compagnie, se penchait sur la construction sociale en temps de crise, Le dernier jour d’un condamné s’articule autour de la condition humaine à travers la pensée piégée d’un homme qui fait face à sa propre mort : l’immédiate, faiseuse de veuves, et la lente, celle agonisant au fond d’une cellule tandis que les heures séparant l’homme de son exécution s’égrènent sans se soucier du tourment du condamné. Cette prise de conscience de la mort, oscillant entre résignation et désir de fuite, est au cœur même de la réflexion portée par le texte d’Hugo.
Réduire un texte qui, lu d’une traite, dure près de cinq heures trente à un spectacle d’environ soixante-quinze minutes... le travail d’adaptation était ambitieux. Sur scène, il en résulte un récit prenant, bien défendu par le comédien Ariel Ifergan. Le texte adapté par le metteur en scène est porteur d’une puissante réflexion sur les impacts d’une condamnation à mort et sur sa cruauté. Pour un instant tranchant qu’on dit sans douleur (mais qui donc pourrait vraiment en témoigner?), les proches du condamné, dont sa fillette de trois ans, souffriront pendant des années. L’adaptation signée Bruit public laisse néanmoins le spectateur sur sa faim.
Il faut une bonne demi-heure pour que le spectacle déploie ses ailes. L’homme est d’abord tout tourné vers lui-même, vers sa peur de mourir, mais surtout de disparaître. C’est cette peur qui le pousse à écrire sa longue « marche » vers la mort tandis que les jours passent; une écriture qui lui permettra en quelque sorte d’échapper un temps à son sort. Mais plus la mort se rapproche, plus elle devient réelle, incontournable. Là, le récit nous emporte enfin, et le comédien, quittant le ton un peu chantant qu’il adopte en première partie et une posture plutôt figée, interpelle davantage nos sentiments.
Très axée sur la projection vidéo, la production en oublie parfois que l’essentiel est dans le texte et dans la manière de le porter à nos oreilles. Les projections qui éclaboussent l’écran en fond de scène offrent pourtant d’intéressantes ambiances qui, couplées à l’environnement sonore (parfois un peu trop appuyé) de Jean-François Morasse, reconstituent bien l’univers sombre et inquiétant dans lequel le captif subit la torture du temps et de l’isolement en attendant son exécution. Généralement simples et colorées, les projections se parent de l’écriture du narrateur, dont les entrelacs dévoilent portes, barreaux et corbeaux. Elles viennent néanmoins nous distraire inutilement du propos de l’auteur et alourdissent le récit lorsqu’elles donnent la parole à un double numérique du personnage. Face à ce double, le condamné entame des dialogues, parfois avec lui-même, ou, laissant la parole au double, se glisse dans la peau d’autres personnages. Ce dédoublement visuel était-il vraiment nécessaire? De toute évidence, Ariel Ifergan n’avait pas besoin de ce support pour faire dialoguer le récit et nous suggérer les changements de lieux ou d’interlocuteurs.
Avec une couchette de bois, qui fait aussi office de planche de guillotine, et un amoncellement de papiers, qui montre bien l’encombrement de pensées, voire la tempête d’émotions que traverse le condamné, la scénographie se révèle pleinement efficace en elle-même, sans l’ajout d’un habillage de projections.
Reste que la proposition de Bruit Public est une relecture intéressante portée par un comédien, qui parvient, avec un grand naturel, à partager avec le public les angoisses d’un homme, de sa condamnation à sa mise à mort.