Comme une radiographie troublante de l’école secondaire, les voix intérieures de ces jeunes rivés à leurs pupitres ponctuent la trame du spectacle. Un flot tumultueux rappelant le slam où s’entrechoquent règles de grammaire, désirs lancinants, idées reçues, musique pop et quête éperdue de sens. Sur scène, un choeur de jeunes de 5e secondaire, véritables finissants, donnent corps à ce texte percutant aux côtés des acteurs qui en portent les mots et en deviennent la voix. Ensemble, ils nous entraînent dans une bouleversante traversée aux allures de concert rock, de vidéoclip, où le rythme, propulsé par le texte, la musique et les images vidéo, se répercute dans les corps et renverse toutes les postures scolaires.
Coproduit par deux organismes artistiques sans but lucratif, Pirata Théâtre et Matériaux Composites, et codiffusé par le Théâtre Denise-Pelletier à Montréal, ce projet donnera naissance, du 12 au 22 mars 2014, à une oeuvre théâtrale unique : 80 adolescents vivront une expérience sans précédent en se partageant 18 représentations devant des groupes scolaires ainsi que le grand public, sur une scène professionnelle, et aux côtés de 5 acteurs.
Section vidéo
Scénographie décors et accessoires Marie-Ève Fortier
Conception sonore et direction technique Samuel Thériault
Éclairage Andréanne Deschênes
Vidéo Josué Bertolino
Costumes Marianne Thériault
Direction de la production Magali Letarte
Répétitrices auprès des jeunes pour la création Marie-Ève Archambault et Rachèle Gemme
Conseillère dramaturgique pour la création Marie-Hélène Larose-Truchon
Conseillère en voix et diction Marie-Claude Lefebvre
Durée : 1h10
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 12 au 19 mars
Régulier : 30,50$
Carte premières : 15,25$
Une coproduction de Pirata Théâtre et Matériaux Composites en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Olivier Dumas
Les transpositions de romans à la scène demeurent souvent risquées et périlleuses. Parfois réussies, souvent ambitieuses, elles provoquent des attentes souvent élevées. Mais parfois, l’inverse se produit également. Fort heureusement, l’aventure conjointe des deux compagnies Pirata Théâtre et Matériaux Composites transforme Album de finissants, un texte lourd de Mathieu Arsenault, en une réussite scénique exaltante.
Dans un compte-rendu du film Le Parrain 1 du recueil Chroniques américaines, l’exquise et redoutable critique de cinéma Pauline Kael expliquait comment le talent du réalisateur Francis Ford Coppola avait permis à un « bouquin alimentaire » de Mario Puzzo, jugé sans grande qualité littéraire, de devenir le matériau exemplaire de l’un des plus grands succès publics et critiques du cinéma états-unien des années 1970 (et de tous les temps). Le but de la comparaison tient surtout à démontrer comment des créateurs réussissent à transcender une matière première rébarbative ou peu emballante.
Parue en 2004 aux Éditions Triptyque, l’œuvre de Mathieu Arsenault est tout de même intéressante par sa langue puisant dans l’oralité et son portrait sans complaisance d’une classe du secondaire. Comme on peut lire avec raison dans le programme du spectacle, les créations littéraires, télévisuelles ou cinématographiques montrent surtout les étudiantes et étudiants à l’extérieur des salles de cours, c’est-à-dire rarement dans le lieu où se déroule la majeure partie de leur quotidien. Mais sur papier, l’écriture d’Arsenault se démarque surtout par sa vision plus sociologique qu’émotive. Mosaïque de petits textes comme des courts-métrages instantanés, elle finit par ennuyer par l’absence de progression dramatique, les redondances stylistiques et le ton impersonnel de la narration. La barre était haute pour les concepteurs de cette expérience, en plus du défi de transcender le simple exercice de style.
Les metteures en scène Michelle Parent et Anne-Sophie Rouleau ont judicieusement disséqué des morceaux de la partition pour construire une symphonie à la fois éclatée et cohérente de 80 minutes sans entracte et sans temps morts. Le texte gagne énormément par la multiplication des voix, conférant au propos une dimension plus incarnée, et surtout plus ancrée dans la réalité. Les acteurs professionnels et une vingtaine d’étudiants du secondaire (quatre groupes se succèdent d’une représentation à l’autre) occupent déjà la totalité du plateau avant le lever du rideau. Leurs regards laissent paraître une lueur d’affront comme des taureaux prêts à se lancer dans l’arène. Un poème d’Émile Nelligan amorce Album de finissants, joignant à la fois la beauté de la langue et l’ennui de réciter une leçon bien apprise. Se succèdent peu de temps après des extraits musicaux populaires dont un succès de Justin Bieber, Born this way de Lada Gaga et Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion. Certains des étudiants s’avancent vers le public et chuchotent une question dans l’oreille de certains qui deviennent l’équivalent d’un professeur une fraction de seconde. Des projections vidéo et des prestations plus performatives apportent une dimension plus multidisciplinaire à la production.
La musicalité de l’écriture de Mathieu Arsenault avait interpellé précédemment Christian Lapointe qui avait orchestré une relecture prenante de Vues d’ici, un récit plus captivant qu’Album de finissants. Ici, au fur et à mesure de l’évolution de l’histoire, ou plutôt des histoires des protagonistes, les mots occupent une place de plus en plus accessoire. Dans ce parcours éclectique, on déplore toutefois la quasi-absence de pièces musicales de langue française (il existe pourtant de petits trésors du répertoire contemporain) dans ce parcours de sensations plurielles.
Si la pièce expose des réalités propres au vécu des adolescentes et adolescents, elle ne s’inscrit pas nécessairement dans ce créneau. L’urgence de vivre dans un monde souvent froid, angoissant et cynique rappelle certaines productions récentes comme À quelle heure on meurt?, collage du corpus de Réjean Ducharme, Cinq visages pour Camille Brunelle de Guillaume Corbeil, mais sans la terrifiante cruauté extrême, ou encore Les Mutants, avec pourtant plus de violence latente, de folie et de liberté. L’effet de chœur confère également à cette classe une dimension puissante, émouvante et brutale. Par moment, le travail rigoureux des deux metteures en scène et d’une distribution talentueuse évoque l’esprit des chorégraphies de Jean-Pierre Perreault, comme Joe ou Eironos, notamment lorsque tous les acteurs et actrices effectuent en harmonie une gestuelle précise et rigoureuse.
Plus la pièce déploie toutes ses ailes, plus elle creuse dans la rage, l’amertume et le mal de vivre. La proposition devient alors passionnante, et même émouvante. Elle expose un portrait réaliste sans mièvrerie, sans logorrhée moralisatrice et sans le cynisme auquel échappe toute volonté de changement. Bien qu’ils ne s’inscrivent pas dans des revendications militaires ou idéologiques, les propos entendus donnent le goût de faire bouger les choses.
«On a mis quelqu’un au monde, il faudrait bien l’écouter», chante le groupe Harmonium. Dans cette création relevée, et nécessaire, l’espoir fuse lorsque les lumières s’éteignent. C’est avec beaucoup de chaleur et d’enthousiasme que le public de la matinée scolaire a applaudi les artistes de cet Album de finissants qui ne risque pas de jaunir dans la mémoire des gens.