Le spectacle Les Mythomanes explore le thème de la perception et les stéréotypes modernes en réunissant une galerie de personnages issus des plus grands mythes de l’histoire. À une époque où l’être et le paraître se confondent, nous sommes régulièrement confrontés au regard et à la vision que les gens ont de nous, et nous des autres. Nous catégorisons et inventons des vies aux gens croisés inopinément dans le métro, dans la rue, au restaurant, ou aperçus à la télé, sur le Web et dans les journaux. Nous voyons en eux des gens qu’ils ne sont pas et imaginons pour eux une vie qui nous semble follement intéressante. Ce conte contemporain qui met en scène, entre autres, Dracula, le Loup-Garou, Cendrillon, Samson et Lucifer, nous plonge en quelque sorte dans une autopsie du mythe et nous fait réaliser que les perceptions évoquent souvent des désirs profonds inassouvis. Et si notre perception avait une influence réelle sur la vie des autres?
Assistance à la mise en scène et régie Maryline Gagnon
Scénographie Julie Rousseau
Costumes Fruzsina Lanyi
Trame sonore originale Joël Melançon
Éclairages Maryline Gagnon
Projections Michel Antoine Castonguay
Graphisme Thomas Perreault
Durée : 1h40
Une production du Théâtre des Ventrebleus en collaboration avec le Théâtre du Vieux-Terrebonne et en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Daphné Bathalon
Après avoir exploré les univers de Dickens, de Poe et de Verne, le Théâtre des Ventrebleus remet la table pour une nouvelle incursion au cœur de l’imaginaire collectif, à l’origine des mythes parmi les plus célèbres : le loup-garou, Dracula, l’homme fort Samson, Cendrillon, le fantôme et même Satan... Avec Les mythomanes, la compagnie se penche sur la perception de soi et des autres à l’ère des réseaux sociaux et des technologies de l’information. Le sujet a déjà été plusieurs fois abordé, tant sur scène qu’à l’écran ; qu’apporte de plus à la réflexion cette nouvelle production du Théâtre des Ventrebleus? Disons une touche toute fantaisiste, à la fois littéraire et moderne.
Lucie Baël, coach de vie et hypnotiseuse, s’adresse d’emblée à nous, spectateurs anonymes, en nous invitant à allumer la lumière dans notre tête et à sortir de l’ombre, car ce qui importe à ses yeux, c’est le vous que les autres perçoivent en nous et non celui que nous sommes réellement. Sous l’impulsion de ce coach de vie (nos gourous modernes), cinq personnes voient leur vie bouleversée lorsque leurs désirs inavoués conditionnent soudain leur existence. Plus ils s’approprient ces désirs, plus leur physique et leur comportement changent, le regard persistant et le jugement que les autres portent sur eux affectant directement la façon dont ils se perçoivent eux-mêmes.
Pour Les Mythomanes, l’auteur et metteur en scène Jean-Guy Legault a choisi d’aborder la thématique de la perception et de l’image identitaire par le biais de figures mythiques. Ses personnages sont tous en quête : Tiara Stein, l’ancienne mini miss triomphante; Jack Valachie, un chirurgien plastique au lourd passé; LG, effrayé par tout, DJ Spirit, l’animateur de radio sans visage, et Samuel Samson, qui cherche à s’imposer par sa force physique. La pièce titille notre curiosité à leur égard, distillant les informations sur chaque personnage, et sur les figures mythiques auxquelles ils donnent peu à peu naissance, tantôt par leur nom, tantôt par leurs attitudes ou leurs particularités physiques. Le personnage de Valachie, aux allures de vampire, se distingue par sa force de caractère, attirant inévitablement les regards dès qu’il entre en scène. Frédéric Paquet lui apporte cette petite touche de trouble intérieur qu’il fallait. De son côté, Joël Melançon fait un animateur de radio poubelle tout à fait crédible sans tomber dans le cliché.
La production manque néanmoins de mordant. Si le tableau final montre tout de même que leur existence fictive se détraque et que les mécanismes de refoulement de leur véritable nature se coincent (« Que reste-t-il de leur identité propre? Qu’est-ce qui est réellement dû à leur volonté et non à une influence extérieure? »), Les Mythomanes n’amorce qu’une bien timide réflexion sur les actes de ces individus, englués dans une toile de mensonges, et sur leur profonde transformation. Quant au rythme de l’intrigue, d’abord bien marqué, il s’affaiblit malheureusement au fil du spectacle, tandis que les personnages, plutôt que de s’approfondir, semblent s’empêtrer dans leur anonymat et s’effacer derrière les traits stéréotypés des mythes qu’ils représentent.
Les Mythomanes a ceci d’original qu’elle s’intéresse à la fabrication des mythes, à leur origine dans le reflet que l’homme moderne renvoie constamment à la face du monde, notamment par le biais des technologies de communication, où l’être et le paraître se confondent, et où l’on joue allègrement de cette confusion. Les Mythomanes traite aussi, et peut-être plus efficacement, du besoin maladif d’être vu et reconnu par son entourage, et bien au-delà. Qui n’existe pas aux yeux des autres, après tout, n’existe pas du tout. Et ce désir de reconnaissance devient carrément obsessif pour beaucoup de gens en cette époque où l’image qu’on projette de soi et de sa vie compte plus que les mensonges auxquels on finit soi-même par croire.