Pour cette 17e édition, les personnages des Zurbains 2014 prennent le contrôle. Contrôle de l’autre ou contrôle de soi, de son environnement ou de son rang social ? Ils contrôlent leur destin, leur mémoire, leur performance sportive, leurs sentiments amoureux et même un peuple entier.
Les Zurbains 2014 apportent une nouvelle mouture de contes créés à la fois par un auteur de métier et par des adolescents de divers horizons culturels et géographiques. Si les auteurs des contes zurbains ont les deux pieds dans le macadam, ils ont de l’imagination plein la tête et prennent la plume pour nous parler d’amour et de liberté, sur fond de révolte et de tendresse. Une grande rencontre des mots et des imaginaires d’adolescents pour qui la langue française est un précieux outil de création.
Assistance à la mise en scène et régie Jacinthe Racine
Scénographie Laurence Gagnon Lefebvre
Costumes Sandrine Bisson
Éclairages Francis Hamel
Environnement sonore Alexi Babin Rioux
Direction de production et technique Jean Duchesneau
Auteurs-tuteurs Rébecca Déraspe, Jean-Philippe Lehoux, David Paquet et Érika Soucy
Durée : 1h30 (sans entracte)
Une production du Théâtre Le Clou présentée en collaboration avec le Théâtre Denise-Pelletier, le Théâtre jeunesse Les Gros Becs à Québec
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par David Lefebvre
Si les Contes urbains de Urbi et Orbi annoncent chaque année à La Licorne le début des festivités hivernales, Les Zurbains, son petit frère, déclare haut et fort l’arrivée imminente de la belle saison, grâce à ses idées toujours foisonnantes, son énergie contagieuse et son délire renouvelé. Depuis 1997, les contes d’adolescents inspirés – plus de 70 à ce jour! - résonnent au cœur de la salle Fred-Barry avec un plaisir toujours présent, que ce soit celui du public ou de la troupe.
Cette année encore, la mise en scène est confiée à Monique Gosselin, qui connaît les rouages des Zurbains comme le fond de sa poche. Elle réussit tout de même, après tant d'années, à garder vivant et surprenant ce happening printanier, grâce aux textes des jeunes créateurs et créatrices en herbe. Si la mouture de 2014 frappe peut-être moins fort que celles des récentes éditions, elle est tout de même riche et fort divertissante.
La proposition ne change pas : cinq contes, celui d’un auteur professionnel invité et quatre d’élèves de différentes écoles secondaires de la province. À l’instar de l’édition de 2011, entre autres, l’un des récits est fragmenté et joué lors des transitions entre les tableaux. C’est l’histoire d’Ambroise Daigneault (texte de Charles-Étienne Fecteau), jeune homme sans aucune affinité avec le sport – le seul muscle qu’il ose endurcir est son cerveau – mais ses parents l’incitent fortement à bouger bras et jambes. Il trouve la solution parfaite : le vélo ! Maintenant libre de son emploi du temps, il peut même partir plus tard de chez lui, flâner à la bibliothèque au retour, et ce, sans même être en retard. Mais un croisement de boulevards sans feux de circulation lui causera beaucoup de soucis. Si Sébastien René est terriblement attachant dans son rôle de nerd à vélo, au vocabulaire précis et au rythme effréné, son destin, lui, aussi comique peut-il être amené, laisse un goût amer en bouche. Non pas que le jeune auteur manque de talent, bien au contraire, mais les récentes actualités, soit le décès de la cycliste Mathilde Blais et celle d’une piétonne, 48 heures plus tard, prise sous un camion, assombrissent le tableau.
Juliane Desrosiers Lavoie joue une volleyeuse prête à tout pour gagner la partie et impressionner son coach brésilien, Ronaldo, aux méthodes dures, mais qui a su tout de même l’amadouer. Il serait si fier ! L’écriture punchy de Tamara Manny-D’Astous dépeint très bien le monde compétitif féminin, jusqu’à l’aveuglement volontaire et à l’impitoyable dénouement. Dans Le théorème du petit orteil, Julie Renault interprète une jeune révolutionnaire amoureuse d’une amie. Myllie Brousseau-Gauthier signe ici le texte le plus percutant et troublant de la soirée. S’inspirant d’abord du Printemps érable, avec les carrés rouges et les manifs, le récit sombre rapidement dans un univers orwellien, totalitaire, où tout est interdit et contrôlé par le gouvernement, de la manière de penser à celle d’aimer.
Suit La mémoire cachée. Le jeune homme qui nous est présenté va avoir vingt ans, une illumination qui le frappe comme un boulet. Tellement que son cerveau disjoncte ; il est game over, il ne peut plus faire partie de ce monde. Alors qu’il déambule dans la ville, il se rencontre à 50 ans, et il apprend comment son grand-père est décédé à l’âge de 20 ans. La mémoire cachée est comme une bombe que l’on enterre, mais que l’on ne désamorce pas. Ça finit toujours par exploser un jour ou l’autre. L’auteur professionnel invité qui signe ce texte, Luc Dumont, est Belge ; fondateur du Zététique Théâtre, il enseigne aussi au Conservatoire de Mons. Hubert Lemire emprunte ici l’accent français et donne une saveur particulière aux mots de Dumont ; s’il le fait pourtant sans fausse note, on peut s’interroger sur la pertinence exacte de cet accent en plein cœur des Zurbains. La réflexion n’est pourtant pas si loin de celle de bien des Québécois, qui passent le cap de la vingtaine en se demandant ce que l’avenir leur réserve tout en sentant que le passé n’a pas encore dévoilé tous ses secrets.
Le dernier récit de la soirée aborde l’amour de manière éclatée et humoristique. Alors que BIG, de son prénom Benoît-Isaac, un ado un peu « douchebag » avec casquette et vêtements blancs, rêve littéralement de son amie Laurel, il se refuse à l’idée de l’amour, ce produit du marketing moderne pour vendre du chocolat et des fleurs. Ou comme il le dit lui-même, « to much swag to be in love ». Apparaît alors un petit Cupidon à l’accent latino, bien décidé à lui ouvrir le cœur et à l’aider à conquérir Laurel. Mais ça ne se passera pas du tout comme dans un conte de fées. Aja Horvath s’amuse avec son personnage et fait entrer Cupidon dans l’ère du 2.0 ; Philippe Boutin interprète BIG et Cupidon avec une folie assumée et un plaisir contagieux, jusqu’à faire danser une personne de l’auditoire.
Avec doigté, Monique Gosselin a su placer adéquatement les différents textes pour créer un tout relativement homogène, sous le thème du contrôle (corps, sentiments, mémoire, destin, vie), tout en conservant le caractère unique de chaque tableau. Les comédiens n’hésitent pas à s’immiscer dans les autres récits pour incarner quelques personnages secondaires, octroyant un certain rythme et dynamisant la mise en scène de chaque histoire. Le décor de Laurence Gagnon Lefebvre est simple, tout en s’inspirant des textes des cinq auteurs : un mobile géant de pièces de vélo côté jardin, une petite scène et un arbre en tuyaux blancs flexibles côté cour. La trame sonore est à l’image de la soirée : souvent joyeuse, électro, rock, dansante.
Découvrir le travail, l’audace et l’imagination de ces jeunes lauréats du concours du Théâtre le Clou est toujours un réel bonheur, année après année. Le réel bémol de cette présente édition des Zurbains, c’est qu’il n’y a qu’une seule soirée grand public, soit le 16 mai 2014.