Privés de tout, les jeunes de Zone se sont donné une force, un refuge : la gang. Ensemble, ils n’ont besoin de rien ni de personne. Tous les rêves deviennent possibles même s’ils sont condamnés à travailler en usine ou comme livreur. Le jour, on les appelle Larue, Boudreau, Langlois. La nuit, ils deviennent Tit-Noir, Tarzan, Passe-Partout et Ciboulette, les rois de la magouille, les champions du monde. Écrite en 1953 dans une période de grande noirceur politique et économique, Zone touche encore notre inconscient collectif. Zone fut un cri. Aujourd’hui, alors que les crises économiques et sociales se succèdent dans le monde, Zone est l’écho qui nous rappelle que les jeunes ont leur place plus que jamais sur notre planète.
Concepteurs et collaborateurs artistiques : Alain Lauzon, Antoine Côté Legault, Guillaume Houët, Dominic Manca, Nina Okens, Jean-Michel Ouimet, Lindsay Tremblay
Samedi 28 septembre : Rendez-vous de Pierre
Durée: 1h45
Une production du Théâtre Français de Toronto et du Théâtre La Catapulte présentée par le Théâtre Denise-Pelletier
Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Daphné Bathalon
Le choix du Théâtre Denise-Pelletier pour lancer sa 50e saison n’est pas anodin : Zone, de Marcel Dubé, inaugurait la grande salle du théâtre à l’automne 1977, et a été remontée à quatre reprises depuis. Plus de trente ans plus tard, qu’a encore à nous dire sur nous-mêmes ce texte écrit en 1952?
Tarzan est un orphelin des ruelles qui, pour se sortir de la misère, joue les chefs de bande en impliquant quelques jeunes du quartier dans la contrebande de cigarettes américaines. Il prend tous les risques sur ses épaules, traversant la frontière plusieurs fois par jour jusqu’au jour où, inévitablement, il tombe face à face avec un douanier, qu’il abat sous le coup de la peur.
Malgré un léger vernis craquant, le texte de celui que l’on reconnaît comme l’un des fondateurs de la dramaturgie québécoise traite de thèmes qui touchent encore aujourd’hui les jeunes : appartenance à un groupe, manque d’autorité parentale, difficultés d’adaptation, volonté de s’affirmer, parfois en rompant avec les valeurs de la génération précédente… Zone aborde ainsi le thème universel du passage à l’âge adulte en s’intéressant au territoire imprécis entre les rêves de l’enfance et la réalité.
Créée en 2012 à Toronto et gagnante de trois prix RIDEAU, la coproduction du Théâtre de la Catapulte et du Théâtre Français de Toronto demeure très fidèle à la pièce d’origine, une volonté affichée du metteur en scène, Jean Stéphane Roy. À part la disparition d’un personnage et l’inversion de certaines scènes, le metteur en scène n’a en effet pas pris beaucoup de libertés avec le texte de Dubé, conservant jusqu’au niveau de langue des personnages, un français normatif qui détonne avec le milieu dont ceux-ci sont issus.
La distribution de cette production franco-ontarienne peine malheureusement à trouver le ton juste entre les images poétiques évoquées par l’auteur et un jeu plus réaliste, à l’exception notable de Nicolas Desfossés, qui offre une prestation nerveuse et touchante. Son Tarzan évoque à la fois la force de l’homme de la jungle dont il porte le nom et le gamin idéaliste qui se bat pour sortir d’une certaine zone de la société. Les autres membres de la bande donnent plutôt l’impression de jouer à un jeu ; si le ton et l’effet paraissent justes au premier acte, avant l’arrestation des jeunes, une fois les masques tombés, le jeu devient théâtral. C’est le cas du Moineau de Dave Jennis, plus fou du village que doux poète. Drôle de choix de mise en scène aussi que de jouer une violence théâtralisée où les coups sont portés dans le vide, atténuant d’autant la portée des gestes, entre l’humiliation par le chef et l’intimidation du plus faible. C’est dommage, car les déplacements des comédiens dans le décor – une structure de métal qui rappelle à la fois celle d’un pont ou d’une manufacture (symbole même de l’asservissement que les jeunes de Zone rejettent) – sont superbement orchestrés.
La proposition de Roy devient plus originale au deuxième acte, où toutes les scènes d’interrogatoires des jeunes par le policier sont rassemblées en une seule, poignante. La charge dramatique qui manque singulièrement au premier acte monte alors d’un cran passant d’une tension latente en début d’interrogatoire à l’explosion libératrice de Tarzan, une scène très bien menée par Richard J. Léger (le policier) et Nicolas Desfossés. La tension retombe toutefois comme un soufflé à l’acte 3, alors que le chef fait ses adieux à la bande tout en étant traqué par les policiers, une scène d’une intensité tragique sur papier et qu’on aurait aimée plus déchirante sur les planches.
Bien qu’il soit toujours agréable de réentendre ce texte de Dubé, il y a lieu de se demander si une relecture actualisée n’aurait pas été plus porteuse. La proposition de Roy, si elle ouvre une petite fenêtre sur notre histoire, ne s’aventure jamais vraiment hors des sentiers battus. La production parle-t-elle vraiment de la réalité des adolescents d’aujourd’hui ou témoigne-t-elle plutôt d’une jeunesse surgie d’une autre époque? À trop vouloir rester fidèle à l’œuvre originale, Roy propose une relecture sage et sympathique qui manque finalement d’un brin de caractère.