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Du 11 au 28 février 2015, 19h30
Victor HugoVictor Hugo, mon amour
Texte d'Anthéa Sogno
Mise en scène Léo Munger
Avec Catherine Bütikofer et Olivier L'Écuyer

40 000 lettres en 50 ans d’amour ! À partir de cette monumentale correspondance entre Victor Hugo et Juliette Drouet, Anthéa Sogno a composé cette pièce qui illustre les grands moments de leur vie amoureuse, littéraire et politique. Présenté pour la première fois au Québec, ce texte a été joué plus de 650 fois en France. 

En 1833, un jeune dramaturge tombe amoureux d’une princesse de théâtre. Jaloux, il lui demande d’abandonner la scène. Par amour, elle accepte, et comme elle s’ennuie, il lui dit :« Écris-moi, écris-moi tout ce qui te trottera par la tête, tout ce qui te fera battre le coeur ». Telle est l’origine de la merveilleuse correspondance que Juliette Drouet et Victor Hugo nous ont laissée en héritage de leur amour qui s’inscrira sur 50 ans. Le 11 mai 1883, Juliette ferme les yeux. Ce jour-là, Victor Hugo cesse d’écrire, il ferme son encrier pour toujours. Le grand amour de sa vie n’est plus, sa muse absolue s’est envolée. 


Concepteurs et collaborateurs artistiques : Sylvianne Binette, Anik Bissonnette, Cynthia Bouchard-Gosselin, Magalie Dufresne, Benoit Groulx

Durée : 1h40 sans entracte

Une production du Théâtre de la Tartigou et des Productions Mistral en codiffusion avec le Théâtre Denise-Pelletier


Théâtre Denise-Pelletier, salle Fred-Barry
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

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 Critique
Critique

par Olivier Dumas

D’une passion dévorante, physique, fusionnelle et presque destructrice, l’histoire d’amour du couple emblématique de Victor Hugo et de sa maîtresse Juliette Drouet sert de matériau dramatique à une attrayante production intitulée Victor Hugo, mon amour à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, coproduite par les compagnies Productions Mistral et du Théâtre de la Tartigou.

La comédienne Anthéa Sogno a créé ce spectacle en France d’abord au Festival d’Avignon en 2007 sous le titre initial d’Aimer, c’est plus fort que vivre. Elle a puisé dansla correspondance des deux amants, soit une relation qui a duré un demi-siècle et qui se serait déclinée dans 23 650 lettres (selon le site et le cahier de Denise-Pelletier) surtout écrites par une Juliette complètement envoûtée par le charme et la prestance intellectuelle de son chéri. L’entreprise de Sogno consiste également à réhabiliter dans l’imaginaire collectif la mémoire de cette femme (l’instigatrice du projet aimerait que chaque ville de son pays ait sa rue, son parc ou sa bibliothèque à son nom) qui a tout sacrifié pour un homme à la fois vénéré et détesté durant son règne sur les vies littéraires et politiques françaises.


Crédit photo : Dominique Chartrand

Le genre épistolaire demeure toujours très apprécié autant sur les scènes que dans des parutions pour exprimer toute la force, le désir et la fragilité des infinies nuances (probablement plus que cinquante!) de l’amour.  D’autres correspondances ont suscité l’intérêt au fil du temps, comme celle de Georges Sand et Frédéric Chopin, ou plus près de nous de la Renarde et du Mal-Peigné (Pauline Julien et Gérald Godin). Si la figure de l’héroïne sacrifiée ne l’inscrit d’emblée dans un processus d’émancipation féminine ou de revendications féministes, on doit souligner que la pièce présentée ici pour la première fois en sol québécois insiste sur la volonté de Drouet de tenter de sortir du stéréotype de la comédienne courtisane aux mœurs légères. Alors que son bien-aimé la confinait à sa chambre (en plus d’entretenir au moins une autre maîtresse), cette femme instruite démontrait un véritablement talent littéraire (témoigné notamment par son biographe, l’historien français Gérard Pouchain) en plus d’avoir corrigé et retranscrit d’innombrables textes du prosateur romantique. Menant une existence presque cloîtrée, elle ira même jusqu’à s’exiler avec lui à Jersey dans les îles Anglo-Normandes après un coup d’État perpétré par Napoléon Bonaparte au 19e siècle.   

Les différentes facettes de son «maître» s’avèrent habilement exploitées dans les extraits retenus par Anthéa Sogno. Le père souffre des drames de sa fille Adèle. Le romancier s’illustre avec ses Misérables tout comme le personnage politique avec ses discours ardents et polémiques sur les travers de la société de son époque. Mais c’est le dramaturge qui occupe une place importante. Il rencontre sa muse lors d’une lecture de sa pièce Lucrèce Borgia, veut révolutionner l’art dramatique en citant ses prédécesseurs (Corneille, Beaumarchais, Racine, Molière), s’enflamme à la lecture de la préface de sa Marie Tudor (« sur les deux manières de passionner les foules au théâtre : par le grand et par le vrai »), un chef d’œuvre qui a brillé l’an dernier dans la salle principale au même théâtre sous la direction de Claude Poissant, son actuel directeur artistique. En plus d’émouvoir, le résultat confère une dimension pédagogique (mais non trop didactique) à l’ensemble.

Pendant une heure et quarante-cinq minutes, la pièce s’écoute avec attention, grâce à un soin minutieux et précis de la metteure en scène Léo Munger qui accorde une attention constante à la puissance et à la délicatesse des mots. Le souffle de la langue se répercute à chaque instant, nous fait apprécier la qualité poétique des deux auteurs. La direction d’acteurs demeure presque sans failles, sauf lors de la suggestion de positions sexuelles assez crues. Dans cet univers feutré de confidences et d’aveux touchants qu’accompagne la magnifique musique pour violoncelle et piano composée par Benoît Groulx, cette surenchère démonstrative ne nous convainc pas. Autrement, le travail de Munger demeure impeccable de précision dans cette pièce se déclinant en petites scènes presque comme des clips. Mentionnons la scénographie de Sylvianne Binette avec son joli et grand éventail blanc qui regroupe les trois lieux de l’action (les bureaux de Drouet et d’Hugo séparés par un plateau surélevé où trône un récamier pour les scènes d’amour et un espace (comme une petite scène) pour celles de théâtre et des discours.

Sylvain Massé témoigne d’une grande assurance dans le rôle de Victor Hugo, autant dans ses élans fougueux que ses attentions attendrissantes pour sa dulcinée. Lors de la représentation de samedi, sa partenaire Catherine Bütikofer (initiatrice de la production québécoise) manquait encore un peu de présence durant les premières séquences, mais s’est aisément reprise par la suite, notamment lors du parfait dénouement tragique.

Sur le continent européen, le spectacle Victor Hugo, mon amour s’est valu des éloges mérités de la presse. Devant la présente proposition concoctée par Léo Munger et Catherine Bütikofer, le public québécois devrait en faire tout autant.    

18-02-2015