Je n’y suis plus met à nu la mécanique du quotidien et sa dérive : dérive du monde du travail et de la bureaucratie, dérive des rapports humains.
Ariane, une jeune femme gentille, raconte sa vie. Un torrent de mots pour décrire un quotidien qui s’effiloche, qui prend l’eau et qui glisse vers un état imprévisible et féroce. Entre les cupcakes de sa patronne et ses occupations de célibataire urbaine, Ariane perd ses repères et se replie sur elle-même : c’est l’implosion. Magali Lemèle interprète ce texte étonnant de Marie-Claude Verdier en complicité avec le musicien Jean-Sébastien Dallaire qui, sur scène, lui donne rythmiquement la réplique. Une création à la frontière du monologue, du théâtre performance et du slam. Ce spectacle, présenté au festival Zones Théâtrales d’Ottawa, a ouvert la saison 2013-2014 du Théâtre Français du CNA.
Concepteurs et collaborateurs artistiques : Alain Lauzon, Mike Brunet, Gabriel Tsampalieros
Durée : 1h15 sans entracte
Une coproduction de Magali Lemèle et Créations In Vivo présentée par le Théâtre Denise-Pelletier
Théâtre Denise-Pelletier, salle Fred-Barry
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
par Marie-Luce Gervais
Tout part d’une inspiration. Marie-Claude Verdier, l’auteur de la pièce, voit l’exposition de Cornelia Parker : An exploded view, à Londres, où une cabane explosée par l’armée est minutieusement réassemblée pour reproduire l’effet de cette dite explosion. Ce chaos la renvoie au chaos intérieur typiquement humain, et c’est ainsi que naît la pièce Je n’y suis plus.
Je n’y suis plus est l’implosion d’une jeune femme ordinaire prisonnière d’une réalité et d’une société qui la dépasse. « Sidekick » autoproclamée, Ariane, interprétée par Magali Lemèle, se plaît à s’imaginer être la Robin de Batman ou la Clochette de Peter Pan. Elle se voit comme un personnage à l’ombre d’un superhéros, mais sans superhéros à ses côtés… Les bribes de son quotidien sont présentées comme autant d’éclats de l’explosion de sa vie qui lui échappe. Pressée par sa patronne qui lui suggère fortement l’épanouissement personnel afin d’augmenter sa productivité au travail, Ariane se lance dans cette quête à tâtons, explorant les artifices des amitiés virtuelles, la projection d’images de bonheur vides de sens et les relations humaines superficielles qui n’apportent rien.
Ariane expose sa réalité avec humour et cynisme, dans une langue poétique et rythmée. Elle présente son vertige face au vide de sa vie, dévoile sans pudeur la déchirure de son âme, sans jamais tomber dans la victimisation. Il s’agit d’une critique de la société où tout le monde est endoctriné par l’image qu’il doit projeter et où la fuite est impossible. Il est question du vide de notre existence que l’on gaspille au travail, du vide des rapports humains qui restent toujours en surface, du vide du quotidien que l’on perd à regarder le contenu vide de la télévision et du vide des relations de couples qui ne se forment désormais qu’en se basant sur des raisons esthétiques ou économiques.
L’interprétation de Magali Lemèle est à la fois sensible et mordante. Elle joue sur plusieurs niveaux en se laissant porter par la puissance des mots qui, lorsqu’ils ne sont pas éraillés par l’utilisation du micro-casque de l’interprète, percutent directement le spectateur. Pour l’accompagner sur scène, un musicien : Jean-Sébastien Dallaire. L’ambiance sonore devient pratiquement un personnage en soi tant elle influence l’action qui se déroule sur scène. Plusieurs objets du quotidien sont ingénieusement utilisés pour créer cette ambiance ; d’une bouteille d’eau à un verre en carton, en passant par un jouet pour enfant et un pied de micro. Les sons, jumelés aux éclairages de Michael Brunet, provoquent un effet hypnotisant et une urgence qui rappelle la cacophonie de l’explosion. La scénographie de Gabriel Tsampalieros est à la fois simple et efficace ; deux grands panneaux blancs amovibles qui suggèrent à eux seuls une multitude de lieux. Si la manipulation de ces panneaux est aussi fluide qu’une valse, il est toutefois dommage que ceux-ci masquent parfois l’interprète à une partie de l’auditoire.
Je n’y suis plus est une pièce terriblement actuelle avec son regard juste sur une société aux prises avec un mal être grandissant, mais où, à la fois, tous les espoirs sont permis, car si l’individu est prisonnier de sa solitude, de sa volonté de plaire, du vide de sa vie et de sa routine, il en demeure néanmoins vivant et libre de ses propres choix.