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Du 30 septembre au 24 octobre 2015
Dates public (en soirée) : 2-8-9-10-15-16-17-22-23-24 octobre 2015
BadineOn ne badine pas avec l'amour
Texte Alfred De Musset
Mise en scène Claude Poissant
Avec Adrien Bletton, Henri Chassé, Francis Ducharme, Olivier Gervais-Courchesne, Rachel Graton, Martin Héroux, Alice Pascual, Christiane Pasquier et Denis Roy

Publié en 1834 après le tumulte des amours entre Alfred de Musset et George Sand, On ne badine pas avec l’amour est l’un des plus beaux et cruels dialogues amoureux de la littérature. Après dix ans de séparation, Perdican retrouve Camille. Mais comme la candeur de l’enfance est disparue sous la jeunesse, les deux amoureux semblent incapables de s’avouer leur flamme. Camille, sous la mainmise des soeurs du couvent où elle a passé les dernières années, préfère louer Dieu que d’épouser Perdican. Autour de ces coeurs battants, le discours des fantoches Dame Pluche, Maître Blazius et le Baron, père de Perdican, risque fort d’aggraver la situation. Perdican décide alors de séduire Rosette, la soeur de lait de Camille, et rendre ainsi Camille jalouse. Or l’amour ne se soumet facilement ni à l’innocence, ni à la stratégie. Claude Poissant met en scène Musset pour la troisième fois, après Lorenzaccio au TDP et Les Caprices de Marianne au Théâtre du Trident.


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Concepteurs Angelo Barsetti, Catherine Desjardins-Jolin, Éric Forget, Simon Guilbault, Victor Lamontagne, Alexandre Pilon-Guay, Marc Senécal et Jean-Simon Traversy

Samedi 10 octobre après le spectacle: Rencontre avec les artistes

Durée : 2h avec entracte

Une production du Théâtre Denise-Pelletier


Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974

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Critique

Crédit photo : Gunther Gamper

Parmi les classiques présentés sur les planches du Théâtre Denise-Pelletier, l’actuelle production d’On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset, sous la direction de Claude Poissant, s’inscrit sans aucun doute parmi les plus réussies et les plus éclatantes.

Autant dans Les Caprices de Marianne et Lorenzaccio que dans On ne badine pas avec l’amour (trois pièces montées par Poissant), le répertoire dramatique d’Alfred de Musset constitue un chant fiévreux à la jeunesse et à l’amour. Publié en 1834, mais joué seulement pour la première fois en 1861 à la Comédie-Française, le drame en trois actes demeure l’une des brillantes illustrations du courant romantique très fort à l’époque sur le continent européen. Par ses enjeux et ses personnages graves ou loufoques, elle scrute les mœurs de son temps sans trop s’encombrer de références datées. Sans dénaturer son propos, le traitement scénique se permet de nombreuses libertés dramaturgiques. Il se caractérise par un juste équilibre entre une certaine forme de classicisme et des références à notre société contemporaine (comme les promenades à vélo), sur une œuvre qui échappe heureusement à toute classification rigide.    

Durant une heure et quarante minutes, le récit est mené sans perte de vitesse. L’intrigue tourne autour de la relation entre deux cousins : Camille, 18 ans et fraîchement sortie du couvent, et Perdican, un doctorant de 21 ans. Amoureux l’un de l’autre depuis toujours, ils ressentent l’urgent désir de leur entourage pour qu’ils se marient. Mais les sentiments du cœur sont parfois imprévisibles, et surtout cruels. Pendant trois jours, certaines illusions tomberont, entraînant au passage des victimes dans cette mascarade sociale.   

Le metteur en scène a dépoussiéré précédemment Marivaux (dont Le Prince travesti) ou encore, plus récemment au même endroit, un percutant texte de Victor Hugo (Marie Tudor, avec une très solide Julie Le Breton dans le rôle-titre). Encore ici, il concilie un sens du tragique, de la gravité avec une palpable compréhension des émois intérieurs qui agitent les êtres de cette comédie humaine. Sur un plateau quasiment dépouillé, à l’exception notamment de chaises, la découverte de la passion occupe une place prépondérante. Les scènes où les deux amoureux témoignent de leur affection mutuelle, parsemées de doutes et d’épanchements affectifs, se démarquent par leur intensité émouvante. Les mots et les répliques frappent les esprits par leur éloquence naturelle et leur délicatesse inouïe. Par ailleurs, les échanges entre Perdican et Rosette, la sœur de lait de Camille qui sera instrumentalisée aux fins de leur liaison, baignent également dans la même eau remuante. Malgré les siècles de distance entre l’époque de l’écriture de la partition et notre nouveau millénaire, les paroles de l’auteur de La Confession d’un enfant du siècle résonnent toujours autant auprès du public adulte et adolescent.

Le décor de Simon Guilbault, composé entre autres de grandes colonnes et de constructions  aux formes abstraites ressemblant à des arbres, évoque le climat des brillantes lectures de l’un des génies du théâtre et de l’opéra: Patrice Chéreau. Chez ce dernier, tout comme chez Poissant, l’individu devient le point de tension d’une société en perpétuel mouvement dans les rafales de l’histoire. Chez le second, on peut se remémorer son travail dans un tout autre registre, sur  les éclatantes tensions exacerbées de son Tom à la ferme de Michel-Marc Bouchard.


Crédit photo : Gunther Gamper

Pour On ne badine…, la plume romantique de Musset s’harmonise avec la conception sonore d’Éric Forget, aux choix judicieux dans les interventions musicales, sur bande enregistrée, autant que par la présence d’instruments acoustiques sur le plateau (dont le violoncelle). De plus, lorsque la Rosette de la talentueuse Rachel Graton entonne une chanson ancienne avec sa très jolie voix, le temps suspend son vol devant tant de beauté et de ferveur.  

La seule réserve de cette production quasi irréprochable se présente lorsque nous voyons sur le fond de la scène à trois moments précis l’inscription des noms des personnages-clés du triangle amoureux et lors de la projection d’oiseaux blancs. Ce choix artistique paraît décoratif par rapport à la force du verbe et à la présence des interprètes tous et toutes à l’aise avec leur partition.

Le couple formé de Francis Ducharme et d’Alice Pascual se révèle impeccable de présence, de fougue et d’énergie. Le premier traduit une grande aisance corporelle dans la peau de ce jeune homme intrépide et téméraire qui aime jouer avec les feux de la passion, tandis que sa partenaire s’impose par son sens de la gravité et les frissonnantes ambivalences de cette ingénue prise entre la raison et ses inclinaisons pour son cousin. L’élégance naturelle d’Henri Chassé dans le rôle du vaniteux baron, la prestance loufoque de Christiane Pasquier en bigote Dame Pluche et les pédants Blazius et Bridaine de Denys Roy et Martin Héroux insufflent une belle folie à leurs figures de fantoches. Le chœur incarné ici par Adrien Bletton et Olivier Gervais-Courchesne s’acquitte parfaitement de sa tâche.

Lors du dramatique dénouement d’une sobriété exemplaire, une sorte d’osmose s’est produite entre la salle et les artistes. Tous et toutes vibraient à l’unisson devant ce On ne badine pas avec l’amour d’une vérité cruelle et irréfutable face à la découverte de soi.    

09-10-2015