Une maison, un toit. Dehors, une tempête, un hiver. Le père est tombé comme mort dans la neige. À l’intérieur de la maison, quatre frères, qui devront apprendre à vivre seuls, sans père et sans repères. Parmi eux, Léo, le troisième, cache un secret, un poème, une voix. Léo ne sait pas pourquoi, mais il lui semble que si le père est tombé comme ça, c’est un peu sa faute à lui. Parce que Léo n’est pas comme les autres. Et quelque chose lui est arrivé dehors, dans les branches. Alors il se cache là, parmi ses frères, dans « nous quatre », en espérant que l’hiver finisse par passer. Véritable objet d’orfèvrerie, cette oeuvre du québécois Marc-Antoine Cyr (Je voudrais crever, Les Flaques, Quand tu seras un homme) fut finaliste 2014 au Prix Michel-Tremblay. La pièce, créée en France l’année dernière, est publiée chez Quartett éditions, France. Le metteur en scène Didier Girauldon est complice de Cyr sur trois de ses pièces depuis 2012.
Conception David Bichindaritz, Magali Charrier, Christoph Guillermet, Constance Larrieu, Frédérique Payot et Camille Vallat
Crédit photo François Berthon
Marc-Antoine Cyr est auteur en résidence au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’en 2018.
Mercredis causerie après la représentation - 9-16-23 mars
Durée : 1h15
Une production Compagnie Jabberwock (Tours, France)
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : (514) 253-8974
«Vous serez des hommes mes fils», tel est ce type de message qui imprègne l’essence de la production Fratrie de la compagnie française Jabberwock. Écrit par le Québécois Marc-Antoine Cyr, très présent en Europe depuis quelques années, ce curieux objet théâtral comporte de forts beaux moments. Mais certaines pistes prometteuses laissent malheureusement une impression de distance et de froideur.
La mise en scène de Didier Girauldon focalise principalement sur le texte et le jeu de quatre comédiens (Marc Baudin, Guillaume Clausse, François Praud et Baptiste Relat), assez virils dans leurs attitudes, leur physique et leurs voix. Sur le plateau presque dépouillé dans la salle Fred-Barry, nous suivons le destin d’adolescents de la même famille (d’où le titre de la pièce). Pendant l’heure et quart de la représentation, les protagonistes affrontent les intempéries du climat hivernal et une lourde épreuve personnelle. Coupés du reste du monde dans la demeure familiale, ils attendent les dernières nouvelles de leur père, victime d’un grave accident. Alors que ce dernier se trouve à l’hôpital avec son épouse à son chevet, sa progéniture apprend à la dure la résilience et le courage. Parmi le quatuor se distingue Léo, le moins loquace et, certainement, le plus atteint par les événements. Comme le mentionne le dramaturge (qui nous a donné auparavant Je voudrais crever), dans le programme du spectacle : «habiter une fratrie, c’est se faire souvent un guerrier. C’est devoir imposer sa force. (…) C’est partir à la conquête de vastes territoires intimes.» L’individualité, avec tous ses secrets et toutes ses pudeurs, se confronte aux dimensions rugueuses de l’existence collégiale.
Au centre de la scène, l’ingénieux décor de Camille Vallat est constitué d’un plancher de bois incliné vers l’avant. La structure scénographique est entourée d’une matière blanche qui ressemble à des flocons de neige. L’aspect visuel de la pièce demeure sans équivoque le plus pertinent et le plus poétique de l’ensemble ; de ce fait, le plancher devient également le lieu de projections vidéo. Tour à tour apparaissent des gouttes de sang, des taches de couleurs variées, des échos d’une température extérieure imprévisible ou encore des illustrations métaphoriques des tourments de Léo. La séquence la plus forte de Fratrie surgit lorsque ce dernier, après des échanges houleux avec ses frangins, se recroqueville sur lui-même comme un animal blessé. Sur le sol s’esquissent les contours d’un territoire, comme un tracé avec une craie blanche, et par la suite, l’émergence des frontières de différents pays. À ce moment, la souffrance et la solitude du personnage se manifestent avec le plus d’éclat dans cet «hiver de force», pour reprendre l’expression tirée du roman de Réjean Ducharme. De plus, son isolement physique, et surtout psychique, nous émeut, alors que s’établit, sous nos yeux, le parallèle avec un individu prisonnier d’une île déserte. L’intensité de la scène nous prend alors aux tripes.
Pourtant, cette fébrilité intérieure qui ose s’extirper de ses barrières fragiles et interdites, nous aurions aimé davantage la sentir tout au long de cette proposition théâtrale. Trop souvent, les pistes de jeu ou amorces de la mise en scène nagent en surface. Elles ne transcendent donc que très rarement ses intentions. Ainsi, la démonstration s’en ressent autant dans le traitement scénique que dans la succession du récit très linéaire. Par exemple, l’apparition d’un Christophe Colomb épisodique reprend bien des clichés sur le «découvreur de l’Amérique». Elle apporte quelques sourires, mais peu de matière à réfléchir sur les dilemmes vécus par le frère plus taciturne. Par ailleurs, autant dans leur interprétation que dans la personnalité de leurs personnages, les trois autres comédiens se ressemblent beaucoup trop pour créer un tableau d’ensemble contrasté. Des divergences plus marquées entre les membres de cette fratrie en quête de repère et de sécurité affective auraient mieux approfondi la matière dramaturgique, d’autant plus qu’elle reste grandement, du début à la fin, dans les eaux de l’évocation.
La direction d’acteurs manque également de progression dramatique dans cette histoire de survie. Les rapprochements et les éloignements successifs entre les garçons deviennent à la longue redondants. Par ailleurs, les extraits de chansons populaires de langue anglaise semblent ici décoratifs. En cacophonie parfois avec les échanges parlés, leur présence anecdotique empêche aussi ces individus de creuser plus profondément dans leur douleur. Par contre, les passages musicaux instrumentaux, dont un agréable air de guitare classique, accentuent certaines tensions et nuances du sous-texte. Et fort heureusement, la composition de quatre adolescents ne tombe jamais dans le cliché, grâce à un quatuor de comédiens doués.
Puisque l’émotion demeure la plupart du temps qu'effleurée, une dimension clinique teinte souvent la signature de cette Fratrie. Plus de fureur aurait ajouté une plus grande charge émotive, dans la lignée des quatre sœurs de l’intense Oublier, l’une des meilleures œuvres de Marie Laberge. Le public montréalais voit rarement une plume québécoise portée par des artistes de l’extérieur. Il en aurait souhaité certainement plus d’étincelles et de tremblements féroces