Les Zurbains ont 20 ans cette année. Chaque saison voit naître une nouvelle édition des Zurbains, dans laquelle quatre contes d’auteurs adolescents sont mis en scène aux côtés de celui d’un auteur professionnel. Le spectacle présente ainsi des univers issus de l’imaginaire fertile d’une génération qui a soif de dire. Une tribune qui porte leurs rêves, leurs désirs, leur révolte. Avant d’être un spectacle, Les Zurbains est un grand projet d’écriture pour des milliers de jeunes qui composent un conte urbain. Depuis les conférences en classe, la période d’écriture, le comité artistique, le stage d’encadrement dramaturgique, et, enfin, la création du spectacle, toute cette aventure en est une de création. Cette année, l’écrivaine d’origine vietnamienne Kim Thúy (Ru et Man) se joint à l’équipe pour créer un nouveau Zurbain imprévisible.
Le Théâtre Le Clou propose un théâtre qui crée des ponts entre les générations. Parmi ses pièces les plus marquantes : Assoiffés, Romances et karaoké, Le chant du koï, Appels entrants illimités, Isberg et bien sûr vingt éditions des Zurbains.
Crédit photo TDP
27 avril et 11 mai 13h30 et 19h30
28 avril, 2, 3 et 10 mai 10h30
1er et 8 mai 13h30
4 mai 19h30
5 et 12 mai 20h30
9 mai 10h et 13h30
11 mai 13h30 et 19h30
Durée : 1h15
Une production Théâtre Le Clou en collaboration avec le Théâtre jeunesse Les Gros Becs
Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974
Pour une dernière fois, Les Zurbains hantent la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Malgré le talent des interprètes et la mise en scène dynamique de Monique Gosselin, le résultat déçoit en comparaison des années antérieures, plus fougueuses.
Pendant près d’une heure et demie, quatre apprentis dramaturges sélectionnés parmi de nombreux participants d’écoles secondaires (Paul Commier, Gabrielle Lavallée, Vincent Uhel Gagnon et Safoua Taoussi) sont réunis avec un professionnel ou une professionnelle de l’écriture (ici deux, soit les populaires Simon Boulerice et Kim Thúy).
Fidèle collaboratrice de ce happening printanier conçu par le Théâtre Le Clou, la metteure en scène a tenté cette fois de regrouper les cinq textes autour de l’intrigue du premier récit de la soirée, abordant ainsi les liens intergénérationnels. Au-dessus de nos têtes, nous retrouvons un amoncellement d’objets hétéroclites regroupés dans ce qui ressemble à un long filet de pêche. Inventive, la scénographie de Laurence Gagnon Lefebvre réunit des éléments rétro et contemporains, comme ces nombreux téléviseurs en bois très populaires à une certaine époque.
Alors que les lumières s’éteignent, surgit de la porte d’entrée de la salle, un garçon à bout de souffle. Léon (Simon Beaudry), un dévoué bénévole dans un CHSLD, recherche l’une des résidentes de 92 ans, disparue après une escapade au Carrefour Laval. Il a voulu rendre heureuse Mireille, surnommée affectueusement Mimi (également le titre de l’histoire de Paul Commier) en l’emmenant acheter des chandelles pour sa salle de bains, mais son altruisme (ou naïveté) lui a joué un bien vilain tour. L’intrigue est morcelée, entre les autres actions de la pièce, et rencontre son dénouement lors de la tombée du rideau. Pendant ce temps, les autres membres de la distribution se promènent en fauteuil roulant, portent des perruques grises et tournent difficilement les roulettes des téléviseurs. Malgré une progression dramatique parfois prévisible, l’énergie chaleureuse de Simon Beaudry permet de passer de bons moments.
Par la suite, les deux plumes chevronnées (Boulerice et Thúy) plongent dans les tourments et inquiétudes de l’adolescence dans Faire le poids. Elles dissèquent les déboires d’une jeune immigrante québécoise maitrisant depuis peu le français. Celle-ci est envoyée par sa mère en Ontario dans un camp de cadets pour apprendre l’anglais (d’où la présence de nombreuses répliques dans cette langue). Par son aplomb, Sharon Ibgui confère une présence allumée à une fille débrouillarde et parfois maladroite et attachante, grâce à une remarquable aisance corporelle. Malgré quelques répliques caustiques («Il s’approche tellement de mon voisin que j’ai l’impression qu’il va l’avaler. Sa salive éclabousse jusqu’à moi comme un gicleur de pelouse.»), Boulerice a déjà fait preuve de plus de verve dans ses autres productions pour adolescents (Javotte). Toutefois, les acteurs composent un tableau d’ensemble réussi d’un groupe où la discipline militaire n’empêche pas certains écarts de langage (dont l’insulte répétée «d’asshole»).
Le ton devient plus intime, et plus percutant, avec Le bocal de Gabrielle Lavallée, où depuis la mort de son père, une jeune fille vit une relation tendue avec sa mère. Une invitation à une fête arrosée change ses perceptions. En sortant à l’extérieur, le personnage perd l’équilibre. Cet incident l’oblige à se poser des questions existentielles. Dans un style conjuguant harmonieusement la gravité des enjeux avec une langue populaire rythmée, la maitrise de son écriture étonne («J’ai la gorge en feu pis l’âme inondée.») Avec en fond sonore une chanson d’Eminem (Lose Yourself) et une utilisation tout en délicatesse du décor, cette séquence demeure la plus émouvante de la production, d’autant plus que Marie-Claude Guérin insuffle les nuances nécessaires à un rôle exigeant.
L’Anthony de Nouvelle vague de Vincent Uhel Gagnon apprend qu’il participera à un cours mondial de surf à Hawaï. Un imprévu changera le cours des choses Jean-François Provost rend de manière crédible ce sportif, d’abord suffisant et vaniteux, qui devra se sortir de sa carapace pour affronter ses peurs et fragilités. Le texte illustre assez bien les rivalités existant entre les différents groupes d’activités scolaires, mais n’esquive malheureusement pas un message un tantinet moralisateur sur la dualité entre l’être et le paraître.
Le jeune homme de Je veux un shawarma de Safoua Taoussi se remémore ce mets typique («… sans oublier la sauce à l’ail maison. Pas de la sauce tzatziki, comme ceux du boulevard Côte-Vertu») de son pays d’origine, la Syrie. Ses amis et lui se prennent pour James Bond, une camarade rêve de cinéma comme son idole Meryl Streep. Par sa prestation autant sensible qu’athlétique, Harou Davtyan (participant déjà aux Zurbains de 2016) confère une ferveur palpable à ce garçon résilient confronté à des épreuves atroces.
Or, comparativement aux deux précédentes exécutions scéniques des Zurbains, la réalisation théâtrale de cette année ne semble pas avoir le même souffle ou le même élan. Il manque des effets de surprise, malgré la multiplication des nombreuses références à la culture populaire (Agent 007, Jean-Claude Van Damme, le Quartier Dix30). À l’exception de celui de Lavallée, les autres textes manquent d’audace et restent trop timides pour retenir davantage l’attention. Doit-on faire le reproche plutôt à leurs parrains ou marraines d’écriture de ne pas leur avoir permis de sortir des sentiers battus? Par ailleurs, la conception sonore de Sarah Laurendeau (si brillante en 2016 par ses extraits puisant autant chez Esin Egin que chez Franz Schubert) se contente cette fois-ci de morceaux plus conventionnels, comme le Last Christmas de groupe des années 1980 Wham!, un clin d’œil au décès récent de son chanteur, George Michael.
Fort heureusement, la direction de Monique Gosselin compense bien des faiblesses, sans oublier l’enthousiasme de l’équipe dans ce chant du cygne. Car, après 20 ans d’existence, les concepteurs des Zurbains reviendront, dès le printemps prochain, avec Le Scriptarium, une nouvelle forme de laboratoire d’écriture.