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La femme la plus dangereuse du Québec
Du 10 au 28 octobre 2017

Que reste-t-il d’une kamikaze qui n’a pas explosé ? Poète maudite de la fin du siècle au Québec, Josée Yvon, surnommée la fée mal tournée, trace la route littéraire de toutes les révoltes nées de trop d’assimilation, de conventions et d’injustices. Ni biopic, ni récital, La Femme la plus dangereuse du Québec plonge dans la vie et l’œuvre anarchique de cette égérie des sous-estimés, des laissés-pour-compte. C’est aussi l’occasion d’entendre les mots de Josée Yvon, morte aveugle en 1994, à 44 ans.

Fascinés par son voyage sur la terre et sur le legs essentiel de cette poétesse, Boudreault, Carbonneau et Cadieux font se rencontrer la vie réelle et imaginée de cette femme imprudente qu’ils n’ont pas connue. Celle qu’on a toujours crue dans l’ombre se dévoile enfin à travers ses archives inédites.

Fondée en février 2012 par Jérémie Boucher, Dany Boudreault et Maxime Carbonneau, La Messe Basse est dédiée expressément à la création de textes inédits et à l’exploration de formes nouvelles. La Messe Basse revendique la patience de l’art. Productions précédentes : (e)un genre d’épopée, Descendance, Siri.


Mise en scène Maxime Carbonneau
Dramaturgie Dany Boudreault et Sophie Cadieux
Avec Chantal Baril, Philippe Cousineau et Ève Pressault


Crédits supplémentaires et autres informations

Assistance Michelle Parent
Concepteurs Julie Basse, Navet Confit, Odile Gamache

Du mardi au jeudi 19h30, vendredi 20h30, samedi 16h30

Durée 1h30 sans entracte

Une production La Messe Basse


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Entrevue

Faire renaître le verbe incendiaire de la «fée mal tournée» : entrevue avec Dany Boudreault pour La femme la plus dangereuse du Québec

Par Olivier Dumas


Crédit photo : La Messe Basse

Dans La femme la plus dangereuse du Québec, la langue indomptable de Josée Yvon renait au Théâtre Denise-Pelletier, un lieu qui l’avait pourtant rejeté autrefois.   

Dans un texte de la revue Jet d’encre intitulé La femme de personne, l’écrivaine France Théoret énumère les titres « fulgurants » de Josée Yvon (dont Filles-commandos bandées, La Chienne de l’Hôtel TropicanaTravesties-kamikaze, Gogo-boy, et Laides otages) avant de lancer : « Josée Yvon, féministe de la marginalité et de la négation (ou négativité) battait froid aux institutions littéraires, au formalisme, au féminisme des radieuses libérées. Tout un chacun, à leur manière, lui a rendu la monnaie de sa pièce. » Or, Dany Boudreault compte bien nous renvoyer devant les yeux et les oreilles bien des facettes de la poétesse québécoise trash morte du sida à 44 ans en 1994.
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Critique disponible
            
Critique

Avec La femme la plus dangereuse du Québec, la Messe basse s’attaque à l’œuvre de Josée Yvon pour faire revivre l’artiste et sa poésie sur scène. Référence explicite à l’exergue de Filles-commandos bandées, le titre du spectacle reflète bien la démesure et la force de la pensée de la poète, qui continue d’inspirer plusieurs jeunes auteures. La même citation de Josée Yvon chapeaute d’ailleurs les recueils de poésie de Chloé Savoie-Bernard (Royaume scotch-tape) et de Véronique Grenier (Hiroshimoi) : « Mon amour je ne guérirai jamais / si tu me fourres dans ma blessure ». Je ne saurais mieux dire : l’essentiel de ce qu’était Josée Yvon se retrouve dans le mélange de tendresse et de crudité de ces deux vers.




Crédit photos : Gunther Gamper

C’est en allant piller le fonds « Josée Yvon » des archives nationales que l’équipe de création a pénétré dans l’univers de l’écrivaine, imitant du coup le processus d’écriture de la poète. En effet, quelques années avant de devenir aveugle et de mourir du sida en 1994, Yvon avait vendu tout ce qu’elle possédait en échange de 2700$. Vingt-quatre boîtes contenant des manuscrits, des rapports médicaux, des notes manuscrites prises sur des serviettes de table, des découpures de journaux et de magazines, etc. Rares sont les occasions pour les artistes d’avoir la chance de travailler avec des matériaux bruts livrés de manière aussi impudique. À l’image de l’écriture fragmentée de la poète, Sophie Cadieux et Dany Boudreault ont assumé leur imposture et ont intégré aux extraits d’archives d’Yvon (70%) des textes de Denis Vanier (5%), des mots d’autres auteurs (7%) et des transitions de leur cru (18%). Le narratif, le lyrisme et le poétique se mélangent pour créer un spectacle hybride et polyphonique. La forme du spectacle rappelle d’ailleurs la manière avec laquelle Josée Yvon vampirisait pour créer ses propres textes, en réutilisant certains passages d’une publication à l’autre, mais aussi des extraits de textes d’autres auteurs et des images provenant de magazines pornographiques ou de Photo Police. Son écriture laissait une grande place au recyclage, au collage et à l’hybridité générique. Les héroïnes de Josée Yvon incarnent des figures négatives et autodestructrices, pour qui le seul rapport humain possible est celui de la domination.

Pour raconter le récit fragmenté que constitue La femme la plus dangereuse du Québec, l’équipe de création a choisi de mettre en scène trois personnages, trois figurestypes de lecteurs de Josée Yvon : l’universitaire, qui l’a lue jusqu’à la connaître presque par cœur (Ève Pressault); celle qui a vécu à la même époque que la poète, qui a entendu les rumeurs, qui connaît le mythe de cette « fée mal tournée » gavée de médicaments et d’héroïne (Nathalie Claude); et finalement celui qui préfère Denis Vanier envers et contre tout (Philippe Cousineau). Grâce à un procédé de mise en abyme, ces personnages jouent à l’occasion à incarner Josée Yvon et Denis Vanier, ce qui donne lieu aux scènes les plus fortes du spectacle.

La femme la plus dangereuse du Québec permet de soulever un certain nombre de paradoxes associés à la vie et à l’œuvre de Josée Yvon. Comment se dire féministe tout en acceptant la violence dont on est victime ? Comment être reconnue par le milieu littéraire tout en cultivant une image publique sulfureuse ? Peut-on comprendre l’extrême violence des plus démunis sans en faire l’expérience soi-même ? Comment sortir de la relation fusionnelle qu’elle entretenait avec son « jumeau lesbien » Denis Vanier ? Tout en tenant compte de certains éléments que le public connaisseur de Josée Yvon s’attend à retrouver dans un spectacle sur son œuvre, Boudreault, Cadieux et Carbonneau montrent que l’auteure possédait un style et des obsessions d’écriture bien à elle. Si la vie de débauche et la relation amoureuse chaotique du couple Yvon-Vanier prennent beaucoup de place dans le spectacle, les créateurs mettent bien en relief que la poète finit par s’affranchir de son conjoint et par sortir de son ombre. Donnant une voix aux marginaux – homosexuels, travestis, prostituées –, Josée Yvon usait de la crasse et de l’impureté comme matériaux pour cracher son indignation sur le monde. Sa poésie s’imposait comme un miroir des blessures qu’elle portait et comme une invitation à une sororité féminine forte. En plus de chansons et de musique plutôt rock composées par Navet Confit, on peut entendre un extrait d’archives du Solstice de la poésie québécoise de 1976, alors que d’une voix écorchée, Josée Yvon récitait des passages de son recueil Filles-commandos bandées qui venait d’être publié.

La pièce permet de (re)découvrir l’extrême lucidité des poèmes de Josée Yvon, qui seront d’ailleurs réédités par les Herbes rouges à la fin du mois de novembre. Cette initiative permettra une plus grande diffusion des mots de la poète, dont les recueils avaient cessé d’être réimprimés depuis plusieurs années.

13-10-2017
 

Salle Fred-Barry, Théâtre Denise-Pelletier
4353, rue Sainte-Catherine Est
Billetterie : 514-253-8974

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