La légende d'Oedipe nous est surtout connu par tout ce que le génie de Sophocle nous en a raconté. Comme on le sait, dans Oedipe-Roi, le héros tragique découvrit ses crimes: inceste, patricide - souillures inexpiables aux yeux de tous les Grecs! Pour se punir de son aveuglement, il se creva les yeux. Chassé de Thèbes par Créon, considéré comme un objet d'horreur par tous les citoyens, repoussé par ses fils qui s'entendirent pour régner à sa place, le malheureux prit le chemin de l'exil accompagné de sa fille, la fidèle Antigone.

Oedipe mendie son pain, il vieillit. Accablé par toutes les épreuves, au comble de la pauvreté, averti par une voix divine qu'il parviendrait au terme de sa vie lamentable lorsqu'il serait arrivé dans un bois sacré près d'Athènes, il se dirige vers cette fameuse ville de Colone, que dirige alors le généreux Thésée. Tel est notre histoire: Oedipe à Colone.

«Qui demande de vivre plus que sa part, folie éclatante je crois, car les jours vont plus près des chagrins que des joies.» C'est avec ces mots d'une version inachevée de Vitez que naît le projet de demander à Marie Cardinal de traduire du grec ancien cette tragédie écrite en 405 av J-C. Moussia, comme nous l'appelions entre nous, ne verra pas le vieillard aveugle conduit par sa fille disparaître soudain sans laisser de trace dans le petit bois empli de chants d'oiseaux. La grande romancière, l'amie de longue date, décédait le 9 mai 2001. Elle nous laisse ici une interprétation d'Oedipe à Colone fidèle à une oeuvre personnelle - elle même traduite en 18 langues - qui n'a eu de cesse de célébrer la valeur de la personne humaine, de défendre sa dignité, son importance quelle que soit sa condition.

Texte
Sophocle

Traduction inédite
Marie Cardinal

Mise en scène
Jean-Pierre Ronfard

Avec
Albert Millaire (Œdipe), Nathalie Gascon (Antigone), François Tassé (le Coryphée), Édith Paquet (Ismène), Gabriel Gascon (Créon), Jacques Baril (Thésée), Pierre-François Legendre (Polynice), Jack Robitaille (le messager et le chœur), Denis Gravereaux (le chœur), Patrick Ouellet (le coloniate), Mario Greaves et Christian Provencher (les soldats).


Association Française d'Action Artistique

Du 16 septembre au 11 octobre 2003

 

par David Lefebvre

C'est un décor en pente, avec des arbres stylisés et des écrits un peu partout sur scène (en noir et blanc), qui nous attend dans la salle de l'ESPACE GO. Oedipe à Colone...

Oedipe fut sûrement l'un des Grecs les plus malchanceux de la Grèce antique : après que son père eut su qu'il serait tué par un de ses descendants, il décida de se débarrasser de son fils quand il naîtra. Peine perdu, le fils, après plusieurs années, revient en terre de Thèbes, tue son père lors d'une altercation (il ne savait pas que c'était son père), sauve le peuple de cette région en répondant à l'énigme du Sphynx (et en tuant du même coup ce monstre sacré) puis prend pour épouse la veuve Jocaste, sa mère. Quand il découvrira ses crimes, patricide, inceste, il se crèvera les yeux et Jocaste se suicidera. Pris en horreur, ses deux fils se battent pour le royaume et Créon le chasse. Sa fille Antigone partira avec lui pour le soutenir dans sa souffrance. Oedipe mendie donc son pain, il vieillit. Accablé par toutes les épreuves, au comble de la pauvreté, averti par une voix divine qu'il parviendrait au terme de sa vie lamentable lorsqu'il serait arrivé dans un bois sacré près d'Athènes, il se dirige vers cette fameuse ville de Colone, que dirige alors le généreux Thésée.

C'est là que débute cette pièce, traduite de l'ancien grec par Marie Cardinal. Albert Millaire incarne de façon magistrale le vieil Oedipe, yeux bandés. Nathalie Gascon, fidèle à elle-même, joue Antigone. La mise en scène (et les costumes) nage dans le classissisme du théâtre grec : les choeurs, les plaintes... En assistant au spectacle, on a l'impression de regarder un livre d'histoire. Le conteur (Jack Robitaille) donne à la pièce (par un prologue et certaines insertions) un ton particulier et agréable. Le choeur est toujours à l'extérieur de la scène, soit derrière ou sous les estrades. Édith Paquet (Ismène), Jacques Baril (Thésée) et Pierre-François Legendre (Polynice, ou l'orgueil incarné) sont excellents. On s'attendait par contre à plus de la part d'un comédien de la trempe de Gabriel Gascon qui joue un Créon un peu drabe et au-dessus de ses affaires.


Ici, le roi Créon et le roi Thésée

Par contre, plusieurs détails nuisent à la pièce: un chant de bienvenue aux étrangers à Colone la blanche des plus kitsch, des combats ridicules et des clés de bras entre les deux rois (Thésée et Créon) inspirées de film d'action. Mais c'est l'inaction de plusieurs personnages, qui restent sur scène, qui dérange le plus. Mais plusieurs autres détails restent des clins d'oeil au théâtre traditionnel (vous remarquerez l'effet sonore du tonnerre).C'est en fait la rupture du discours qui trône. Vous remarquerez ces bandes d'écriture partout sur scène, cet Oedipe qui ne peut conter son histoire, cette Antigone dévouée à l'extrème pour son père... Les éléments de mysticisme sont mis de l'avant (les oracles, les dieux qui se jouent de l'humain comme bon leur semble, ces dieux encore qui sont autant le fléau que les sauveurs de l'humanité, les prophéties...) mais exploités qu'au niveau du mystère. Quel est le vrai lien entre l'homme et son dieu? Pourquoi l'homme a toujours remis (du moins en ce temps) sa vie et son destin dans les mains de dieux qui peuvent être miséricordieux et tout à la fois le châtiment suprême?

Par une mise en scène inégale, jouant entre le théâtre classique grec, le théâtre traditionnel et moderne, la pièce propose quand même une des histoires les plus connues (ayant inspiré rappelons-le la psychologie avec le fameux complexe d'Oedipe). Mais le jeu d'Albert Millaire vaut franchement le déplacement.