Du 22 avril au 17 mai 2008
Abraham Lincoln va au théâtre
De Larry Tremblay
Mise en scène de Claude Poissant
Avec Patrice Dubois, Maxim Gaudette, Benoît Gouin
Un acteur, John Wilkes Booth, assassine Abraham Lincoln lors d’une représentation de Our American Cousin au Ford’s Theatre de Washington. C’est le 14 avril 1866, un Vendredi Saint.
Quelques décennies plus tard, Marc Killman, un metteur en scène craint et admiré, engage deux acteurs, Laurel et Hardy, et leur propose de rejouer l’assassinat de Lincoln par John Wilkes Booth dans une pièce sur la schizophrénie de l’Amérique. Pourquoi Killman s’intéresse-t-il à ce meurtre sordide ? Qui est Killman ?
Décor : Jean Bard
Costumes : Marc Sénécal
Éclairages : Martin Labrecque
Conception sonore : Nicolas Basque
Assistance à la mise en scène : Stéphanie Capistran-Lalonde
Maquillages : Florence Cornet
Une création Théâtre PàP
* le texte est publié aux Éditions Lansman
ESPACE GO
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890
par David Lefebvre
Assister à un spectacle de l'auteur Larry Tremblay, c'est plonger à chaque fois dans une œuvre fascinante et inusitée. Prenez, par exemple, Le ventriloque, en 2001, mis en scène par Claude Poissant, ou plus récemment Panda Panda (2005, pièce pour jeune public) ou La hache (2006). Abraham Lincoln va au théâtre est l'histoire d'un metteur en scène craint et admiré, appelé Marc Killerman, qui entreprend la création d’une pièce sur l'assassinat du 16e président des États-Unis, pendant, faut-il le rappeler, une représentation théâtrale, à Washington, en 1865. Il fait appel à deux comédiens qui ont le mandat d'incarner le duo burlesque par excellence, Laurel et Hardy, qui tuera un Lincoln en cire. Utiliser le divertissement pour faire passer un message, une vision beaucoup plus grave, grotesque. Mais au final, que cherche vraiment à exprimer le metteur en scène dans ce spectacle?
En tentant de faire la lumière sur la ou les raisons qui ont poussé l'acteur John Wilkes Booth, la première superstar des États-Unis, à assassiner Lincoln, Tremblay fait le procès ludique d'une Amérique schizophrène, ou plutôt de la façon d'être américaine. Une Amérique qui nous assujettit consciemment, au caractère dichotomique, où le meilleur et le pire peuvent naître de la même branche. Où l'on retrouve à la même source la maigreur et la grosseur, le sadisme et le masochisme. Tremblay s'amuse à semer les fausses pistes et maîtrise ici parfaitement l'art de la mise en abyme qu'il affectionne; chaque information peut être infirmée, chaque personnage en cache un autre, puis un autre. Pièce de théâtre au théâtre, dans un théâtre au théâtre, le texte est savoureux, caustique, ouvrant la porte sur un univers éclaté aux maintes significations. Même un peu trop : sans s'y perdre, les réalités s'enchaînent rapidement et on ne peut qu'encaisser les surprises. C'est en sortant de la salle qu'on arrive à apprécier à sa juste valeur l'écriture tentaculaire de Tremblay.
Pour mettre en scène ce texte complexe, Claude Poissant, qui décrit la pièce comme une thérapie intime et collective, choisit, pour la plus grande partie du spectacle, la sobriété. Scène nue, rideau en arrière-plan (sur lequel on diffuse dès le départ une séquence du film Dog Day Afternoon), une table et quelques chaises en accessoires, c'est au niveau de la direction d'acteurs que tout se passe. Patrice Dubois et Maxim Gaudette incarnent les "Laurel et Hardy", deux personnages qui en dissimulent d'autres, comme des matriochkas vivantes. Ils nous parlent directement, sur le ton de la confidence publique, puis jouent quelques scènes - on a l'impression d'avoir pénétré dans une salle de répétition. Derrière leurs expressions faciales prononcées, leur imitation du duo où fusent les claques, se cachent un autre monde, plus personnel, et la fissure finit par faire paraître les vraies émotions. Benoît Gouin joue Marc Killerman, puis un acteur de soutien qui viendra prendre la place de Killerman, les deux sous la cire et la barbiche de Lincoln. Le trio est captivant, offrant des personnages troublés, en crise identitaire. Tout comme l'Amérique. En fait, le spectacle est une crise identitaire en soi, se transformant d'instant en instant.
Casse-tête intelligent, tragicomédie à la finale des plus absurdes et surprenantes - on s'écroule de rire ou on reste totalement stupéfait -, Abraham Lincoln va au théâtre est un spectacle tout aussi étrange qu’éloquent, où la réalité devient le théâtre de la fiction.
24-04-2008