Du 13 novembre au 8 décembre 2007
Comment j'ai appris à conduire
Texte de Paula Vogel
Traduction de Maryse Warda
Mise en scène de Luce Pelletier
Avec : Michel-André Cardin, Violette Chauveau, Martine Francke, Magalie Lépine-Blondeau et Gabriel Sabourin
L’histoire débute par une chaude nuit d’été en 1960. Après plusieurs discussions, un homme dégrafe le soutien-gorge d’une jeune adolescente sur la banquette avant de la voiture. C’est cette jeune adolescente – maintenant femme – qui nous raconte cette histoire. Au fil des arrêts, des courbes, des routes, ses souvenirs émergent et elle nous dévoile l’étrange relation parfois physique, mais surtout émotionnelle, qu’elle a eue avec son oncle Peck.
Récipiendaire du prix Pulitzer en 1998 pour cette œuvre, Paula Vogel ne traite pas seulement de la pédophilie, mais montre par les mémoires de cette femme la beauté du pardon et le désir de survie. L’auteure aborde aussi la famille, le passage de l’adolescence à l’âge adulte, notre emprise sur notre corps et nos pensées, la mince frontière qui sépare le mal du bien. Le texte met en scène à travers des leçons de conduite, le présent, le passé et le futur de deux êtres, et l’auteur se refuse à réduire l’héroïne au statut de victime ou de faire de son oppresseur un monstre.
Pas moins de 50 productions de COMMENT J’AI APPRIS À CONDUIRE ont vu le jour, partout aux États-Unis et ailleurs dans le monde et, plus près de nous, au Centaur. L’auteur, Paula Vogel, est parmi les plus reconnues aux États-Unis et son œuvre a été couronnée de prix.
Éclairages : Martin Labrecque
Assistance à la mise en scène et régie : Claire L'Heureux
Décor et accessoires : Olivier Landreville
Conception sonore : Larsen Lupin
Costumes : Julie Breton
Une production du Théâtre de l'Opsis
ESPACE GO
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890
par Mélanie Viau
Maryland, 1960. Par une chaude, très chaude nuit d’été, Ti-boutte apprend à conduire, aidée des mains expérimentées de l’oncle Peck. Expérience marquante et très troublante dans la vie d’une jeune adolescente candide, une expérience remplie de virages arides, de marches arrière et de stops dans les parkings et les auberges, une expérience dont elle fait le point, ici, maintenant, avec vous. Vous y serez interpellés, votre conscience morale et votre sensibilité seront mises à l’épreuve. Comment j’ai appris à conduire vous propose une balade sur les routes sinueuses du tabou, de la controverse, voire du crime tamisé par un fidèle attachement, drapé par un désir intense de romantisme au sein d’une famille troublée par le sexe et le rôle de la femme en voie de s’émanciper de l’éducation judéo-chrétienne. Pour débuter l’an 2 de son cycle états-unien, le Théâtre de l’Opsis pose un regard nuancé et actuel sur le propos, nous faisant découvrir une auteure à la voix pétillante, solidement humaine, Paula Vogel. Armée de la traduction impeccablement rythmée de Maryse Warda, l’infatigable Luce Pelletier a tout pour faire vibrer ses acteurs et son public.
Les mains posées sur le volant à 9h15, le volume de la radio dans le piton, Ti-boutte nous fait parcourir trente ans de sa vie aux épisodes en constant aller-retour. L’enfant, la jeune fille, la femme, présentée dans un montage aux ellipses multiples, cinématographiques. D’un humour éclatant, le portrait de cette écervelée pas si naïve que ça avec sa poitrine plantureuse s’incarne avec force, désinvolture, maturité, charme, sans aucune autodérision contemplative par Violette Chauveau qui, une fois de plus, prouve son immense talent à pouvoir tout jouer. Gabriel Sabourin, solide et habile dans les moindres détails, incarne l’oncle Peck qui, dans ses perversités monstrueuses arrive à atteindre un niveau profond de sensibilité, de dévouement, d’amour, à un tel point qu’il devient difficile de porter sur lui une féroce condamnation. Le jeu de l’ambivalence entre les deux acteurs, impeccablement orchestré par Luce Pelletier dont on sent la terrible efficacité du regard dirigeant, donne au spectacle une élévation réaliste, haute en couleur, sans tension superflue, dévoilant les non-dits. En effet, leur duo nous offre des scènes magnifiques, tordantes, toujours extrêmement cohérentes, en plus de donner un aperçu vivant et investi d’une époque dont le cinéma hollywoodien nous a pauvrement fourni maintes et maintes fois les clichés : tripotage dans les bagnoles, Jack Daniel’s, Playboys, relations familiales conflictuelles, etc. Ici, une trame sonore choisie avec soin, bien dosée de succès sixties alternant avec une polyphonie hyper évocatrice des nuits d’été en plein air, sert à nous situer exactement où il le faut dans tous les changements de lieu.
Le décor (par Olivier Landreville), impressionnant et suggestif à souhait, endosse la charge esthétique, sans toutefois servir a priori à l’action dramatique. Deux pans de mur, tapissés à la mode de l’époque, ouvrent sur une plaine sablonneuse par deux trous béants dans leur centre, créant l’impression d’une voiture ayant passé littéralement au travers. Analogie, métaphore, lecture d’un passage fracassant et démolition du noyau intérieur, celui du corps, celui de la famille.
Comment j’ai appris à conduire repousse la tragédie. Sans cri, sans maux d’esprit dangereux, sans douleur physique. La rencontre se fait à nu et ouvre le regard, permettant ainsi de ne pas se murer dans les «préconstruits» moraux. Avec détachement, légèreté, plaisir. Une bonne soirée où l’on ne se fait pas dire quoi penser.
15-11-2007