Du 28 octobre au 22 novembre 2008
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Le bruit et la fureur

Texte de William Faulkner (roman)
Adaptation de Pierre-Yves Lemieux
Mise en scène de Luce Pelletier
Avec : Émilie Bibeau, Francis Ducharme, Jean-François Harrisson, Patrick Hivon, Pierre-François Legendre, Han Masson, Mireille Métellus et Émilie St-Germain

Ancré dans le sud des États-Unis au bord de la crise économique, le récit en est un du désordre de l’esprit et de la fureur des âmes tourmentées. À travers les segments narrés par différents personnages, la famille Compson, jadis noble, sombre dans le déclin. Tout au long des trente années que relate l’oeuvre, on plonge dans l’univers bouleversé de cette mère névrosée et de ses quatre enfants : Benjy, simple d’esprit, Quentin, étudiant suicidaire, Jason, frère amer, ainsi que leur sœur Caddy, objet de l'affection quasi animale de Benjy, de l'amour incestueux de Quentin et de la haine farouche de Jason. Bien au-delà du portrait familial, Le Bruit et la fureur profile également une société américaine en perte d’identité et qui peine à se reconstruire suite à la Guerre civile du XIXe siècle.

Auteur prolifique et récipiendaire du Prix Pulitzer, du National Book Award et du Prix Nobel de la littérature, William Faulkner s’est fait connaître avec Le Bruit et la fureur. Publié en 1929, le roman, un grand classique intemporel, a mérité un succès critique d’envergure. On attribue à Faulkner l’usage réussi du courant de conscience (stream of consciousness), qui met à l’avant-plan les monologues intérieurs des personnages, et une chronologie éclatée, qui passe habilement d’un narrateur à l’autre et du présent au passé.

Cette oeuvre marquante est portée au théâtre pour la première fois en français.

Production Théâtre de l'Opsis

Espace GO
4890, boul. Saint-Laurent
Billetterie : 514-845-4890

par Mélanie Viau

Le Théâtre de l’Opsis inaugure l’an 3 de son cycle états-unien avec une oeuvre monstre du répertoire classique, une sommité de la littérature américaine qui, pour la toute première fois depuis sa création en 1929, se voit présentée en langue française sur une scène de théâtre. Par cette adaptation du roman The Sound and the Fury du très grand William Faulkner, Luce Pelletier et Pierre-Yves Lemieux s’engagent dans un périple des plus complexe : celui de recréer et de transmettre, le plus fidèlement possible, le portrait de cette famille vivant aux portes de l’enfer dans un langage qui ne saurait trahir la force contenue dans la technique d’écriture du « courant de conscience ». Ce qui a fait le succès de cet incroyable roman d’atmosphère au tissu narratif en totale déconstruction peut-il avoir un impact semblable auprès du spectateur qui le voit matérialisé en chair et en os dans un espace et une temporalité aussi éloignés de sa création originale ? Tout ce bruit et cette fureur bouillants au travers des lignes du récit narré par des esprits en perdition peuvent-ils conserver leur puissance d’évocation en étant proclamés ouvertement par des corps en état de jeu ? L’illustration vaut-elle la suggestion ?

Nous sommes à Jefferson, dans le Yoknapatawpha County (lieu imaginé par Faulkner qu’il situe dans l’état du Mississippi), sur le domaine de la famille Compson, quelque part sur une ligne temporelle traversant les années 1910 et 1928. Le décor construit par Olivier Landreville (attribuons à ce brillant artiste une mention très spéciale) travaille les contrastes entre la riche bourgeoisie et la nature primitive des bayous du sud des États-Unis, véritable bassin de l’esclavagisme noir. Le plancher de scène est recouvert d’un damier en bois vernis sur lequel trône un divan piqué de dorures, lit de convalescence de dame Caroline (Han Masson), cette mère désabusée entraînant sa famille dans le plus grand désordre qui soit. Un arbre gigantesque transperce le sol, venant ajouter une texture hautement réaliste à l’espace scénique. Ce qui fait l’énorme force théâtrale de ce décor époustouflant réside dans l’édification de six colonnes de marbre entourant la scène, véritable rappel à la tragédie grecque (et au majestueux cycle Oreste accompli par l’Opsis) quoi qu’ici, le châtiment s’abattant sur la maison n’est pas dû à la colère des dieux, mais bien à la colère des hommes en proie à leur propre décadence.


Photo : Suzanne O'Neil

Le roman de Faulkner comporte quatre mouvements, allant du Moderato à l’Allegro, nuances musicales qu’on a peine à retrouver dans la mise en scène de Pelletier. Si l’intérêt du lecteur consiste en ce que les clés du récit ne se dévoilent qu’à la toute fin du roman grâce à un narrateur omniscient, la représentation scénique ne peut nous réserver un tel suspens. Déjà, dans la première partie racontée par Benjy, l’idiot castré qui n’a de suite dans les idées que par associations sensitives, on arrive sans grande surprise à entrevoir la tournure des événements futurs par l’agitation des personnages au sein de leurs relations discordantes (personnages qui, disons-le, mériteraient de plus fortes modulations). Le caractère dominant de chacun est porté à l’avant-plan avec une affirmation indiscutable, tels des archétypes, laissant ainsi peu de place à tout le désordre intérieur qui les anime et les ronge au cours des événements échelonnés sur ces trente années.

Cela dit, on ne peut rester insensible devant une œuvre d’une telle envergure, et même si l’adaptation a choisi d’écarter légèrement les enjeux économiques de la Guerre de Sécession et les violences raciales qui ont motivé leur auteur, la texture mélancolique et la rage folle des passions suffisent à nous replonger dans l’esprit de cette célèbre dynastie sombrant dans le déclin social de son époque.

30-10-2008