Au lendemain de la guerre de Troie, le roi Pyrrhus revient victorieux en son royaume d'Épire avec pour prisonniers la princesse Andromaque et son fils Astyanax. Alors qu'il doit épouser Hermione qui l'aime éperdument, il s'éprend de sa captive. Au même moment, Oreste, amoureux fou d'Hermione, est envoyé comme ambassadeur des Grecs à la cour des Pyrrhus pour y réclamer Andromaque et pour assassiner le jeune Astyanax qui, une fois devenu grand, pourrait représenter un danger. Pyrrhus refuse d'accéder à la demande d'Oreste et promet à Andromaque de sauver son fils si elle consent à l'épouser.
ANDROMAQUE, grand classique de Jean Racine (1639-1699), met en scène les fils et les filles des grandes figures légendaires de la guerre de Troie : Pyrrhus est le fils d'Achille, chef des Myrmidons; Andromaque est la veuve d'Hector, fils de Priam, roi de Troie; Hermione est la fille d'Hélène et de Ménélas, roi de Sparte; et Oreste est le fils d'Agamemnon, roi de Mycènes. Quatre êtres brisés par le passé, qui tentent de survivre dans un monde encore sous le choc de la fureur des pères. Pris dans une chaîne amoureuse à sens unique (Oreste aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui n'aime que le souvenir d'Hector, qui vit à travers leur fils Astyanax) et déchirés par leurs pulsions charnelles, ils se perdent dans les enjeux du pouvoir.
Le PROJET ANDROMAQUE est né du désir de la comédienne Anne Dorval d'interpréter le personnage d'Hermione, dont les sentiments et les instincts passionnels viennent bouleverser le destin des personnages. L'aventure réunit une distribution d'acteurs et d'actrices d'exception qui s'exposent sans filet à la grandeur des vers raciniens pour explorer la parfaite modernité de cette œuvre intemporelle. Faut-il secouer le texte pour rejoindre les générations d'aujourd'hui? Faut-il l'éclairer par des extraits d'œuvres récentes? Faut-il s'en tenir à la seule résonnance des mots?
Assistance à la mise en scène et régie : Manon Bouchard
Lumières : Martin Labrecque
Les mardis à 19 h
Du mercredi au samedi à 20 h
Et les samedis à 16 h
par David Lefebvre
Après Jackie en début de saison, l’Espace Go poursuit sa série «Portraits de femmes» avec un classique de la tragédie du théâtre français, Andromaque. Si Serge Denoncourt avait carte blanche pour s’emparer, explorer, triturer, couper ce texte extraordinaire de Racine, il décide pourtant de conserver le texte original, sans ajout (des extraits de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes devaient s’y retrouver), et d’opter pour une forme épurée, plaçant à l’avant-plan tout le poids et la portée des mots et l’interprétation incarnée d’acteurs exceptionnels.
Le public est donc convié, en premier lieu, à une active mise en lecture. Les premières scènes se passent autour d’une grande table carrée, à laquelle prennent place les comédiens. Le début de l’exercice rappelle vaguement le Caligula Remix de Marc Beaupré, mais là s’arrêtent les comparaisons : Denoncourt nous amène plutôt au coeur de la création artistique et émotionnelle.
Les personnages apparaissent peu à peu ; les comédiens prennent possession de l’espace scénique en montant librement sur la table, la séparant totalement, pour l’unir ensuite et créer un long corridor élevé et exigu. Par sa mise en scène dépouillée, mais d’une efficacité exemplaire, Denoncourt permet aux spectateurs d’entrer et de découvrir l’univers privé de la conception théâtrale. En remontant à la source même du théâtre, de l’expression artistique, il évoque la naissance et l’incarnation d’un récit, de personnages plus grands que nature, sans accessoires, sans décor, sans costumes, sans artifice autre qu’une trame musicale bigarrée, pigeant tout autant dans l’univers traditionnel du Moyen-Orient que de la musique heavy metal, ou qu’une conception d’éclairage tout aussi sombre que magnifique, signée du magicien Martin Labrecque. En plaçant le public de part et d’autre de la scène centrale, Denoncourt crée tout autant une distanciation qui nous rappelle que nous sommes au théâtre qu’une proximité unique qui nous place aux premières loges d’une tragédie tout aussi personnelle, passionnelle, que politique.
La langue de Racine, tout en alexandrins, n’est pas une mince affaire. Pour le public contemporain, cela signifie prendre le temps d’apprivoiser la musicalité du texte avant de s’abreuver de toute sa complexité et de ses subtilités. Pour les comédiens, cela requiert une dextérité phénoménale de la langue et de la mémoire : ne peut jouer Racine qui veut. Les instigateurs du projet, Serge Denoncourt et Anne Dorval, ont réuni autour d’eux des virtuoses de la scène. Les superbes Louise Cardinal et Marie-Laurence Moreau, qui jouent les rôles des confidentes des figures féminines principales du spectacle, trouvent les expressions parfaites, entre retenue, réconfort et voix de la raison, pour rendre habilement leurs personnages. Mani Soleymanlou, qui interprète Phoenix, n’est que trop peu présent pour que nous savourions réellement tout son potentiel d’acteur - dommage. Olivier Morin joue Pylade, l’ami d’Oreste, avec droiture et fidélité. Le trio Anne Dorval (Hermione), Jean-François Casabonne (Pyrrhus) et François Xavier Dufour (Oreste) est tout simplement époustouflant. Certaines scènes nous happent de plein fouet, tant l’émotion est palpable, tant les mots sont tranchants, sentis, aliénants. Si une catharsis est vécue par le public, c’est grâce à eux. Le jeu du pouvoir amoureux est ici mené à son comble ; Anne Dorval réussit à insuffler à son Hermione, trahie par Pyrrhus, toute la haine et le mépris du monde. L’Oreste de François Xavier Dufour (renversant), amoureux fou d’Hermione, lui est fidèle jusqu’à l’assassinat, jusqu’au parjure, pour sombrer dans une folie furieuse. Malheureusement, l’interprétation d’Andromaque de Julie McClemens manque légèrement de puissance et de prestance. La rage semble garder captif dans sa gorge tout son discours, qui devient rustre plutôt que moteur de ses actions. La comédienne devient touchante et son jeu plus subtil lors de scènes plus douces, avec sa confidente, mais lors d’affrontements verbaux, tout son corps se fige ; on ne perçoit que peu tout le côté royal et fier d’Andromaque, qui se perd derrière l’esclave rebelle, la femme aimée au cœur fermé, qui ne vit plus que pour son fils chéri.
Dépoussiérée sans être dénaturée, cette version épurée d’Andromaque souvent vraie, parfois touchante, toujours juste, ravira un public certes averti, mais plus large qu’il n’y paraît. Orgueil, mépris, honte, horreur, amour, larmes, c’est un drame épique tout ce qu’il y a de plus humain, présenté dans son plus simple appareil théâtral.