Qui est Jackie Kennedy? Une silhouette fine et brune, en tailleur Chanel. L'épouse du président des États-Unis, John Kennedy. Mais que sait-on réellement d'elle? Finalement, très peu de choses, sinon que Jackie a suivi les conseils de sa mère, elle a épousé un homme riche et elle s'est dévouée à incarner les valeurs familiales de son époque. I cône de la féminité et de l'élégance, elle est rapidement devenue prisonnière des images que les médias ont créées d'elle, la présentant comme un objet de désir. Ces milliers d'images ont tu la femme. À présent, Jackie va parler.
En 2000, Elfriede Jelinek écrit les DRAMES DE PRINCESSES, une variation en cinq tableaux autour du thème La Jeune Fille et
la Mort. En donnant la parole à des femmes de légende, princesses des contes de notre enfance, ou encore à des figures de nos mythologies contemporaines, l'auteure dénonce, avec un humour provocateur, l'antagonisme entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui le subissent. Le quatrième tableau de cet ouvrage, JACKIE, permet à cette grande figure de la modernité qu'est Jackie Kennedy de faire taire la meute de ses démons intérieurs et de faire enfin entendre sa voix.
Collaboration artistique : Stéphanie Jasmin
Assistance à la mise en scène : Martin Émond
Décors et accessoires : Denis Marleau + Stéphanie Jasmin
Éclairages : Marc Parent
Costumes : Isabelle Larivière
Musique et environnement sonore : Nicolas Bernier
Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti
Une coproduction UBU et ESPACE GO
par David Lefebvre
« J’étais […] le mensonge dans le songe des autres. »
Connue ici essentiellement par le film La pianiste, l’auteure autrichienne Elfriede Jelinek a pourtant une carrière florissante et bien remplie, incluant quelques scandales dus à certains romans. Récipiendaire d’un prix Nobel en 2004 pour « le flot musical de voix et contre-voix dans ses romans et sa critique des clichés sociaux », voilà que ses mots retentissent finalement dans un théâtre de la métropole. Le texte choisi par l’Espace Go, Jackie, fait partie d’une série intitulée « Drames de princesses », mettant en scène des figures féminines, telles Blanche Neige et Sylvia Plath, dont Elfriede Jelinek déconstruit et triture le mythe pour les placer dans un constat sombre et amer, mais au destin assumé et accepté.
Série de bancs blancs très sixties, petites tables où s’entasse une multitude de magazines, écran géant ; voilà une brève description de la scénographie. Un décor qui nous indique en un clin d’œil que nous serons dans l’image, le style, la mesure. Quelques photos s’animent sur l’écran suspendu, une voix retentit. Le texte de Jelinek est d’une effarante densité : le spectateur n’aura d’autre choix que de se voir rebondir sans arrêt ou de se laisser engloutir par le monologue incessant. Nous sommes alors fascinés par la grande dame ou véritablement ennuyés par le flot des paroles, tout aussi calme qu’abyssal.
Jelinek ne fait pas dans le documentaire ; elle s’inspire et s’empare de l’icône, de la femme médiatique, pour établir une réflexion aux nombreuses ruptures sur la dictature de l’image. Tout le texte, écrit d’un seul jet, joué de la même manière, sans pause, sans grande intonation, fait état de ce pouvoir tyrannique. La Jackie dépeinte ici est une femme prise avec la mort, souvent dite crument : celle de ses proches, de ses enfants morts nés, de ses relations, de son propre corps. Prisonnière de ce qu’en a fait les médias, et de ce qu’elle a elle-même créé : une icône sans faille, un tailleur Chanel, un carré de soie sur la tête. Un sourire placé à la perfection en couverture du Life Magazine, qui cache pourtant un obscur spleen, une douleur beaucoup plus humaine qu’on ne pourrait jamais le croire. Jackie parle ainsi de mode, de pouvoir, de ses belles-sœurs qu’elle dénigre, de la perruque qu’elle portait, de vêtements, encore et encore, jusqu’à les mettre en parallèle avec l’assassinat de son mari, qu’elle nomme toujours par son surnom, Jack. Elle critique, parle étonnamment avec délectation des nombreuses drogues qu’elle aurait utilisées ; elle s’incarne dans une ironie sans fin, elle attaque sans vergogne, armée d’un égo parfois démesuré, mais toujours avec une implacable maîtrise de soi. Elle s’élève au-dessus des nombreuses maîtresses de son mari, sauf une, la pulpeuse Marilyn, son contraire, même si elle ne la considère que très peu, selon ce qu’elle veut bien nous faire croire. Mais elle en parlera tant, qu’elle se transformera en elle, comme l’ombre de Jackie et la lumière de Marilyn qui s’agencent pour former un paradoxe de plus, dans une scène finale des plus déconcertantes.
La mise en scène de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin navigue entre l’intimité et le style télé documentaire, en utilisant la vidéo en direct – impeccable travail d’Olivier Schmitt à la caméra – pour capter perpétuellement le visage de Sylvie Léonard. Nos yeux sont alors rivés sur l’écran, au fort contraste noir et blanc, au lieu de profiter de la présence scénique de la comédienne. Sylvie Léonard incarne avec élégance et retenue, d’une puissance sourde et parfois cynique, une icône parlante et complexe, obsédée par l’accentuation, par l’individualisme de ses vêtements qui surpasse sa propre existence.
Insaisissable, vertigineux, Jackie est un tableau contemporain aux multiples couches, aux fines craquelures, qui se construit et se déconstruit sans arrêt. L’étude de l’image s’avère pourtant fastidieuse, parfois déroutante, due essentiellement à l’impression de pessimisme et à la fausse superficialité des propos, qui éloigne de la profondeur des nombreuses réflexions de l’auteure.