Je regarde votre visage bronzé, Monsieur le Prince, le gel dans vos cheveux foncés et les muscles sous votre T-shirt, je cherche les genoux et les fesses dans votre pantalon de surfeur extra large et demande : Se peut-il que vous soyez vous? Se peut-il que je sois moi? La Princesse
Il était une fois… une jeune femme qui s'aventura dans deux histoires de princesses.
Perdue dans la forêt, Blanche-Neige marchait depuis un bon moment à la recherche des nains lorsqu'elle tomba sur le Chasseur. Elle tenta de lui expliquer que, comme toute héroïne, elle menait une quête désespérée de Vérité. Absorbée par sa propre beauté et par sa rivalité avec sa belle-mère, Blanche-Neige s'embrouilla dans son histoire. Le Chasseur la tua.
Une éternité et un baiser plus tard, la Princesse ouvrit les yeux sur le Prince qu'elle espérait en rêve. Mr. Right? Oh que non! Plutôt un bellâtre prétentieux qui se prenait pour Dieu, son sauveur, son créateur. Et qui expliqua à notre « Belle au Bois Dormant » que son réveil avait relancé pour elle le compte à rebours de sa beauté.
Et si toutes les princesses étaient destinées à se faner?
En 2000, Elfriede Jelinek écrit les DRAMES DE PRINCESSES, dans lesquels elle donne la parole à des femmes de légende. Cette fois, Jelinek fait la peau aux contes de fées et aux fantasmes qu'ils colportent sur les femmes. Sous sa plume aiguisée, Blanche-Neige et la Belle au Bois Dormant deviennent des anti-princesses subversives, des mythes en déconstruction qui se dévoilent dans leur fragilité, leur lubricité et leurs paradoxes… bien loin de Walt Disney!
« À quoi je corresponds? » Les deux courts textes de Jelinek sont porteurs de questionnements qui habitent Sophie Cadieux, et plusieurs femmes de la génération des trentenaires, sur la projection du féminin dans notre univers ultra-sexualisé et pourtant en quête d'hyperromantisme. En mariant notre réalité d'aujourd'hui aux désirs de personnages de contes de fées, Jelinek offre des éclairages multiples sur le sujet.
Section vidéo
deux vidéos disponibles
Assistance à la mise en scène : Emanuelle Kirouac-Sanche
Décor : Max-Otto Fauteux
Lumières : Marc Parent
Costumes : Denis Lavoie
Musique : Michel F. Côté
Accessoires : Normand Blais
Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti
Projet plastique
Mot de Sophie Cadieux, artiste en résidence :
Description du projet : être comédienne consiste à se revêtir de nouvelles peaux, à porter de nouvelles voix. Le corps de l'interprète devient alors en quelque sorte d'usage public, d'une impudeur. Avec l'incursion dans l'univers des princesses, je me suis mise à rêver à ce corps qui se dévoile, qui se multiple, qui se morcelle. J'ai eu envie de convier le spectateur à jouer à la déconstruction dans un certain ludisme. Au-delà de cette interprétation du corps de la comédienne, il y a celui de la femme qui se confronte aux images reçues, aux images idéalisées, aux images construites. Est-ce que l'entièreté du corps correspond à la personne qui l'occupe?
Pour réaliser le Projet plastique, j'ai fait appel à la complice Mireille St-Pierre.
Née à Rimouski et vivant depuis maintenant huit ans à Montréal, Mireille St-Pierre a complété un baccalauréat en Design graphique ainsi qu'un certificat en Arts visuels à l'Université du Québec à Montréal.
Mireille est depuis toujours prisonnière d'un corps de designer graphique, et d'un cœur d'illustratrice. Elle est reconnue pour la finesse et la sensibilité de son travail et son désir de recréer la réalité d'un trait simple, pur et délicat. Ses deux carrières vivent en parfaite symbiose avec ses projets, qui proviennent de tous les horizons.
Quand : Tout au long de la présentation de BLANCHE-NEIGE & LA BELLE AU BOIS DORMANT
Où : Dans le Café-bar d'ESPACE GO
Une production d'ESPACE GO
Pièces tirées de Drames de princesseS : La jeune fille et la mort I et II
L'Arche est éditeur et agent théâtral des textes représentés.
par David Lefebvre
La parole de l’auteure autrichienne Elfiede Jelinek vient, pour une deuxième année, ébranler les murs de l’Espace Go – lieu plutôt bien choisi, vu le style – avec deux textes de la série Drames de princesses. Denis Marleau avait offert au public un premier extrait l’an dernier, soit Jackie, où l’auteure donnait une voix nouvelle à la femme la plus médiatisée au monde. Ici, elle s’attaque avec force à deux contes, soient Blanche Neige et La Belle au bois dormant, attribués au départ respectivement aux frères Grimm et à Charles Perrault, puis au père de l’animation moderne, Walt Disney. Jelinek déconstruit totalement ces mythes, qui ont façonné des générations de femmes et d’enfants, en opposant les deux princesses à leur propre image stéréotypée, leur archétype et leur destin pour critiquer de manière subversive les clichés sociaux et machistes qui leur sont rattachés et leur emprisonnement au cœur d’une idéologie patriarcale et divine.
D’une part, il y a cette Blanche Neige qui parcourt la forêt et se fait rattraper par le Chasseur avec qui elle dialogue sur la vérité, le mensonge, la beauté, la raison et la foi, la vie et la mort, toujours. Un discours tout en parabole, en détour, en réflexion sans fin ; une écriture obsessive, ironique, qui quitte la forêt enchantée pour analyser en profondeur le conte et revenir vers une certaine réalité plus philosophique entre les deux protagonistes et les sept nains absents. Puis le Chasseur fait ce qu’il doit faire et tire sur la proie qu’il pourchasse. La belle sombre, dort, et se réveille au baiser d’un prince charmant tout ce qu’il a de plus moderne. Alors s’engage une réflexion sur la notion d’existence, sur l’autorité suprême, la domination masculine, la détention du pouvoir et la présence bestiale de la sexualité dans tout rapport homme/femme. Baiser, ou se faire baiser.
Force est d’admettre que Sophie Cadieux commence sa résidence de trois ans à l’Espace Go de manière survoltée et fort intrigante. Jelinek n’est pas une auteure facile ; son écriture radicale, qui n’est pas à un scandale près, aux tonalités musicales singulièrement contemporaines, pourrait en rebuter plusieurs. Celle-ci est d’ailleurs si dense, lors des échanges, qu’on s’y percute autant sinon plus qu’elle nous bouscule. Dommage, on peine à suivre parfois la réflexion de Jelinek qui nous perd dans les méandres et les rouages complexes de sa logique, flirtant avec la métaphysique et la psychanalyse. Ce n’est d’ailleurs surtout pas de manière fortuite que le nom de Freud se fait entendre lors du prologue de la pièce. Heureusement, quelques perles viennent éblouir certains moments, essentiellement lors des passages où les princesses prennent la parole, se questionnant et raisonnant sur la beauté, la jalousie, l’existence, la temporalité. L’humour y est tout aussi savoureux que candide.
Nous sommes à des lieues du Jackie moderne et sophistiqué de Marleau : Martin Faucher plonge directement dans un mode satirique et ludique à l’extrême pour aborder ces deux textes grâce à des images puissantes et directes, des moments absurdes et bédéesque, multipliant les clins d’œil à de nombreux contes et références culturelles. Pour Blanche Neige, il transforme Sophie Cadieux – dans une forme splendide – en réelle poupée d’un Red Light fantasmé. On l’aura vu très peu souvent assumer avec autant d’aplomb deux personnages si charnels. S’inspirant directement du costume du film de Disney datant de 1937, la jupe jaune et le chemisier noir agencés à de grandes bottes blanches, Faucher donne à Blanche Neige une identité sexuelle tout aussi naïve, manipulatrice qu’ironique, subjuguant la plupart des spectateurs. Pour la Belle endormie, une robe diaphane et des souliers noirs à talons vertigineux viennent facilement l’habiller et la rendre terriblement sexy. Faucher, en talentueux directeur d’acteurs, règle le mouvement au détail près ; chaque geste, aussi léger soit-il, est réfléchi, calqué, évoque immanquablement une image, un souvenir. C’est une véritable chorégraphie de gestes et de mots, une danse et une course très physique et d’une grande dextérité qui nous sont offertes, de la part de la comédienne et de ses deux comparses, Sébastien Dodge et Éric Bruneau, en parfait chasseur et prince charmant.
Le décor de Max-Otto Fauteux est stylisé, offrant d’un côté de la scène des cabines d’essayage pour les changements de costumes, de l’autre quelques stands à magazines qui font office d’arbres, et au fond une porte de garage métallique, tout ceci baigné dans une lumière tout ce qu’il y a de plus rosé. Les contrastes et les ambigüités sont partout, dans le geste et dans la parole, dans le lieu et dans l’humour, mais surtout dans le mélange des genres. La pièce, qui propose d’abord une entrée en matière presque innocente, se termine par une finale porno-enfantine, avec un orignal/homme au phallus proéminent copulant avec une femme/lapine aux formes vaginales, sous le regard d’un immense cochon gonflable, le tout accompagné d’une musique électronique tonitruante. On est assurément loin du merveilleux monde de Disney.
Dénonciateurs, percutants, provocants, Blanche Neige et La Belle au bois dormant sont deux textes terriblement touffus, à la mécanique implacable, mais ici bien agencés et bien ficelés par une équipe inspirée et solide, dans un univers éclaté, décalé et fantasmatique.