Même mortes elles l'attirent. Le cadavre d'une femme sur la plage et c'en est fait de mes vacances. Elle vaut quand même moins que moi, puisqu'elle est morte. Simone
Simone et Jean-François entreprennent des vacances de quelques semaines en Irlande avec l'espoir de donner un second souffle à leur vie de couple. Un jour, Jean-François découvre sur la plage une femme morte. Qui est cette femme? A-t-elle été assassinée? S'est-elle suicidée? Depuis, l'ombre de la femme ne les quitte plus. Elle devient si présente entre eux qu'ils décident de lui inventer une existence. Ce jeu aura un impact inattendu sur leurs vies.
UNE VIE POUR DEUX ausculte la relation fusionnelle à laquelle aspire Simone avec son compagnon de vie. Après vingt ans d'une vie en couple, comment retrouver le fil perdu des années et communiquer à l'autre son monde intérieur? Fantasme autant que fantôme, la femme trouvée sur la plage alimente un dialogue nouveau entre eux, dans lequel se reflètent les obsessions du couple, l'image travestie des remords et des regrets de chacun. À deux, ils réécriront son histoire et, en filigrane, celle de Simone s'exprimera.
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Assistance à la mise en scène et régie : Alexandra Sutto
Décor : Gabriel Tsampalieros
Lumières : Caroline Ross
Costumes : Ginette Noiseux
Musique : Simon Carpentier
Maquillages : Jacques-Lee Pelletier
Une production d'Espace GO
par David Lefebvre
Quelle histoire…
Simone (époustouflante Violette Chauveau) et Jean (solide Jean-François Casabonne) forment un couple toujours amoureux, mais à la dérive. Ils accostent en Irlande pour quelques jours, question de rafistoler leur relation, question que Simone impose sa présence à Jean pour qu’il puisse la voir elle, et non toutes les autres femmes, plus jeunes, plus belles, contre qui elle ne peut plus rivaliser. Mais la découverte sur la grève du corps inerte de Mary (froide et sculpturale Évelyne de la Chenelière) vient tout chambouler. À deux, ils réécriront son histoire, et Mary, à son tour, les inventera. Car la mort n’est pas une fin en soi, tant que quelqu’un continue de nous créer, de nous faire vivants.
Après de multiples créations prisées autant du public que de la critique, dont Bashir Lazhar qui a fait la manchette il y a peu de temps, Évelyne de la Chenelière sentait le besoin de fouiller et d’explorer les mots des autres. Pour cette première adaptation, elle jette son dévolu sur un roman de1978 de Marie Cardinal, Une vie pour deux. Un choix judicieux, pour plusieurs raisons : la proximité de l’auteure, femme de Jean-Pierre Ronfard, qu’Évelyne de la Chenelière a cotoyés tous deux, et les thèmes du bouquin, qui ne sont pas si loin de ceux que privilégie l’auteure de théâtre, soit le couple, l’amour, la (re)définition et la recherche de soi, puis la maternité, la nostalgie, l’introspection, la mort. Les images que l’écriture provoque dans l’imaginaire du spectateur sont évocatrices, poétiques, intimes. Les réflexions des personnages, sur le ton de la confidence ou de l’échange, sont tout aussi lucides qu’humoristiques. Mais Une vie pour deux va au-delà de la simple adaptation théâtrale : si l’on disait des écrits de Mme Cardinal qu’ils étaient autobiographiques (un réel séjour en Irlande avec son mari aurait inspiré l’écrivaine pour le récit), Évelyne de la Chenelière s’empare des personnages fictifs du roman pour faire revivre, en quelque sorte, Jean-Pierre Ronfard, perceptible dans le jeu de Jean-François Casabonne lors de quelques moments furtifs, et déterrer Marie Cardinal pour lui redonner une voix. Alors que le roman se termine avec un tribunal qui doit juger de la nature du décès de Mary, de la Chenelière fait le choix magnifique, plutôt, de parler de la maladie dégénérative de Marie Cardinal, soit l’aphasie. Violette Chauveau offre une performance magistrale en toute fin de partie : alors que les mots peinent de plus en plus à sortir de sa bouche, de tout son corps, poing serré, elle rage, et l’on souffre avec elle, pétrifié et stupéfait par le jeu de la grande actrice.
La mise en scène d’Alice Ronfard met de l’avant les mots de l’auteure, dans un décor épuré, ouvert, quasi onirique. L’élément scénographique le plus imposant prend la forme d’un immense bloc monolithique, sorte de table sombre, à la surface lisse et solide, que seule une forme creuse d’un corps humain vient altérer, tout au centre, dans laquelle Mary prend place. Si quelques projections sur ce monument viennent dynamiser la représentation, elles sont malheureusement mal exploitées. Passant de ce qui semble être des feuilles de papier manuscrites à de l’eau scintillante, cet élément d’éclairage, qui ne contribue que très peu à la pièce, ne sera apprécié que par les spectateurs assis tout en haut des gradins. Tout comme ce mur vitré et carrelé, qui ferme complètement le fond de la scène, n’est utilisé ni par l’éclairage, ni par la mise en scène. Et excepté les quelques bruits d’océan, les courts extraits musicaux, presque spasmodiques, causent un clash inutile et viennent appuyer trop dramatiquement les transitions entre les actes.
Une vie pour deux (La chair et autres fragments de l’amour) est une pièce forte et belle, qui explore librement et de façon impudique le sentiment amoureux et le corps comme paysages poétiques et qui rend hommage à une femme de lettres de façon très personnelle et éloquente. Une grande réussite.